Bien quon en parle de plus en plus, les cultures toxiques restent omniprésentes dans les milieux de travail. Celles-ci se maintiennent au détriment du bien-être des employés et des gestionnaires, en plus davoir un effet réel sur limage que les organisations projettent. Mais quels sont donc les mécanismes qui contribuent à leur maintien, malgré tous les efforts et les investissements mis de lavant par les entreprises afin de favoriser des milieux de travail sains?

Différentes pratiques, croyances ou procédures contribuent à renforcer la présence d’une culture toxique dans une entreprise : l’obsession du profit ou de la performance, des valeurs organisationnelles désincarnées, des politiques mal appliquées, ou encore la tolérance de la direction à l’égard des comportements toxiques.

Le profit et la performance à tout prix

Les cultures organisationnelles qui priorisent le profit, la croissance et la performance, au détriment du bien-être des employés et des gestionnaires, risquent d’être toxiques ou de le devenir1. En effet, au nom du profit ou de la performance, les comportements toxiques sont souvent ignorés ou banalisés. Les gestes abusifs d’un dirigeant peuvent par exemple être tolérés sous prétexte que celui-ci atteint ou surpasse les objectifs financiers fixés par l’organisation. Résultat? La direction protège cette personne des possibles conséquences liées à ses écarts de conduite. Si le seul objectif de l’entreprise est l’atteinte des résultats financiers ou d’autres indicateurs de performance, des gestionnaires au comportement abusif envers les employés pourraient même obtenir des primes à la fin de l’année pour l’excellence de leur rendement. Ces sociétés constituent donc un terrain fertile qui facilite l’enracinement d’une culture toxique où les comportements de harcèlement et d’incivilité bourgeonnent.

Les comportements d’incivilité, bien qu’étant parfois moins visibles et moins sévères que les comportements de harcèlement, ont des répercussions sur la santé psychologique du personnel2. Dans les milieux où dominent la performance et les profits aux dépens de l’humain, les employés et les gestionnaires sont parfois portés à s’isoler lorsqu’ils font face à des difficultés, à éviter toute forme de soutien, par peur d’être jugés ou catégorisés comme trop sensibles ou incompétents. Ils voient ainsi leurs possibilités d’avancement dans l’organisation réduites.

Des valeurs organisationnelles qui ne sont que des mots

En plus d’être au cœur des décisions, des actions et des messages communiqués dans l’organisation, les valeurs organisationnelles doivent être mises en pratique. L’intégrité organisationnelle est un élément important afin de créer une culture empreinte de confiance. Lorsque les entreprises prônent par exemple des valeurs de respect, d’équité, de sécurité et de bien-être, les employés s’attendent à ce que ces valeurs soient incarnées dans les pratiques mêmes de l’entreprise.

Les entreprises qui agissent à l’encontre de leurs valeurs en n’intervenant pas lorsque des gestes irrespectueux sont posés, celles qui demandent aux employés et aux gestionnaires d’en faire toujours plus avec moins, ou encore celles qui ne reconnaissent pas les contributions de chacun des travailleurs, en viennent à brimer la confiance de ces derniers, ce qui fait augmenter leur cynisme. Une organisation qui présente une culture inclusive ou environnementale, mais où les pratiques ne sont pas en harmonie avec ce message, ne manquera pas de créer des frustrations chez ses employés, qui finiront par partir et qui n’hésiteront pas à parler de leur mauvaise expérience de travail dans leur réseau. Cela aura pour effet de nuire non seulement à la réputation de l’entreprise, mais aussi à sa marque employeur et à sa capacité d’attirer de nouveaux talents. En effet, les études démontrent que les candidats recherchent une entreprise imprégnée d’une culture qui soutient ses employés plutôt qu’une culture qui encourage la compétition.

Des politiques mises en œuvre de façon inappropriée

À la suite des récents mouvements sociaux comme #MeToo et #BlackLivesMatter, les organisations se sont empressées de créer, d’implanter ou de revoir leurs politiques en matière de harcèlement, d’équité, de diversité et d’inclusion. Cependant, l’application de ces politiques n’est pas toujours optimale dans les entreprises où les plaintes de harcèlement et de discrimination sont gérées de façon inadéquate. Cela confère parfois un avantage injuste aux personnes qui adoptent un comportement néfaste, ce qui envoie aux victimes le message qu’elles ne seront pas protégées ni soutenues par leur organisation.

Une politique, aussi claire et complète soit-elle, ne sera utile que si elle est bien appliquée. Lorsque les plaintes sont traitées inéquitablement et que les actions prises servent à protéger l’oppresseur plutôt que la victime, les employés deviennent cyniques. Une méfiance peut alors s’installer et plusieurs d’entre eux pourraient vouloir quitter l’organisation. Lorsqu’il n’y a pas ou très peu de conséquences pour les employés et les gestionnaires qui manquent de respect envers les autres ou qui agissent à l’encontre des valeurs de l’entreprise, il y a en place tout ce qu’il faut pour favoriser l’émergence d’une culture toxique.

Une gestion permissive à l’égard des comportements toxiques

Plusieurs sociétés ferment les yeux sur la façon dont les individus obtiennent les résultats souhaités. Par exemple, si un gestionnaire atteint les objectifs financiers qui lui ont été fixés, il recevra des récompenses et de la reconnaissance. Cependant, on se questionne rarement sur les moyens utilisés pour atteindre ces objectifs. Y a-t-il eu des départs pour cause de maladie, des démissions ou des mouvements de personnel injustifiés?

