Article publié dans l'édition Printemps 2021 de Gestion

Aujourd’hui, un avocat peut déposer une requête en ligne puis participer à un procès 100 % virtuel. L’an dernier, personne n’aurait pu imaginer une transformation aussi rapide du système de justice québécois, même si un mouvement vers le numérique était déjà amorcé.

En 2017, lorsque Me Paul-Matthieu Grondin s’est fait élire bâtonnier du Québec à l’âge de 33 ans – il est le plus jeune de l’histoire québécoise –, le système de justice fonctionnait encore exclusivement avec du papier. Par la suite, le gouvernement a consenti, dans le Plan stratégique 2019-2023 du ministère de la Justice, un investissement de 500 millions de dollars pour moderniser son système de justice et pour lui permettre de prendre le virage numérique. Alors que cette transformation devait se réaliser en cinq ans, l’essentiel s’est finalement concrétisé en quelques mois, au début de la pandémie de COVID-19.

Le Greffe numérique judiciaire du Québec, grâce auquel on peut envoyer des documents (par exemple des actes de procédure) et acquitter des frais judiciaires par voie électronique, a été lancé en juin 2020.

Les procès virtuels ne figuraient pas dans le projet, mais ils se sont rapidement imposés avec le confinement. Le premier procès au Québec dont toutes les étapes se sont déroulées en ligne a donc eu lieu à la fin de mars 2020. Dans les procès qui se déroulent dans un palais de justice, faire entendre des témoins dans d’autres villes par vidéoconférence est aussi devenu une pratique courante.

« Personne ne veut que les procès se déroulent tous de manière virtuelle à l’avenir, affirme Me Grondin. La justice doit être humaine : les gens veulent se retrouver devant le juge pour raconter leur histoire et on n’arrive pas exactement à reproduire le même effet par vidéo. Mais les procès virtuels doivent demeurer une avenue possible. »

Si le chantier de la numérisation est colossal dans le milieu juridique, le bâtonnier du Québec constate que la transformation se passe plutôt bien et rend la réalisation de plusieurs tâches plus simple et plus efficace : « Certains sont moins à l’aise avec l’informatique, mais c’est très rare, affirme-t-il. Le quotidien de l’avocat demeure le même, c’est-à-dire rencontrer un client, écouter son histoire, lui donner des conseils juridiques et aller plaider s’il y a un litige sur la question. Ces grands pans de la profession sont assez immuables. »

Vers une jurisprudence intelligente?

La question de l’utilisation de l’intelligence artificielle en matière de jurisprudence est plus délicate et demeure strictement théorique à ce jour, d’après Me Grondin : « D’abord parce qu’il n’y a pas beaucoup de fournisseurs en raison de la taille modeste et du caractère distinct du marché juridique québécois, explique-t-il. Puis, nous avons un moteur de recherche assez sophistiqué qui permet aux avocats d’avoir facilement accès à la jurisprudence. »

Par contre, l’intelligence artificielle pourrait éventuellement jouer un rôle d’aide à la décision. Par exemple, en entrant quelques caractéristiques d’une cause dans le système informatique, on pourrait en évaluer les chances de succès. « C’est ici que se posent les questions éthiques, affirme Me Grondin. On n’a pas encore d’outils à notre disposition, mais si c’était le cas, il faudrait se demander comment ont été construits les algorithmes, quels en sont les biais, etc. Puis, si on se fie toujours aux jugements précédents, comment fait-on évoluer la jurisprudence ? C’est un défi qui s’annonce, mais on est encore davantage dans la théorie que dans la pratique. »