Lorsqu’on est en télétravail depuis des mois, œuvrer pour un employeur ou pour un autre ne semble plus guère faire de différence… Dans ces conditions, pourquoi ne pas aller voir ailleurs? Pour les entreprises, le défi en cette période de pandémie sera aussi de retenir leurs talents.

Bureaux conviviaux et bien situés, équipe dynamique et solidaire, activités sociales stimulantes entre collègues… Ces caractéristiques, qui pouvaient il y a quelques mois à peine peser lourd dans la balance, sont aujourd’hui chose du passé. Car comment peut-on faire une différence quand la plus grande partie de sa main-d’œuvre, si ce n’est la totalité, travaille de son domicile? Pour les organisations, il est temps de repenser ce qui constitue leur valeur ajoutée.

Rassurer et accompagner

Pour y parvenir, les entreprises doivent revenir à la base et se recentrer sur ce qui constitue le cœur même de leur marque employeur, estime Anne Bourhis, professeure titulaire au Département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal. « Ensuite, il faut s’assurer que ces valeurs transparaissent dans l’accueil et l’intégration des employés. Avant la pandémie, beaucoup d’organisations ne faisaient rien de spécifique à cet égard. Actuellement, on remarque qu’elles mettent davantage l’accent sur ce processus et qu’il est plus structuré. Par exemple, elles planifient des rencontres en vidéoconférence avec les autres membres de l’équipe, avec le gestionnaire, avec le conseiller en ressources humaines, etc. », constate la professeure.

Par ailleurs, selon elle, il est clair que bien traiter sa main-d’œuvre améliore la rétention. Inversement, avoir l’impression que son employeur nous a laissé tomber en pleine crise peut remettre en question la loyauté qu’on peut lui porter. « Ce n’est pas tant ce qui est dit qui est important, mais ce qui est fait concrètement », rappelle-t-elle.

Une réalité que Desjardins a bien comprise. « Dès le départ, notre président a fait savoir qu’il n’y aurait pas de pertes d’emploi, ce qui a permis de sécuriser nos employés. Nous prenions soin de nos gens auparavant, mais nous avons renforcé encore davantage notre expérience employé et notre accompagnement », indique Dominique Duguay, conseillère principale, développement organisationnel et expérience employé chez Desjardins.

La coopérative financière a aussi développé des capsules d’information et des outils pour aider les travailleurs à mieux gérer le télétravail, la rentrée scolaire de leurs enfants, la conciliation travail-famille, notamment. « Nous avons également bonifié nos programmes de remboursement d’équipements de sport et pris des mesures pour améliorer l’ergonomie du bureau à domicile. Pour ceux qui ont dû continuer à travailler en présentiel, des bonifications ont été mises en place, comme des congés supplémentaires, le remboursement des frais de taxi, de stationnement, de gardienne, etc. Nos employés se sont sentis soutenus et ont apprécié notre mode de communication authentique », précise la conseillère. Ce n’est donc peut-être pas un hasard si le taux de démission chez Desjardins a baissé par rapport à l’année dernière, même si la crainte de changer d’emploi en cette période d’incertitude en a peut-être freiné certains.

Maintenir l’esprit d’équipe

 Qui dit rétention dit aussi capacité à créer une cohésion et à maintenir l’esprit d’équipe malgré la distance. « Pour garder le contact, nous faisons des scrums, de courtes rencontres virtuelles le matin avant de commencer la journée. Nous planifions aussi des réunions hebdomadaires par visioconférence. On a rapidement constaté que grâce aux scrums, on n’a jamais autant parlé, et ce, même entre les différents bureaux partout au Québec. Cela contribue assurément à générer de l’engagement et, par conséquent, de la rétention », illustre Pierre-François Devaux, directeur, acquisition de talents chez Intact Corporation financière.

Il relève toutefois que le défi consiste à outiller les gestionnaires et à mettre en place des pratiques de gestion efficaces à distance. « Cela nécessite des compétences différentes et il faut aussi apprendre à faire confiance à ses employés, même si on n’est pas là physiquement », remarque-t-il.

Chez Metro, il n’a évidemment pas été possible de mettre en place le télétravail dans les magasins, mais cela a pu être fait du côté des bureaux. « En expérimentant le travail à distance à grande échelle, nous avons pu voir ses bienfaits. En général, c’est apprécié par nos collaborateurs, en particulier pour la flexibilité que cela offre, même si certains s’ennuient du travail en présentiel », explique Lucy Rodrigues, directrice nationale, gestion des talents chez Metro.

Comme Pierre-François Devaux, elle note que la gestion à distance a constitué un enjeu. « Nous avons effectué beaucoup d’accompagnement. Pour maintenir l’esprit d’équipe, les gestionnaires font des rencontres virtuelles courtes, mais régulières, afin de remplacer les 5 à 7 ou les pauses-café. Cela aide à maintenir la mobilisation. Le défi est de conserver une culture d’entreprise forte », ajoute-t-elle.

Un avis que partage Laura Parent, directrice stratégie marketing RH chez sept24, une agence de marketing RH. « En ces temps difficiles, la culture d’entreprise et les valeurs n’ont jamais été aussi importantes. On le voit d’ailleurs dans la façon dont les gens se sont reconnectés avec ce qui est vraiment essentiel à leurs yeux. Certains se sont questionnés sur les valeurs de leur organisation et se sont demandé si elles sont en adéquation avec les leurs. Plusieurs ont donné une autre orientation à leur carrière et se sont réinventés », analyse-t-elle.

Selon la directrice, certaines choses vont demeurer, même après le retour à la normale, et les employeurs ne pourront pas revenir en arrière. « La flexibilité, le télétravail, la possibilité d’avoir plus de temps pour soi, d'aller marcher à l’heure du dîner, d’équilibrer travail et famille… tout cela va rester. Pour conserver leurs talents, les entreprises devront se montrer plus inclusives et plus humaines, car beaucoup de gens ont modifié leur façon de vivre », soutient-elle.

Chaque crise constitue un révélateur du pire, mais aussi du meilleur. C’est donc l’occasion ou jamais pour les organisations de tirer des leçons de cette situation inédite, afin de mobiliser leurs troupes et d’améliorer la rétention de leurs employés, conclut Anne Bourhis.