Article publié dans l'édition été 2015 de Gestion

Les leaders capables de revitaliser une organisation sont souvent dépeints comme des êtres exceptionnels dotés de caractéristiques personnelles hors du commun et propres à ce type de leadership. Or, les résultats d’une récente étude1 démentent cette présomption. Ainsi, il semble qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir autant de charisme que Barack Obama, de se montrer aussi humble que le dalaï-lama et d’être aussi révolutionnaire que Jack Welch pour insuffler le changement dans une organisation et encourager son équipe à se dépasser.

Dans un premier temps, rappelons que le leadership transformationnel a fait l’objet de multiples études au cours des trente dernières années. Ce type de leadership a été associé à tout un éventail de retombées positives pour les organisations telles que l’augmentation de l’engagement et de l’innovation, le bien-être psychologique et l’autonomisation des employés ainsi que la performance en emploi qui ne se résume pas à une simple atteinte d’objectifs, mais à leur dépassement.

Cependant, si les recherches en matière de leadership transformationnel ont surtout porté, dans une proportion de 90 %, sur les résultantes, en revanche, elles se sont très peu intéressées aux antécédents. Voilà pourquoi nous avons cherché à explorer et mieux comprendre les antécédents du leadership transformationnel. Est-ce que les caractéristiques liées à la personnalité, au contexte, à la motivation ainsi qu’à l’engagement font en sorte qu’un gestionnaire plutôt qu’un autre serait perçu comme étant transformationnel ?


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Nous savions déjà…

Gandhi - Leader transformationnelLes recherches effectuées jusqu’alors avaient révélé que les leaders transformationnels ont cette précieuse capacité d’inciter leurs employés à passer outre leurs intérêts personnels afin de travailler pour le bien collectif de l’organisation. Ces leaders parviennent à leurs fins en s’appuyant sur trois comportements ou pratiques de gestion. Tout d’abord, le leader dit transformationnel témoigne de la considération individuelle en montrant du respect et un intérêt pour ses employés, leur développement et leurs besoins. Il utilise aussi la stimulation intellectuelle pour les encourager à penser différemment, à être créatifs et à remettre en question les façons de faire du groupe de travail ou de l’organisation. Enfin, il fait preuve de charisme (inspiration par un idéal) lorsqu’il motive ses troupes à se dépasser en leur proposant une vision attrayante du futur et en adoptant des comportements et attitudes exemplaires, ce qui fait de lui un modèle à suivre.

De grandes figures emblématiques de notre époque incarnent de façon prototypique certaines caractéristiques liées au leadership transformationnel. Nous n’avons qu’à penser à Gandhi qui a porté l’espoir d’un peuple au fil d’un processus qui l’a lui-même transformé, ou encore à l’inventeur américain Steve Jobs, qui a révolutionné l’industrie de l’informatique et propulsé Apple au rang des entreprises les plus innovantes. Il serait ainsi facile de croire que les leaders transformationnels doivent absolument être des individus exceptionnels : charismatiques, confiants, créatifs ou innovateurs, orientés vers le changement, ayant un parcours de vie extraordinaire tout en demeurant humbles et qui recherchent l’excellence. Or, les résultats de la présente étude révèlent un volet bien plus accessible à ce type de leadership.

Nous avons appris…

Dans un premier temps, l’analyse montre qu’une panoplie d’antécédents, soit de personnalité, contextuels ou motivationnels, seraient significativement associés à l’émergence du leadership transformationnel.

Antécédents liés à la personnalité

Un leader transformationnel aurait tout d’abord un caractère très sociable. Démonstratif, ce dirigeant serait à l’aise socialement et plutôt enclin à solliciter l’avis des autres pour s’informer et décider. À l’opposé, un esprit plus analytique et consciencieux serait défavorable au leadership transformationnel. Il est aussi intéressant de mentionner que les traits « exceptionnels » anticipés précédemment, tels que la créativité, l’innovation et l’humilité, ne se sont pas avérés être des indices de ce type de leadership.

D’autre part, cette recherche montre que les traits de personnalité liés au leadership transformationnel, notamment un plus haut niveau d’extraversion et un souci du détail modéré, constituent des traits, somme toute, assez communs chez les dirigeants, et ce, peu importe le style de gestion préconisé par l’individu. En d’autres mots, un gestionnaire n’a pas besoin d’avoir des caractéristiques personnelles extraordinaires pour être perçu comme transformationnel par les membres de son équipe.


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Antécédents liés au contexte

On reconnaît aussi un leader transformationnel à sa capacité de créer une culture d’innovation, de dépassement, d’initiative. Il serait particulièrement à l’aise dans des cultures organisationnelles valorisant le changement et une orientation collective. Les résultats de l’étude indiquent qu’effectivement la propre perception du gestionnaire de son contexte organisationnel influence son style de leadership. Un gestionnaire est vu comme étant plus transformationnel par son équipe lorsqu’il estime évoluer dans une organisation qui valorise la poursuite d’objectifs élevés (innovation, performance, proactivité) et promeut des valeurs humanistes (collaboration, soutien, considération).

Antécédents liés à la motivation

Finalement, les leaders qui affirment avoir de l’entrain au travail et être motivés à apprendre seraient perçus comme étant plus transformationnels. Fait intéressant : ces aspects motivationnels sont malléables et se développeraient beaucoup plus facilement, par exemple, au moyen de mandats stimulants que par des aspects liés à la personnalité. En outre, l’étude révèle que c’est davantage l’engagement du gestionnaire envers ses collègues que celui qu’il voue à l’organisation, qui constitue un facteur motivationnel clé lié à l’émergence du leadership transformationnel.

En outre, l’étude met en lumière la possibilité de sélectionner et d’assurer le développement des leaders transformationnels dans les organisations en utilisant les antécédents reconnus comme leviers d’intervention.

En conclusion, il semble que des qualités personnelles typiquement attendues du leader dans un poste de gestion (extraversion, souci du détail modéré) combinées avec sa motivation à apprendre et son engagement envers les collègues et en concomitance avec une culture organisationnelle propice représentent les conditions facilitant l’émergence de leaders transformationnels au sein de l’organisation où a été réalisée cette étude. À la lumière de ces résultats, nous pouvons nous poser la question suivante : les leaders transformationnels sont-ils nécessairement des êtres exceptionnels ou sont-ils plutôt un type d’individus plus commun que l’on pourrait le croire ?

*Article écrit en collaboration avec Liette D'Amours, rédactrice/journaliste.


Note

1 J. S. Boudrias, E. Brunelle, V. Rousseau, J.E. Phaneuf, D. Lajoie et L. A. Chénard-Poirier, (2014). « Qui sont les leaders transformationnels ? » Réponses issues d’une étude auprès d’une organisation en contexte de changement, Colloque annuel de la Société Québécoise de Psychologie du Travail et des Organisations, mai 2014.