Article publié dans l'édition printemps 2018 de Gestion

Les entreprises dont la croissance est forte et rapide ont généralement des dirigeants qui savent bien s’entourer. En fait, ces leaders ont souvent recours à des facilitateurs. Ces personnes jouent un rôle crucial et complémentaire à celui des créateurs d’entreprise en rendant possible ce qui, à première vue, semblait impossible.

L’entrepreneur est souvent vu comme un héros solitaire. Mais la réalité est tout autre. La capacité de bien s’entourer est un élément clé en ce qui concerne les possibilités de développement et de croissance d’une entreprise. Cela commence fréquemment par un partenariat où un des entrepreneurs est le leader en ce qui a trait à la vision et à la conception du produit initial, tandis que l’autre est le leader en matière de création de processus qui permettent de faire en sorte que les projets se réalisent à un rythme accéléré.

Les duos puissants

Hewlett-Packard ne serait sans doute jamais devenue la multinationale à succès qu’on connaît sans la complicité de Bill Hewlett et de Dave Packard. Sans Steve Wozniak, Steve Jobs n’aurait pas été en mesure de lancer le premier ordinateur personnel, qui a permis à Apple de voir le jour. La connivence étroite entre Yves St-Laurent et son adjoint et compagnon de vie Pierre Bergé est bien connue. Plus près de nous, il faut souligner le rôle de complémentarité joué par Louis Michaud, l’associé de Jean Coutu, et par Daniel Gauthier, le partenaire de Guy Laliberté.

Les collaborateurs qui deviennent des facilitateurs ne sont pas toujours des associés dans la propriété de l’entreprise, bien qu’ils participent la plupart du temps à l’actionnariat. Ainsi, Steve Ballmer a joué un rôle fondamental pendant plusieurs années à la direction de Microsoft sans pour autant être partenaire de Bill Gates. Pierre Nelis a joué un rôle déterminant dans le développement des marchés de Softimage en tant que vice-président à l’exploitation sans être partenaire de Daniel Langlois ni de Bill Gates, qui a acquis cette entreprise par la suite. Même chose chez Couche-Tard avec Réal Plourde, directeur de l’exploitation puis vice-président exécutif, qui a œuvré pendant deux décennies comme bras droit du PDG Alain Bouchard.

Pourquoi et comment se forment ces duos de complicité entre un entrepreneur et un facilitateur ? La réponse n’est pas simple, car il existe un grand nombre de scénarios. Cela commence bien souvent par une complémentarité profonde, une connivence, une complicité, qui se développent entre un entrepreneur et un collaborateur. Deux personnes se trouvent ainsi rapidement sur la même longueur d’onde Dans un élan mobilisateur pour aller toujours plus loin. On peut d’ailleurs penser qu’une des principales caractéristiques d’un entrepreneur consiste à impulser un mouvement autour de soi et non seulement à introduire une innovation.

Le pourquoi et le comment de la facilitation

La volonté de croître de l’entrepreneur est au centre de la dynamique qui le conduit à visualiser l’endroit qu’il désire occuper dans un marché. Ces lignes directrices servent ensuite à établir une structure et des critères de recrutement et de sélection des personnes dont il va s’entourer. En effet, l’entrepreneur a besoin d’aide pour s’organiser et pour réaliser sa vision.

Par la suite, c’est au moyen d’un processus de communication dynamique que l’entrepreneur arrive à mobiliser les collaborateurs qui deviendront des facilitateurs. Ces personnes n’ont pas pour tâche de construire de simples murs de pierre mais d’ériger une véritable cathédrale. Pour les gens qui pratiquent le nouveau métier de facilitateur, il n’est pas suffisant d’être maçon. En intériorisant la vision de l’entrepreneur, les facilitateurs agissent de façon créative et innovatrice afin d’en permettre la réalisation.

Le développement de la facilitation

Les critères qu’un entrepreneur doit prendre en compte pour découvrir et recruter un facilitateur sont fondés non seulement sur les expertises requises mais aussi sur la confiance en la personne choisie. On peut comparer ce processus à la constitution d’une équipe sportive gagnante : on mise à la fois sur les expertises essentielles et sur la complémentarité des joueurs en alliant tâches, personnalités et idéal commun à réaliser.

Contrairement à ce qu’on pense trop souvent, le comportement créatif de l’entrepreneur ne suffit pas à assurer son succès. Il doit aussi faire preuve d’un jugement sûr et d’une grande capacité à évaluer le degré de confiance qui pourra s’établir entre lui et ses collaborateurs. Dès le départ, la relation avec un facilitateur doit être fondée sur une loyauté réciproque à toute épreuve.

