Enchaîner les promotions est souvent perçu comme un signe de talent et de réussite. Si la valeur n’attend pas le nombre des années comme dit le proverbe, il n’est pourtant pas toujours bon d’arriver «en haut» aussi vite. Nos conseils pour éviter les sorties de route.

Le concept de carrière a bien évolué au fil des dernières décennies, laissant de côté la définition d’une trajectoire professionnelle ascendante et linéaire, pour embrasser une définition plus large : «Aujourd’hui, on considère la carrière comme l’ensemble des expériences liées au travail chez une personne», explique Sara Pérez-Lauzon, CRHA et professeure adjointe au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal.

Pour autant, l’idée de progression de carrière reste largement perçue comme hiérarchique, d’autant plus lorsqu’elle est «rapide» : «Cela sous-entend souvent des changements avec un rythme soutenu et une vitesse de progression élevée vers des postes de gestion», selon l’enseignante.

«Dans la tête de la plupart des gens, la progression rapide est une question de promotion», avance dans le même sens Alain Gosselin, fellow CRHA et professeur émérite à HEC Montréal, ajoutant que la notion peut aussi suggérer un saut de carrière «trop important, drastique».

La progression rapide, un piège?

Car tous les candidats gestionnaires ne sont pas équipés pour gérer une augmentation significative de leurs responsabilités : «Certaines personnes sont à l’aise avec l’ambiguïté. Elles prennent les défis comme des situations d’apprentissage, sont habiles politiquement. Alors que d’autres courent plus de risques de rencontrer des difficultés», soutient Sara Pérez-Lauzon.

Cela peut être le cas lorsque les candidats sous-estiment le contexte de vacance du poste, prévient Alain Gosselin : «Il est assez facile de ne voir que le positif : on va gagner en salaire et en prestige, mais il y a des angles morts.»

Parmi ceux-ci, l’ampleur de la tâche associée à la nouvelle fonction et la marque laissée par le gestionnaire sortant. En effet, remplacer une personne appréciée et restée longtemps en poste peut compliquer le travail du nouveau venu. «Il va être comparé constamment», estime le professeur, et ce, d’autant plus s’il hérite d’un département qui nécessite une mise à niveau importante.

Des conséquences pour l’employé et l’employeur

Face à un saut de carrière, les employés qui ont mal évalué leur transition font face à de grands risques, souligne Sara Pérez-Lauzon : «Un échec important peut conduire à un plafonnement ou une fin d’emploi». Un «déraillement» qui peut entamer la crédibilité et la confiance des individus.

Une personne mal préparée peut également faire du tort à l’entreprise, croit l’enseignante : «Elle va laisser aller des conflits, s’installer certains climats toxiques, ce qui peut avoir un impact sur le bien-être au travail».

Selon Michael O’Leary, vice-président régional senior au sein de l’agence de recrutement Robert Half International, ne pas choisir la bonne personne peut aller jusqu’à affecter les bénéfices de l’entreprise : «On peut détruire la culture d’une organisation, ce qui peut affecter sa productivité et son branding social», soulève-t-il, précisant qu’un choix malheureux augmente également le roulement de personnel, avec un impact négatif sur l’entreprise si celui-ci est trop élevé.

Comment faire le bon choix?

Pour éviter ces écueils, les employés qui se voient proposer une opportunité de progression rapide gagnent à faire un travail d’introspection, juge Sara Pérez-Lauzon : «Quels sont leurs objectifs de carrière, leurs aspirations, leurs intérêts? Il s’agit aussi de réfléchir à leurs forces et à leurs faiblesses pour être en mesure de se projeter dans le poste futur».

Ils doivent également se renseigner sur le terrain, soutient Alain Gosselin : «Il faut lire l’environnement dans lequel on s’en va. Le décoder avec des personnes qui ont été face au même choix. Et se demander : quel est le mandat, le niveau de difficulté? Me donne-t-on des ressources?» C’est rarement le cas, déplore l’enseignant.

Un constat que partage Sara Pérez-Lauzon : «Les organisations doivent se poser des questions quant à l’investissement qu’elles font pour accompagner les gens et assurer leur bien-être dans leur transition de carrière

Et cela commence par un meilleur processus de sélection, croit Michael O’Leary : «On doit mieux équiper les gestionnaires pour qu’ils sachent identifier si une personne va grandir dans l’organisation.» Les signaux favorables? «Un individu qui a une excellente collaboration, qui partage ses connaissances, qui se propose d’aller au-delà de ses responsabilités quand les besoins arrivent», estime le cadre.

Une tendance dictée par le marché

Alors que le Canada a annoncé en avril 2022 faire face à une «vague record de retraites au sein d’une main-d’œuvre qui vieillit», les opportunités de progression rapide de carrière pourraient se multiplier pour les jeunes employés : «Il y a un besoin des organisations de faire grandir certains individus plus rapidement qu’ils le devraient, du fait du manque de personnel», constate Michael O’Leary.

Face à la pression du marché, Alain Gosselin invite les travailleurs à prendre leur temps : «Si l’on sent qu’on n’a pas l’expérience ou développé le bon réseau de soutien, il est peut-être préférable de laisser passer. Il y aura toujours des opportunités.»