Pour bien comprendre une situation, il faut l’examiner sous plusieurs angles. Ces dernières années, l’équipe du Groupe de recherche sur les organismes à but non lucratif (OBNL) communautaires ou culturels de HEC Montréal a réalisé des recherches – dont voici les principaux résultats – sur les enjeux de gestion et de bonne gouvernance des OBNL culturels.

Au Québec, le nombre d’OBNL ne cesse d’augmenter. On en compte environ 46 000, dont 8 pour cent sont des organismes du secteur des arts et de la culture. Ces derniers participent pleinement à l’activité économique et participent également, dans bien des cas, à rehausser la cote d’amour et la réputation internationale de plusieurs grandes villes. Il va sans dire que les OBNL artistiques et culturels ont des caractéristiques propres et qu’ils ne peuvent être gérés de la même façon que les organisations à but lucratif. Par exemple, ils sont financés  principalement par des sources de revenus gouvernementales (43 %), auxquelles s’ajoutent des revenus autonomes (42 %), des dons et commandites (11 %) et diverses autres sources (4 %).


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Compte tenu principalement de cette particularité, le ministère de la Culture et des Communications du Québec nous a demandé, en 2003, de poser un diagnostic sur certaines organisations artistiques faisant face à des difficultés financières. Comme celles-ci sollicitaient de nouvelles subventions, le gouvernement voulait s’assurer de leur longévité. Au fil des ans, 12 diagnostics – 7 dans le secteur des arts de la scène et 5 dans celui des musées – ont été posés et suivis, dans la moitié des cas, d’un processus d’accompagnement. Forts de cette première expérience sur le terrain, nous avons ensuite mené un projet intitulé Les crises financières dans le milieu des arts : prévenir plutôt que guérir, financé par le CRSH (Conseil de recherches en sciences humaines) de 2006 à 2012. Ce projet nous a notamment permis de comprendre les principales causes à l’origine des crises financières dans les OBNL artistiques du Québec, à savoir une diversification trop grande des activités (motivée principalement par la recherche de sources de financement) ou encore le besoin de se doter de nouvelles installations (rénovations, agrandissements, nouvelles constructions).

Dans tous les cas étudiés, l’accroissement des activités ou les projets d’infrastructures avaient engendré une augmentation des dépenses d’opération sans que des revenus supplémentaires correspondants soient générés. Il s’est aussi avéré que les informations financières étaient rarement détaillées ou souvent présentées tardivement au conseil d’administration (CA)  par la direction générale ou artistique (DG/DA). Brièvement, nos observations sur le terrain ont fait ressortir qu’il existait un besoin de précision des rôles et responsabilités dans la structure décisionnelle, une certaine confusion entre plan stratégique et plan d’action, un besoin plus grand de partage d’une mission et d’une vision claires ainsi qu’un trop faible recours à l’expertise des membres du CA par les gestionnaires. Parmi les pistes de solution proposées alors figuraient :

  • la sélection de profils déterminés pour le choix de membres du CA en fonction des besoins de l’organisation;
  • l’élaboration conjointe (CA – DG/DA) de plans stratégiques;
  • la mise en place d’outils de gouvernance et de reddition de comptes sur la mission et la gestion financière.

Par ailleurs, devant un autre constat – soit l’analyse déficiente de l’environnement externe des organisations –, nous avons conçu et testé un cadre d’analyse servant à mesurer la compréhension que pouvaient avoir les membres du CA et les gestionnaires de certaines zones de risques comme la concurrence dans le secteur, les enjeux légaux et socioéconomiques ou encore les relations avec l’ensemble des partenaires et des parties prenantes. Nous avons de plus observé certains modes de comportement dans les relations entre les membres du CA et les gestionnaires au cours des trois différentes phases d’une crise, évoluant entre confiance et méfiance. Enfin, nous avons constaté que la gouvernance s’exerce différemment selon les types d’OBNL culturels et que les relations entre les membres du CA et les gestionnaires pouvaient varier selon trois différents types de configuration de gouvernance (voir l’encadré). Une étude sur les organismes performantsPlus récemment, le ministère de la Culture et des Communications nous a demandé de poursuivre nos travaux afin de mieux comprendre les enjeux de gestion et de gouvernance dans les organismes jugés performants. En d’autres mots, nous devions étudier des organismes considérés être « en bonne santé organisationnelle et financière » par les bailleurs de fonds : des organismes affichant à la fois une programmation de qualité et une absence de déficit accumulé (ou un déficit cumulé de moins de 10 pour cent des revenus de la dernière année). À partir d’un échantillonnage de convenance composé d’une vingtaine d’OBNL, nous avons retenu 11 organismes, avec une représentativité selon la taille, le secteur d’activités et la région géographique. Puis nous avons interrogé les présidents des CA ainsi que les DG ou DA de ces organismes. Notre attention a porté sur les mécanismes et les pratiques négligés par les organismes en crise étudiés précédemment et ce, en lien avec trois grandes catégories d’enjeux