La méfiance est source de fragilité, qui engendre à son tour des jeux de pouvoir et des tensions. Elle est à l’origine de toutes sortes de dysfonctionnements organisationnels. La méfiance engendre et nourrit la méfiance. Elle est un frein au développement de relations porteuses d’initiatives.

À l’inverse, la confiance suscite la confiance. Elle permet d’instaurer un climat sain qui ne peut être que bénéfique à toute entreprise. Elle favorise le bouillonnement d’idées et la convergence d’énergies créatives. Elle conduit vers plus d’assurance et plus d’audace. La confiance réciproque qui se développe au sein d’un duo gagnant fait naître des liens forts et vigoureux.

La confiance contribue à l’épanouissement des personnes et de l’organisation. Quand un climat de confiance existe, la loyauté entre les parties prenantes ne s’en porte que mieux. La fidélité du confident discret, de l’éminence grise éclairée, du second efficace ou du bras droit loyal renforce la crédibilité de toutes les personnes concernées. Chacune d’elles assume des fonctions de complémentarité dans une dynamique organisationnelle empreinte de fiabilité. L’accélération du développement de l’entreprise débouche sur des activités de plus en plus complémentaires sans qu’il y ait un contrôle exagéré des activités de l’un et de l’autre.

Complémentarité des activités et des rôles entre entrepreneurs et facilitateurs

Lorsque la confiance réciproque règne, le système organisationnel devient de plus en plus innovant. Il fonctionne aussi de plus en plus vite, car tout le monde est sur la même longueur d’onde. L’entrepreneur et le facilitateur abordent alors une phase où ils n’ont plus à se parler du comment faire : ils peuvent dès lors se concentrer sur le que faire. Chacun acquiert les aptitudes requises pour s’acquitter de son rôle avec brio et à une vitesse toujours plus élevée.

La facilitation, un nouveau domaine de gestion

Les économies performantes produisent des gazelles, c’est-à-dire des entreprises à forte croissance qui deviennent des leaders dans leurs secteurs d’activité respectifs. D’ailleurs, il s’agit de plus en plus souvent d’entreprises qui inventent ou réinventent un secteur. L’étude de ces entreprises montre que le fait de savoir s’entourer constitue un facteur déterminant qui explique ces croissances rapides. Le marketing n’est plus la seule dimension principale à l’origine de ces réussites : en effet, la gestion éclairée des ressources humaines est tout aussi importante.

Les écoles et les centres de formation en gestion et en entrepreneuriat doivent maintenant réfléchir à l’enseignement de la facilitation. Ils donneront ainsi aux gens qui veulent se distinguer l’occasion de sortir du moule et d’éviter les rôles organisationnels plus traditionnels en leur ouvrant les portes de l’entrepreneuriat.

Les facettes du duo

Qu'est-ce qui nourrit une relation réussie entre des entrepreneurs et des facilitateurs ? Les caractéristiques suivantes illustrent bien ce qui motive les activités et les rôles de chacun.

ENTREPRENEUR

FACILITATEUR

Rêve de changer le monde Veille à doter l'organisation des ressources nécessaires pour changer le monde
Fortement stimulé par les idées transformationnelles Fortement motivé par la mise en place de systèmes d'activité ingénieusement conçus et éprouvés
Motivé par la compréhension et par l'anticipation en ce qui a trait aux marchés potentiels Élabore des processus d'analyse rigoureux pour évaluer le potentiel de marchés futurs
Conçoit des visions Comprend, interprète et met en oeuvre les activités innovantes afin de réaliser les visions de l'entrepreneur
Peut conduire l'entreprise à un haut degré de risque Réfractaire au risque : travaille méthodiquement et avec acharnement afin de le réduire
Travaille souvent comme un artiste, c'est-à-dire en repoussant les limites Aime établir des balises et des limites afin de réduire l'incertitude
Maintien de nombreux contacts avec le monde extérieur à l'entreprise Connaît l'organisation, les personnes, leurs compétences et se consacre à mieux mettre en valeur leur potentiel
Manifeste son énergie créative en concevant ce qui n'a jamais existé Manifeste son énergie créative dans des processus innovateurs destinés à réaliser ce qui n'a jamais existé

Pour aller plus loin

Du même auteur : artistes, créateurs et entrepreneurs, Montréal, Del Busso éditeur, 2017 ;  Entreprendre et savoir s’entourer, Montréal, Éditions de l’Homme, 2017 ; La Croissance d’entreprise : vision, agilité et doigté, Montréal, Éditions JFD, 2015.