Trop souvent, la haute direction décide de fermer les yeux devant certains comporte- ments, soit parce qu’elle considère que le rendement est plus important que le bien-être des employés, soit parce que les dirigeants ne disposent pas des moyens pour agir ou parce qu’ils craignent de diffuser une image négative. Le message qui est alors envoyé aux gestionnaires et aux employés est que les comportements toxiques sont tolérés et que les victimes ne seront pas protégées.

Les cultures toxiques sont encore présentes dans les milieux de travail entre autres parce qu’elles représentent une façon de voir le rôle des entreprises et le rôle du leader qui est uniquement basée sur le profit et la performance. Tant que la haute direction ne sera pas prête à faire passer les gens avant les profits et qu’elle fermera les yeux sur les comportements malsains, nous continuerons à voir des cultures toxiques prospérer dans les organisations.

Quelques pistes de solution

Que faut-il faire alors pour favoriser une saine culture organisationnelle? Voici quatre actions qui pourraient encourager les comportements positifs dans les entreprises.

1 - Revoir la définition désuète du rôle de leader

«Ce n’est pas la responsabilité du leader de s’assurer du bien-être des employés.» Combien de fois avons-nous entendu cette phrase dans les organisations? Il est vrai que le gestionnaire n’est pas le seul responsable du bien-être des employés, mais il en est un facteur important, qu’il le veuille ou non3. En effet, les comportements du dirigeant qui influent le plus sur la satisfaction des employés ou leur intention de quitter l’entreprise sont les compétences interpersonnelles et non les compétences liées à la tâche4.

Il est donc grand temps que les entreprises revoient leur définition de ce qu’est un bon leadership et qu’elles se munissent de processus afin de recruter des gestionnaires démontrant des compétences interpersonnelles qui leur permettront de créer une culture positive.

2 - Effectuer une meilleure sélection des gestionnaires

Il est impératif que les profils de gestionnaires incluent les compétences interpersonnelles suivantes : l’humilité, l’écoute, l’empathie, l’intégrité, l’ouverture à l’autre et l’honnêteté. Les bons dirigeants doivent donc posséder les compétences humaines nécessaires pour gérer des équipes en santé et pour créer une culture saine.

Malheureusement, plusieurs organisations se laissent charmer par des candidats qui possèdent un grand charisme, qui font de belles promesses, qui se vendent très bien et communiquent leurs idées avec aplomb. Attention, cependant, car ceux-ci cachent parfois une personnalité sombre qui, une fois qu’ils sont embauchés, mène à des comportements toxiques ayant des effets très négatifs sur les employés qu’ils gèrent5.

3 - Implanter des services confidentiels pour la dénonciation des comportements négatifs

Les études ont démontré que les organisations qui se sont dotées de lignes téléphoniques confidentielles permettant aux employés de rapporter les comportements douteux sont moins à risque de fraude organisationnelle. La mise en place d’un processus confidentiel portements toxiques comme l’incivilité, l’abus de pouvoir, la discrimination et le harcèlement en milieu de travail pourrait donc permettre une intervention plus rapide, minimisant ainsi les dommages.

Bien évidemment, l’entreprise doit faire des vérifications pour chaque rapport reçu et agir rapidement, soit en lançant une enquête ou en prenant des mesures appropriées. La protection de l’anonymat est essentielle afin d’éviter tout geste de représailles envers les personnes dénonciatrices. Pour que ce processus fonctionne, la haute direction doit avoir le courage d’agir. Les employés doivent aussi avoir confiance qu’ils seront protégés et soutenus.

4 - Mettre en place un processus d’entrevues de départ

Trop souvent, on tente de justifier le départ d’un employé en fonction d’éléments hors du contrôle de l’entreprise, et ceux-ci sont multiples. Par exemple, la personne part pour relever de nouveaux défis ou elle a eu une meilleure offre ailleurs. Si les employés quittent leur emploi, ce n’est pas seulement pour en obtenir un meilleur. Il faut comprendre que c’est parce que l’employeur actuel ne répond pas à leurs besoins. Les organisations se doivent de connaître les raisons qui poussent leurs employés et leurs gestionnaires à partir et qui pourraient être liées à une culture toxique.

Il est important de prendre le temps, chaque année, de bien analyser et de bien comprendre les mouvements des employés (départ de l’entreprise ou départ d’une équipe vers une autre). Les équipes ou les services où l’on observe un roulement plus élevé que la moyenne pourraient être aux prises avec des situations difficiles nécessitant une intervention.

Article publié dans l’édition Printemps 2024 de Gestion


Notes

1 - Namie, G., «Workplace bullying: Escalated incivility», Ivey Business Journal, vol. 68, n°2, 2003, p. 1-6.

2 - Labelle-Deraspe, R., et Mathieu, C., «Exploring incivility experiences of marginalized employees : Implications for psychological distress», Current Psychology, 2023, p. 1-16.

3 - Gilbreath, B., et Benson, P. G., «The contribution of supervisor behaviour to employee psychological well-being», Work & Stress, vol. 18, n°3, 2004, p. 255-266.

4 - Mathieu, C., Fabi, B., Lacoursière, R., et Raymond, L., «The role of supervisory behavior, job satisfaction and organizational commitment on employee turnover», Journal of Management & Organization, vol. 22, n°1, 2015, p. 113-129.

5 - Mathieu, C., Dark Personalities in the Workplace, Cambridge, Academic Press, 2021, 262 pages.