«Le Web est à l’aube d’une mutation profonde, porteuse d’un nouvel espoir : le Web3», prédit Caroline Faillet, experte en stratégie digitale. Face aux maîtres actuels du cyberespace, la reprise du pouvoir par les utilisateurs dépendrait de nouveaux usages du Web. Scénarios de reconquête et nouveaux modèles d’affaires sont au cœur de cette enquête passionnante.

«La période héroïque du Web, dans les années 1960 et 1970, avait rassemblé des militaires, des passionnés d’informatique, des universitaires; l’échange de fichiers d’un ordinateur à l’autre grâce à un protocole commun avait représenté une vraie aventure», mais aussi la promesse d’un Internet libre et décentralisé, raconte Caroline Faillet.

Quelques décennies plus tard, les «GAFAM» (Google, Apple, Facebook-Meta, Amazon et Microsoft) sont les entreprises les plus riches et les plus puissantes au monde. Mais ces complices de tous les jours sont loin d’être nos meilleures amies tant leurs pratiques sont sujettes à caution (captologie, ciblage publicitaire, revente de données personnelles) et produisent des conséquences économiques et sociales majeures (rachat des concurrents, renforcement des monopoles, fermeture de commerces, etc). Alors que les GAFAM règnent sur l’économie des comportements et exacerbent les dépendances, un nouveau monde numérique serait pourtant en train d’apparaître, présageant peut-être la fin de la domination des géants du numérique et de notre asservissement à leurs outils.

Web3, la nouvelle guerre digitale

Caroline Faillet, Web3, la nouvelle guerre digitale – reprendre le pouvoir aux géants du numérique, Éditions Dunod, 2022, 240 p.

Contre-pouvoirs

Qui peut ou va mener cette guerre digitale à venir? Alors que certains États, comme les États-Unis et la Chine, tentent d’asservir la technologie au profit de leur hégémonie, que des entreprises européennes préfèrent s’allier aux GAFAM, il appartient aux consommateurs, aux entrepreneurs et aux entreprises de reprendre le pouvoir numérique des mains des géants. «Le monde numérique a toujours en réalité été modelé par la force des usages», rappelle Caroline Faillet. Comment modifier ces usages? L’experte détaille dans son livre plusieurs types de stratégies pour s’emparer du Web en utilisant cette rupture technologique que constitue le Web3.

Un tournant : la Tokenisation des stratégies digitales

L’idée du Web3 n’est pas de quitter les infrastructures actuelles ou de révolutionner sa stratégie digitale, mais bien d’adapter cette dernière par l’intégration de nouvelles composantes du Web décentralisé.

L’idée est aussi de conserver les invariants performants correspondant à ces quatre usages du Web : la recherche d’information et son référencement; la recommandation par les avis et les critiques positives d’influenceurs et d’usagers; le relationnel issu du Web des données de clients et l’expérience sans rupture entre la stratégie digitale et le magasin physique.

À cela s’ajoute l’hybridation de ces dispositifs par l’ajout de tokens[1], un principe de récompense qui mobilise quatre types d’incitations : statutaire, aspirationnel, financier et participatif. L’objectif devient alors de «créer un lien direct avec les parties prenantes pour ne plus dépendre, à terme, des géants du numérique; faire fructifier les assets (actifs) en offrant de nouvelles opportunités d’investissement aux parties prenantes, donc proposer un nouveau partage de la valeur; développer un nouvel écosystème de projets, de services, d’outils, donc une nouvelle économie de la propriété avec les membres et les parties prenantes, à travers une vision partagée des projets».

Enfin, Caroline Faillet propose dans son ouvrage la mise en œuvre de stratégies d’occupation et de recommandation, relationnelles et phygitales[2]. Une façon pour les utilisateurs de se réapproprier le cyberespace et d’empêcher les algorithmes des GAFAM de dicter leurs opinions et leurs décisions.


Notes

[1] Token (jeton) : cryptoactif qui repose sur une chaîne de blocs (blockchain) préexistante, à la différence du coin qui repose sur sa propre chaîne de blocs (d’après la définition de l’auteure).

[2] Phygital : contraction des termes physique et digital, désigne la fusion entre le magasin physique et l’univers numérique. Les stratégies phygitales doivent permettre de proposer une expérience fluide entre le monde physique et le monde digital.