Les personnes neuroatypiques font timidement leur place sur le marché du travail. Une progression lente, souvent difficile. Les entreprises auraient pourtant beaucoup à gagner en tenant compte de la neurodiversité dans leurs pratiques. 

De façon générale, les neuroatypiques sont sous-employés ou non employés, remarque Fran Delhoume, analyste EDI chez URelles, un cabinet-conseil en diversité et inclusion. «Il y a eu des progrès et à cet égard, la pandémie a aidé en généralisant le télétravail par exemple. Mais les obstacles sont encore nombreux», juge-t-elle. «Beaucoup de croyances neuronormatives guident les pratiques en entreprise et une réflexion approfondie devrait être menée à ce sujet», poursuit-elle.

Si les organisations possèdent une certaine expertise au niveau du handicap physique et savent mettre en place des aménagements ergonomiques, elles se sentent plutôt démunies du côté de la neuroatypie, explique Claire Stride, consultante française en intelligence relationnelle et émotionnelle, experte en neurosciences et diversité et conférencière. Le défi? «Laisser de la place à l’unicité, opter pour le sur mesure, et surtout, instaurer un climat de confiance pour ouvrir la discussion, sans toutefois caricaturer ni stigmatiser», ajoute-t-elle. 

Alors, que peuvent faire les entreprises pour adapter leurs politiques de gestion et de recrutement de personnel et ainsi mieux accueillir la neurodiversité?

Comprendre, ouvrir le dialogue et s’adapter

Pour créer un environnement neuroinclusif en milieu de travail, Fran Delhoume estime que dès le départ, il faut faire preuve de proactivité et d’agilité. «Les gestionnaires devraient prendre conscience de leurs propres biais pour pouvoir accueillir les personnes neuroatypiques sans tomber dans leurs référents, et se demander de quoi elles ont véritablement besoin», recommande-t-elle.

À cet égard, la formation et la sensibilisation sont essentielles pour permettre aux gestionnaires de mieux saisir les enjeux, venir à bout des idées reçues et des préjugés. «Chaque cas est unique en soi, et les gestionnaires agiles qui font preuve d’une bonne capacité d’adaptation et de compréhension seront les mieux outillés pour relever le défi et assurer une bonne cohésion d’équipe», mentionne Sébastien Arcand, professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal, qui tient à préciser qu’il ne se pose pas en tant que spécialiste de la question de la neurodiversité. 

Sa collègue Nadine Vaillant, maître d’enseignement au Département de management de HEC Montréal, émet la même mise en garde à son sujet, et ajoute que les gestionnaires devraient aussi créer des espaces de communication et de discussion pour aider les membres de l’équipe à mieux se comprendre. «Par exemple, plusieurs personnes neuroatypiques ont de la difficulté à saisir l’implicite comme les aspects non verbaux, ce qui peut entraîner des défis d’interprétation. En ouvrant le dialogue, la personne pourrait préciser quel est son mode de fonctionnement, et de son côté, le gestionnaire cernerait mieux les limites que cela suppose», explique-t-elle. Autrement dit, l’écoute est l’une des pièces maîtresses de la réussite. 

Des mesures faciles à mettre en place

Mais les embûches ne manquent pas sur le chemin de l’inclusion de la neurodiversité, et plusieurs entreprises en restent au stade des vœux pieux. 

Selon une enquête[1] réalisée par le Conference Board du Canada en collaboration avec le Centre des Compétences futures, bien que la plupart des répondants aient convenu que les employés neuroatypiques devraient bénéficier d’un soutien en milieu de travail, peu d’organisations en offrent.

Pour améliorer ce bilan, le rapport met de l’avant des recommandations pour bonifier l’expérience en milieu de travail des neuroatypiques. Il s’agit de trois mesures à déployer en priorité, à savoir : communiquer plus efficacement de quelle façon les employés peuvent profiter des mesures d’adaptation appropriées; mettre sur pied de la formation de sensibilisation à l’échelle de l’organisation; et enfin, offrir une plus grande flexibilité dans les horaires et le lieu de travail.

De plus, il existe de nombreuses mesures faciles à instaurer pour simplifier la tâche des employés neuroatypiques, par exemple leur donner le choix d’exercer leur métier là où ils se sentent le mieux et où sont le plus productifs, indique le rapport, en leur permettant de travailler en mode hybride et selon un horaire souple. «On peut aussi offrir des espaces de travail fermés, un éclairage que l’on peut régler soi-même, normaliser les coquilles antibruit pour limiter les sources de distraction, donner à tous l’accès à des logiciels de correction comme Antidote», énumère Fran Delhoume, précisant que ces mesures seraient d’ailleurs bénéfiques à l’ensemble des employés.

Au niveau du recrutement, une organisation ouverte à la neurodiversité pourrait envoyer à l’avance les questions d’entrevue aux candidats, et leur donner la possibilité de passer l’entretien d’embauche selon le moyen de communication avec lequel ils seront le plus à l’aise (par téléphone, courriel ou virtuellement).  

«Au lieu de demander à la personne de changer et de s’adapter à son environnement de travail, c’est ce dernier qui devrait offrir les opportunités», conclut Fran Delhoume. Un principe de base à appliquer pour que les organisations puissent intégrer plus harmonieusement la neurodiversité.


Note

[1] Créer des milieux de travail où les travailleurs neuroatypiques s’épanouissent. Novembre 2022.