On ne doit jamais douter de la capacité d’un petit groupe de personnes à changer le monde : ce sont les célèbres paroles de l’anthropologue américaine Margaret Mead. Dans le même ordre d’idées, une poignée de gestionnaires pourraient-ils arriver à améliorer la culture organisationnelle d’une entreprise? Les recherches scientifiques en éthique et en gestion permettent de valider cette hypothèse. Mais pas seulement…

Prenons l’exemple de Ian, un jeune comptable à l’avenir très prometteur, exerçant dans un prestigieux cabinet où les nobles valeurs qui lui ont été présentées lors du processus d’embauche l’ont convaincu de se joindre à l’équipe. Sous la supervision de Suzanne, directrice associée, reconnue pour sa vaste expertise et son influence au sein de l’industrie, il saisit les occasions de travailler sur des dossiers importants.

À mesure que Ian gagne en expérience, il remarque que Suzanne est prête à ignorer volontairement certaines règles comptables pour satisfaire des clients influents. Par exemple, lors d’une vérification, elle suggère de manipuler des chiffres et de fermer les yeux sur certaines normes afin de minimiser les impacts fiscaux pour un client fort lucratif pour le cabinet. Cette demande place Ian dans une position inconfortable, au cœur du dilemme opposant sa loyauté envers sa supérieure et ses obligations professionnelles.

Sans égard à la décision que prendra Ian (qu’on espère être en faveur de ses obligations éthiques, déontologiques et légales), la littérature scientifique[1] permet de comprendre que cette demande de Suzanne s’assimile à une démonstration de leadership non éthique et que cela aura assurément des répercussions négatives sur la culture organisationnelle de l’entreprise : hausse du taux de roulement, augmentation des comportements déviants au travail, diminution du bien-être du personnel et de sa performance, notamment.

Mince consolation à ce chapitre, on est de plus en plus nombreux à croire qu’il est temps de mettre le leadership éthique à l’avant-plan dans nos organisations. En effet, une très récente analyse sur l’état du monde du travail publiée par McKinsey démontre que le virage jugé le plus important que les leaders doivent prendre concerne l’exemplarité. En d’autres mots, on souhaite que nos leaders s’attardent davantage à devenir des modèles, centrés sur le respect et capables de mesurer les conséquences éthiques de leurs décisions. Un souhait plus facile à formuler qu’à exaucer, diront certains!

Qu'est-ce que le leadership éthique?

S’il est vrai que les sujets du leadership et de l’éthique sont de plus en plus discutés dans les universités et les organisations, il reste que le leadership éthique est moins fréquemment abordé dans les discussions au sein de comités de direction et d’équipes de gestionnaires.

De manière théorique, le leadership éthique a été défini comme étant «la démonstration d’une conduite appropriée en regard des normes, tant en ce qui concerne ses actions personnelles que ses relations interpersonnelles, ainsi que de la promotion qui est faite de cette conduite à l’égard de son entourage, par des communications bidirectionnelles, du renforcement et la prise de décisions»[2].

Lorsqu’on tente de le décrire d’une façon plus pratique, ce type de leader serait une personne honnête, digne de confiance et juste, qui se comporte de manière éthique autant dans sa vie personnelle que dans sa vie professionnelle. De surcroît, le leader éthique se distingue des autres leaders par le fait qu’il pense constamment à l’aspect éthique de son travail[3]. Dans ses prises de décisions, il démontre sa considération pour les caractères éthique et juste de ses choix, et ce, envers l’ensemble des parties prenantes. Finalement, le gestionnaire qui fait preuve de leadership éthique, sans nier l’importance du rendement financier de son organisation, souligne à son équipe que ces bons résultats doivent demeurer sous-jacents à une démarche et à des processus éthiques, au sein desquels les comportements et les gestes non éthiques ne seront pas tolérés.

La mobilisation des équipes

Il n’est pas rare d’entendre que les employés de notre époque, particulièrement les jeunes, se croient tout permis, comme si tout leur était dû. Sans admettre la véracité de cette affirmation, une étude récente a démontré que le leadership éthique serait une façon efficace de contrer les effets négatifs du phénomène du «j’ai le droit»[4]. D’ailleurs, les employés qui souhaitent réagir aux leaders à l’éthique douteuse en arrivent souvent à cacher de l’information[5] afin de les contraindre à une asymétrie d’information défavorable.

Bref, avant d’invoquer des traits de personnalité ou des caractéristiques générationnelles pour justifier la fameuse démission silencieuse de notre époque, ne serait-il pas plutôt pertinent de s’interroger sur le degré de leadership éthique en vigueur au sein de nos organisations?

La faiblesse éthique des leaders

Si les constats mentionnés précédemment ne soulèvent pas en vous quelques inquiétudes ou prises de conscience, réfléchissez maintenant aux motifs qui ont mené à la chute des plus grands empires dans l’histoire de l’humanité.

Une fascinante étude[6]réalisée récemment par des anthropologues arrive à une conclusion saisissante : la cause commune de l’effondrement des grands empires les plus puissants est l’incapacité des leaders en place à maintenir les valeurs et les normes éthiques élevées qui avaient jusqu’alors guidé les leaders précédents. Autrement dit, lorsque les leaders brisent le contrat social qui les lie à la population et abusent de leur pouvoir, la fin est proche. Une leçon que tout gestionnaire devrait apprendre!

Afin de déterminer si un leadership éthique inspire suffisamment votre équipe, complétez notre questionnaire.

Article publié dans l’édition Automne 2023 de Gestion


Notes

[1] Mitchell, M. S., Rivera, G., et Treviño, L. K., «Unethical leadership: A review, analysis, and research agenda», Personnel Psychology, vol. 76, n° 2, juin 2023, p. 547-583.
[2] Traduction libre de Brown, M. E., Treviño, L. K., et Harrison, D. A., «Ethical leadership: A social learning perspective for construct development and testing», Organizational Behavior and Human Decision Processes, vol. 97, n° 2, 2005, p. 117-134.
[3] Mayer, T. G., et al., «The development and psychometric validation of the central sensitization inventory», Pain Practice, vol. 12, n° 4, avril 2012, p. 276-285.
[4] Joplin, T., Greenbaum, R. L., Wallace, J. C., et Edwards, B. D., «Employee entitlement, engagement, and performance: The moderating effect of ethical leadership», Journal of Business Ethics, vol. 168, n° 4, 2021, p. 813-826.
[5] Men, C., et al., «Ethical leadership and knowledge hiding: A moderated mediation model of psychological safety and mastery climate», Journal of Business Ethics, vol. 166, n° 3, 2020, p. 461-472.
[6] Feinman, G. M., et al., «Moral collapse and state failure: A view from the past», Frontiers in Political Science, vol. 2, octobre 2020, p. 1-12.