Les organisations ont toutes intérêt à offrir des cheminements professionnels stimulants à leur personnel. Mais comment les gestionnaires doivent-ils accompagner les salariés qui souhaitent évoluer pour éviter qu’ils quittent en pleine pénurie de main-d’œuvre?

Le directeur régional principal de la firme de conseil en ressources humaines Robert Half, Michael O’Leary, admet ne jamais avoir vu un contexte aussi favorable aux candidats et aux employés en 27 ans de carrière dans le recrutement. «Les employeurs doivent donc sortir de leur vision traditionnelle d’embauche axée sur les prérequis rigides comme les années d’expérience et les diplômes», prévient-il.

C’est d’autant plus vrai que la pandémie et le plein emploi se conjuguent pour donner envie à bien des employés de se recycler et de changer de domaine. On trouve ainsi sur le marché davantage de candidats plus âgés qui détiennent peu d’expérience spécifiquement reliée au poste affiché, mais beaucoup d’autres expériences professionnelles.

«On doit donc jeter un regard plus global sur leur potentiel à moyen terme et leurs qualités transférables, comme leur capacité d’apprendre, de travailler en équipe et de se développer», soutient Michael O’Leary.

Accompagner la progression des carrières

Cette approche exige toutefois de se doter de programmes de formation et de développement de carrière à l’intérieur de l’entreprise. Cela affecte aussi le rôle des gestionnaires. «Auparavant, ils étaient des superviseurs de performance, qui créaient les équipes, fixaient les objectifs, géraient les problèmes, etc., souligne Alain Gosselin, professeur honoraire à HEC Montréal. Maintenant, ils doivent devenir des accompagnateurs et des coachs de développement.»

Le gestionnaire devrait se donner les moyens d’identifier les gens que l’entreprise veut absolument garder, connaître leurs buts de carrière, en discuter régulièrement avec eux et leur offrir du soutien et des plans individualisés. «C’est le travailleur qui dirige son cheminement; le gestionnaire doit l’appuyer et l’aider à accroître ses compétences», résume Alain Gosselin.

Définir les bons objectifs de carrière

C’est un défi, car la définition de ces buts reste très personnelle et varie beaucoup entre les gens. Une étude récente réalisée par la consultante Sarah Girouard et Jacques Forest, professeur au Département d’organisation et de ressources humaines de l’UQAM1, montre que les individus aspirent à des objectifs intrinsèques, liés aux relations interpersonnelles, à la contribution sociale, ainsi qu’à l’acceptation et au développement de soi. Ils visent aussi des buts extrinsèques, comme le succès financier, l’image professionnelle et la popularité.

Ces objectifs peuvent être poursuivis pour des motifs autonomes (plaisir, intérêt, valeurs) ou contrôlés (pression de la famille, bien paraître, etc.). Or, on constate que les motivations intrinsèques et les motifs autonomes génèrent plus d’impacts positifs sur le bien-être au travail et le succès d’une carrière que les aspirations extrinsèques et les motifs contrôlés.

«Pour les gestionnaires, cela signifie que toute action qui répond à ce type de motivation s’avère bénéfique, explique Jacques Forest. À l’inverse, si l’on emploie d’autres approches, comme les récompenses pour contrôler les travailleurs, c’est moins efficace et même parfois dommageable.»

Cela démontre, selon lui, que les entreprises devraient se doter de pratiques qui leur permettent d’aider leurs travailleurs à identifier leurs aspirations professionnelles, puis de les accompagner dans le développement nécessaire pour les atteindre.

Piloter sa carrière

De son côté, le travailleur a aussi intérêt à développer un plan de carrière de lui-même. D’autant que les parcours linéaires sont devenus rares et qu’il risque de changer d’employeur plusieurs fois au fil du temps. «L’important n’est pas d’adopter un plan rigide, mais de s’assurer d’avoir une perspective sur sa carrière, afin de prendre les bonnes décisions», précise le conseiller en orientation Francis Grégoire.

La carrière ne se limite pas à une succession d’emplois. Chaque expérience peut générer l’acquisition de compétences qui permettront d’atteindre certains objectifs ou d’obtenir les postes visés dans le futur. «Si l’on n’a pas au moins une idée générale d’où l’on veut aller, c’est difficile d’amasser un bagage cohérent, ajoute Francis Grégoire. Si l’on compte sur une stratégie de carrière, on peut mieux analyser le potentiel des opportunités qui se présentent à nous.»


Notes 

1. Girouard, S. Forest, J. 2019. «A Career Path Leading to Well-being and Success.» Revue canadienne des sciences de l’administration, no 36 : 193-207.