  • Les enjeux de gouvernance : rôles et responsabilités de gouvernance, relations entre les membres du CA et les DG/DA, suivi du travail du CA, recrutement des administrateurs;
  • Les enjeux de développement : planification stratégique, veille de l’environnement externe, relations avec les bailleurs de fonds;
  • Les enjeux de gestion : mesures des résultats, gestion financière, gestion des ressources humaines, communications internes, gestion des risques.

De nouveaux résultats

Voici, de façon succincte et non exhaustive, quelques-uns des résultats émanant de cette dernière recherche : Dans la majorité des cas, le rôle perçu du CA se rapporte principalement à l’orientation de la mission et à la surveillance de la gestion. Les fonctions liées à la conformité, à la planification, à la fonction conseil, au financement, à l’analyse de l’environnement externe et aux relations avec la communauté sont peu ou pas évoquées. Dans la moitié des cas, on note un partage des rôles et des responsabilités entre les CA et les DG/DA.

  • La majorité des organismes ont des mécanismes de gouvernance et de gestion plutôt informels. Ils sont mieux outillés pour analyser leur santé financière que pour mesurer les résultats des activités ou des services liés à leur mission. Les mécanismes de gestion formels se trouvent principalement dans les organismes où la relation CA – DG/DA est axée sur la collaboration.
  • Peu d’organismes ont mis en place des processus formels de planification stratégique. Cependant, les membres des CA s’impliquent dans la majorité des cas dans le processus, informel, mais rarement dès le début.
  • Les membres du CA exercent une veille de l’environnement externe qui porte principalement sur les dimensions culturelle et artistique et sur les enjeux politiques.  Les dimensions socioéconomique et légale sont peu surveillées.
  • La majorité des organismes ont des mécanismes de gestion des ressources humaines formels, mais peu font usage d’outils de communication interne.
  • La gestion des risques représente une préoccupation certaine, sans qu’il y ait toutefois de démarche formelle en ce sens dans la majorité des cas.
  • Il semble y avoir une corrélation entre la formalisation des mécanismes et des pratiques et la configuration de gouvernance conventionnelle.

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Trois facteurs clés de succès

En comparant les résultats de cette recherche à ceux de nos recherches précédentes sur les crises financières dans le secteur des arts, nous pouvons avancer qu’il existe trois principaux facteurs clés de succès à la base de la santé organisationnelle et financière des OBNL culturels.

  1. Une saine gestion, soit la présence de mécanismes – formels ou informels – pour l’ensemble des éléments se rapportant à la gestion et à la gouvernance.
  2. Une présence de mécanismes formels et systématiques pour l’analyse de la santé financière (suivis financiers réguliers et exercice de contrôles internes efficaces) et la gestion des ressources humaines (politiques, descriptions de tâches, évaluations).
  3. Une concordance entre la dynamique de la relation CA – DG/DA et la configuration de gouvernance de l’organisme.

Pour la suite des choses, nous espérons pouvoir produire d’ici peu un outil en ligne permettant aux OBNL culturels de faire un diagnostic de leurs lacunes sur le plan de leur gouvernance. Nous souhaitons également mener des recherches longitudinales dans le but de recueillir plus de données sur les comportements des acteurs, sur les changements dans les configurations de gouvernance, sur l’influence de la dynamique de la relation CA – DG/DA et sur l’influence des changements dans l’environnement externe des organismes sur leur gouvernance. Les communautés scientifique et culturelle pourraient tirer profit de ces études, tout comme les bailleurs de fonds, qui auraient ainsi plus d’outils pour évaluer la santé organisationnelle et financière des OBNL subventionnés.