Alors que la France a adopté une réglementation en matière de droit à la déconnexion, au Québec, on ne semble pas se diriger vers cette voie. Mais légiférer est-elle la seule – et la meilleure – option?

Dans la province, aucun texte de loi ne traite du droit à la déconnexion. Certes, en mars 2018, Québec solidaire avait déposé un projet de loi en ce sens afin d’obliger les employeurs à établir une politique de déconnexion en dehors des heures de travail. Des sanctions et des amendes étaient également prévues pour le non-respect des mesures. Or, le projet est mort au feuilleton, car les élections ont été déclenchées quelques mois plus tard, et il n’en a plus été question depuis.

Un cadre souple

Le concept était toutefois loin de faire l’unanimité. L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), par exemple, se montrait peu favorable à un encadrement strict. «Les réalités sont très différentes d’une organisation à une autre et un cadre plus souple nous semble préférable. Pour certains employés, cela peut même être utile de se reconnecter après les heures de bureau pour mieux concilier travail et famille. Nous proposons plutôt que les entreprises se dotent d’une étiquette à l’interne et de bonnes pratiques. Par exemple, les gestionnaires pourraient limiter les courriels envoyés en dehors des heures normales de travail. Il faut aussi s’entendre sur ce qui est urgent ou non, et les technologies utilisées selon les situations», explique Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre. Bien sûr, l’hyperconnectivité est devenue un enjeu avec l’implantation généralisée du télétravail, mais elle estime que cela doit malgré tout demeurer du cas par cas.

Le consultant et conférencier Mario Côté, CRHA, abonde dans le même sens. «Imposer les mêmes règles à tous pourrait engendrer certaines problématiques. Par exemple, qu’en est-il des firmes qui œuvrent à l’international et sur différents fuseaux horaires? Laissons plutôt les entreprises développer leurs propres façons de faire. C’est d’ailleurs dans leur intérêt et cela leur permet d’être plus attractives pour la main-d’œuvre», note-t-il. Il souligne néanmoins que les gestionnaires doivent donner le ton et éviter d’envoyer des messages en dehors des heures de bureau. S’ils le font, il importe de préciser qu’une réponse n’est pas requise avant le retour au travail.

Autres options : utiliser la fonction d’envoi de courriels en différé, ou encore demander aux employés de suspendre les notifications de message au-delà d’une certaine heure, suggère Manon Perreault, CRHA, consultante et conseillère ressources humaines gouvernance et éthique. «Avec la pandémie, je remarque qu’il y a toutefois un glissement. Les gestionnaires sont plus anxieux et tout est devenu urgent. Pour éviter le stress inutile et les conflits, il est primordial de clarifier cette notion d’urgence et les attentes en termes de disponibilités des employés», déclare-t-elle.

De bonnes pratiques

Même sans législation, plusieurs entreprises québécoises ont déjà implanté des mesures. Parmi elles, Normandin Beaudry, une firme d’actuariat-conseil et rémunération globale qui, en 2016, a été l’une des premières à mettre en place une politique de déconnexion. Sophie Lachance, associée et chef expérience au sein de la firme, mentionne que l’exemple vient d’en haut, puisqu’on a demandé aux gestionnaires de ne pas envoyer de courriels et de textos le soir et les fins de semaine.

Au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Est, des périodes de déconnexion ont été instaurées de 18 h à 6 h pour ceux qui travaillent de jour, en dehors des urgences. «Cela n’empêche pas d’écrire des courriels, mais ils devront alors être expédiés en différé», indique Vicky Lavoie, directrice des ressources humaines, des communications et des affaires juridiques au CISSS.

Il en va de même chez Altrum Reconnaissance, une entreprise spécialisée en solutions de reconnaissance au travail. «Nous faisons beaucoup de sensibilisation auprès de nos employés et nous essayons de limiter les interactions en dehors des heures de bureau. Les cadres sont invités à expédier leurs messages en différé; ainsi, personne ne nuit à la période de déconnexion des collègues», témoigne Julie Lajoie, CRHA, directrice talent et culture et directrice principale. Elle constate toutefois que, malgré toute la bonne volonté des entreprises, cette partition se joue à deux. Une fois les bonnes pratiques mises en place par l’organisation, l’employé a lui aussi une part de responsabilités pour s’assurer de rester déconnecté quand il est opportun de l’être.

À ceux qui n’y parviennent pas, Marie-Ève Landry, psychologue organisationnelle, consultante principale, développement des leaders et des équipes au sein de la firme-conseil Humance, recommande d’ailleurs de faire une réflexion à ce sujet. «Il faut se demander pourquoi on veut rester connecté à tout prix. Est-ce parce qu’on veut plaire à son patron, qu’on a peur du jugement des autres, qu’on craint de manquer quelque chose, ou qu’on perçoit que c’est ce qui est attendu de nous? Ça vaut la peine de se poser la question, de se demander quel est le risque auquel on pense s'exposer et d’ouvrir la discussion avec son gestionnaire», souligne-t-elle. Qu’on légifère ou pas, une chose est sûre : on n’a pas fini d’entendre parler de droit à la déconnexion.