Les membres de votre équipe sont découragés et essoufflés. Pour renforcer leur motivation, vous leur servez votre discours d’encouragement (pep talk) habituel. En soi, votre intention est louable, mais vos paroles pourraient créer de l’inconfort et témoigner d’une certaine forme de positivité toxique.

La positivité toxique est la croyance selon laquelle on doit toujours rester positif, peu importe les émotions négatives et les épreuves que l’on vit. C’est exactement ce qui se passe quand on affronte un drame personnel et que quelqu’un nous dit : «Sois positif, rien n’arrive pour rien dans la vie!»

Au travail, tout le monde voudrait d’une équipe heureuse et motivée, déterminée à surmonter les défis avec enthousiasme. Là n’est pas la question. Mais est-ce que cette approche, qui repose sur un «positivisme à tout prix», peut réellement favoriser le succès de l’équipe et le bien-être des individus qui la composent? Cette façon de penser ne risque-t-elle pas de créer un effet boomerang? Les récentes recherches sur le sujet fournissent des réponses fort éclairantes à ces questions.

Les côtés sombres de la positivité imposée

Lorsqu’un gestionnaire commande à un employé d’être positif après que ce dernier lui a parlé des difficultés qu’il vit, il y a fort à parier que ce travailleur aura l’impression que son supérieur ne se soucie pas vraiment de lui. La même chose pourrait se produire lorsque des leaders utilisent l’adage suivant : «Si tu m’amènes un problème, amène-moi aussi une solution.» Or, l’employé qui s’est confié à son gestionnaire en évoquant de manière implicite ou explicite son besoin de soutien risque alors de ressentir de la confusion. N’a-t-il pas fait appel à son supérieur parce qu’il sentait qu’il n’avait justement pas les ressources pour régler lui-même le problème?

La personne qui reçoit les confidences doit tenir compte de la situation décrite et veiller toujours à ne pas l’invalider. Plutôt que de faire dévier la conversation parce qu’elle est mal à l’aise avec la négativité ou parce qu’elle préconise de « rester positif » contre vents et marées, elle devrait discuter avec son interlocuteur pour l’aider à mettre des mots sur ses émotions et parvenir à les maîtriser1. En fait, tenter de supprimer ces émotions indésirables peut nuire à tous les niveaux. Pire, forcer les employés à adopter des comportements positifs alors qu’ils ne les «sentent pas» – ce qu’on appelle le «positivisme obligé» – génère un sentiment d’injustice et réduit la loyauté des individus envers l’entreprise2.

Votre équipe vit dans un climat de positivité toxique si ces paroles sont trop souvent prononcées

  • Derrière chaque crise, il y a une opportunité.
  • Il faut rester positif.
  • Les gens négatifs sont priés de rester chez eux.
  • Si tu m’amènes un problème, amène-moi aussi une solution.
  • Tout est une question d’attitude.
  • Rien n’arrive pour rien.

Ode aux émotions négatives

À la lumière de ces constats, pourquoi ne pas plutôt interpréter les différentes émotions négatives comme des signaux qui nous permettent d’évoluer? La frustration devient alors le signal qu’on veut changer les choses, la culpabilité nous permet de reconnaître que nous devons collaborer davantage avec les autres et l’anxiété nous prévient des risques futurs. En d’autres termes, éviter les émotions négatives au lieu de les accepter est un aller simple vers un état de souffrance qui nous prive d’agir adéquatement3.

Une étude réalisée il y a quelques années auprès de 37 000 personnes a démontré que la diversité émotionnelle, c’est-à-dire la variété et l’abondance des émotions ressenties, est un prédicteur important de santé mentale et physique qui est aussi important que le fait de faire de l’exercice, de ne pas fumer ou d’avoir une bonne alimentation4. Alors, pourquoi se priver de célébrer la richesse des émotions qui se manifestent au sein des équipes de travail?

Il est normal, pour un gestionnaire, de souhaiter que les membres de son équipe soient heureux au travail. Mais tenter de leur imposer des émotions positives est contre-productif. Lorsqu’on fait régner le bonheur comme une valeur suprême ou comme une finalité, on risque, au bout du compte, de réduire le sentiment de bien-être de ces personnes5.

Pour que le bien-être émerge naturellement, il faut embrasser l’expérience humaine dans tout ce qu’elle a de positif et de négatif. On doit alors mettre en place un climat propice et rassurant qui favorise l’expression des émotions. Cette solution n’a rien de miraculeux, mais elle est beaucoup plus durable que les grands discours motivateurs, qui ont souvent un effet très limité. N’est-ce pas une bonne nouvelle ? Il y a là de quoi être positif... mais pas trop!

Afin de déterminer si votre équipe vite dans un climat de positivité toxique, complétez notre questionnaire.

Article publié dans l'édition Hiver 2023 de Gestion


Notes

1- Torre, J. B., et Lieberman, M. D., «Putting feelings into words: Affect labeling as implicit emotion regulation», Emotion Review, vol. 10, n° 2, avril 2018, p. 116-124.

2- Chieh-Yu, L., et Nai-Wen, C., «Understanding why and when compulsory citizenship behaviors lead to subsequent destructive voice and citizenship behaviors: The retributive justice and impression management perspectives, human performance», Human Performance, septembre 2022, p. 1-20.

3- Goodman, F. R., Larrazabal, M. A., West, J. T., et Kashdan, T. B., «Experiential avoidance», dans Olatunji, B. O. (éd.), The Cambridge Handbook of Anxiety and Related Disorders, New York, Cambridge University Press, 2019, p. 255-281.

4- Quoidbach, J., Gruber, J., Mikolajczak, M., Kogan, A., Kotsou, I., et Norton, M., «Emodiversity and the emotional ecosystem», Journal of Experimental Psychology, vol. 143, n° 6, 2014, p. 2057-2066.

5- Humphrey, A., Szoka, R., et Bastian, B., «When the pursuit of happiness backfires: The role of negative emotion valuation», The Journal of Positive Psychology, p. 611-619.