Jack Sparrow – personnage populaire du film Pirates des Caraïbes – mène une vie rocambolesque où les péripéties s’enchaînent, où l’improvisation règne en maître et où malgré tout, cet anti-héros finit toujours par retomber sur ses pieds. L’image du pirate paraît, a priori, bien éloignée de celle du gestionnaire travaillant dans une organisation centrée sur l’ordre, le contrôle et la planification. Et pourtant. Qu’en serait-il si la gestion d’organisations était plutôt une affaire d’improvisation, de chaos et d’émergence, un peu à la Jack Sparrow ?

La réponse à ceux qui veulent tout contrôler : le concept de sérendipité

Est-il possible de tout anticiper ? Comment s’adapter justement face à l’imprévu ? Est-ce que le capitaine Sparrow nous apprend quelque chose lorsqu’il se tire de situations difficiles sans qu’on sache trop comment il y est parvenu? Même s’il est un personnage caricatural, il nous apprend l’idée de la sérendipité.

La sérendipité, selon le philosophe François Flahault1, est « la capacité de trouver ce qu’on n’a pas cherché; c’est l’attention portée à des choses apparemment sans importance, rencontrées occasionnellement, et l’art d’en tirer profit, notamment pour faire des découvertes ». Il s’agit d’une capacité à laquelle tous ont accès.

Prenons l’exemple d’un  bébé humain. Celui-ci apprend parce qu’il vit dans l’imprévu, et parce qu’il prend ce qui se présente à lui sans le planifier. La sérendipité se vit intensément lors de la naissance.

Il faut aussi que les parents vivent dans la sérendipité. Leurs erreurs (bien sûr qu’ils en font, et tant mieux), tant qu’elles ne sont pas trop importants ni permanentes, vont permettre au bébé d’apprendre et de réagir à son environnement. Un parent visant la perfection, où tout doit être calculé, contrôlé et planifié, peut compromettre le développement de l’enfant.

Ce qu’on veut souligner, surtout, c’est que la sérendipité n’est pas accessible qu’à quelques personnes, elle fait plutôt partie d’une riche possibilité disponible aux humains.


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La sérendipité dans le travail du gestionnaire

Lorsqu’il est question de la gestion d’organisations, intégrer la sérendipité dans son travail de gestionnaire devient un atout supplémentaire pour prendre des décisions.

La sérendipité nous apprend à être attentif aux autres, sans nécessairement avoir un but précis avant chaque rencontre. À comprendre que les interactions humaines se développent de manière autonome et ainsi agir en cohérence avec la richesse que ces interactions peuvent engendrer dans un contexte organisationnel.

Plutôt que d’essayer de contrôler les relations, il s’agit d’être attentif aux signes qui se présentent de manière imprévue. Mais encore faut-il pouvoir les déceler. L’attention portée à cet imprévu doit être sous-tendue par nos façons de vivre et comprendre la réalité organisationnelle.

Par exemple, pour trouver ce qu’on n’a pas cherché dans le monde des organisations à vocation sociale (OBNL, organisme communautaire, ACA, etc.), il faudrait, à la base, se poser des questions sur nos conceptions du développement humain, sur notre compréhension de la nature de ces types d’organisations, sur les tensions présentes entre les multiples logiques le traversant (économique, politique, psychologique, cognitive, philosophique…)  sur le contexte idéologique les entourant, entre autres.

Cette lecture dépasse les questions de base sur la gestion. Elle nous permet de comprendre que les buts des organisations dépassent leur mission. Et qu’in fine, la gestion ne concerne pas seulement le contrôle des processus, certains projets projets, le temps, etc.


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L’organisation : le Black Pearl de Jack Sparrow

L’organisation est plutôt, dans cette approche, un phénomène social dont la nature est de « vouloir » continuer de vivre. Pour ce faire, elle se sert de plusieurs moyens pour continuer, dont possiblement (pas toujours) d’une mission et d’une vision explicites.

Ainsi comprise, elle  ressemble plus aux imprévus de la mer, ou, plus spécifiquement, aux imprévus de la vie. Le but ultime sera donc la pérennité, au-delà de la finalité officiellement acceptée d’une mission ou des intérêts particuliers des personnes qui composent une organisation.

Ce type de compréhension de l’organisation exige, on le redit, un type de gestion qui reconnaît la valeur de la sérendipité, qui reconnaît le travail d’identification de nos idées, de nos concepts, de nos images sur l’organisation, et qui permet aussi d’avoir une pluralité de logiques, tout cela afin de trouver, comme le fait Jack Sparrow, ce qu’on n’a pas cherché lorsque l’on est à la mer dans ce bateau qu’est une organisation.


Note

1 Flahault, F. Be yourself, Au-delà de la conception occidentale de l’individu, Mille et une nuits, Barcelona (2006)