Les travailleurs accordent une importance croissante à l’utilité de leur activité et à la qualité de leurs relations professionnelles. Une tendance sur laquelle les entreprises sont appelées à bâtir pour protéger la santé mentale de leurs employés et stimuler leur engagement.

Les confinements mis en place à travers le monde durant la pandémie de COVID-19 ont creusé le fossé entre les emplois essentiels mis en lumière dans l’adversité, et ceux qui se sont avérés de moindre nécessité. Cette distinction, tout en ouvrant la réflexion sur la revalorisation de certaines professions, a révélé la vulnérabilité de nombreuses autres : «Un cadre ou une personne qui fabrique des choses qui sont, certes intéressantes à avoir, mais pas essentielles, se sont retrouvés chez eux à devoir attendre que la pandémie passe», résume Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management à HEC Montréal.

Qu’est-ce qui fait le sens du travail?

Est-ce l’utilité du travail qui en crée le sens? La réponse dépend des individus. «Le sens est une expérience éminemment personnelle», explique Estelle Morin, ce qu’elle définit comme un effet de cohérence entre le travail que fait une personne et les valeurs qu’elle porte[1]. «Si un travailleur est en train de faire un travail qui correspond à ses valeurs, à ses intérêts, les chances sont bonnes qu’il y trouve du sens».

Jacynthe Desmarais, capitaine au Service de police de l’agglomération de Longueuil, a suivi la formation Bien-être au travail et gestion du stress donnée par l’enseignante à l’École des Dirigeants HEC Montréal. Lorsqu’on lui demande comment elle définit le sens de son travail, la réponse ne se fait pas attendre : «Je suis un agent de changement depuis toujours, il faut que je sente que j’ai un impact dans mon travail, que les actions que je pose font une différence».

Ces deux dernières années, la policière a pu faire preuve de cet engagement en supervisant le lancement du projet RÉSO, un réseau d’entraide qui augmente et assure un lien de proximité entre la police et les habitants de l’agglomération de Longueuil, de manière à prévenir les appels d’urgence. «Ces dernières années, nous avons observé une nette augmentation des appels liés à des problématiques sociales. Nos patrouilleurs sur le terrain resteront toujours disponibles pour intervenir en cas d’urgence. Cependant, ils ne sont pas en mesure de résoudre des problématiques nécessitant des interventions sur le long terme.»

Cette situation a pu contribuer à un désengagement de la part de certains policiers qui ont perdu le sens qu’ils étaient venus chercher en entrant dans la police.

Perte de sens et manque de sens : quelle différence?

Cette perte de sens, qui peut intervenir lorsqu’un travailleur ne joue plus le même rôle que celui pour lequel il a été engagé, Estelle Morin la distingue du manque de sens propre à un travail qui n’a jamais créé la moindre résonance avec l’employé. «C’est plus facile d’aider une personne à retrouver un sens qui existait auparavant parce que, dans ce cas-là, on sait ce qu’il manque.»

Le projet RÉSO est arrivé à point nommé pour les équipes de police en perte de sens de Longueuil. «On a désormais le temps d’aller vers les gens, de les écouter, le sens du travail revient», s’enthousiasme Jacynthe Desmarais.

La mise en place du projet a cependant nécessité des changements organisationnels majeurs au sein d’une structure policière par définition très hiérarchisée, souligne la capitaine. «On est passé à une dynamique plus latérale à laquelle les policiers doivent contribuer.» Pour mener à bien cette entreprise, la gestionnaire a dû s’outiller. «Je voulais éviter de tomber dans l’épuisement professionnel, tout en m’assurant que les membres de mon équipe soient bien au travail.» Et y trouvent du sens.

6 caractéristiques du sens du travail

Selon Estelle Morin, six caractéristiques favorisent l’émergence du sens du travail, selon qu’elles s’attachent à la nature du travail (meaning of work) ou à l’environnement dans lequel celui-ci se déroule (meaning at work)[2].

L’employé trouve d’autant plus de sens à son activité professionnelle qu’elle favorise son autonomie, ses occasions d’apprentissage et s’avère utile, soutient la chercheuse. Le sens qu’il trouve dans son milieu de travail dépend, lui, de la qualité des relations qu’il y noue, de la reconnaissance dont bénéficie l’employé et de la «rectitude morale» qui y règne.

Les gestionnaires oublient souvent le rôle qu’ils ont à jouer sur ce dernier point, soutient Estelle Morin. «La tâche principale du chef d’équipe est de faciliter l’accomplissement du travail, mais ça occulte souvent leur devoir de régler les problèmes tels que les incompréhensions mutuelles, la gestion des conflits et des comportements toxiques.»

En collaboration avec Laurent Falque, la chercheuse propose 6 pratiques de management à encourager pour aider les équipes à donner du sens à leur travail. Ces pratiques sont nées d’une étude qu’ils ont coréalisée en 2020[3], au moment où la pandémie ramenait la question du sens — et les travaux d’Estelle Morin — dans l’actualité. «Ça fait 35 ans que je m’intéresse à ces questions, et qu’on me dit que ce n’est pas une priorité. Je constate, en fin de carrière, que ça l’a toujours été.»

Estelle Morin enseigne plusieurs formations à l’École des Dirigeants HEC Montréal, notamment :

· Bien-être au travail et gestion du stress

· L’intelligence émotionnelle et l’exercice du leadership (version 1, 2 ou 3 jours)

· Gérer les comportements toxiques au travail


Notes

[1] Morin, E. M., Sens du travail, santé mentale et engagement organisationnel, rapport no R 543, IRSST, 2008, 54 pages.

[2] Selon la distinction qu’en font Pratt, M. G., & Ashforth, B. E. 2003. Fostering meaningfulness in working and at work. Positive organizational scholarship: Foundations of a new discipline: In K. Cameron & J. Dutton (Eds), Positive organizational scholarship: San Francisco: Berrett-Koehler Publishers, 309-327.

[3] Morin, E. M., Falque, L., et Gradito-Dubord, M.-A., Enquête sur le sens du travail et les pratiques de management dans les entreprises françaises privées, Lille (France), Chaire Sens et Travail de l’Icam, 2020, 219 pages.