C’est bien connu : les changements ne plaisent pas à tout le monde. Si certaines personnes se sentent irritées ou inconfortables face à ces transformations, d’autres vont tout simplement y résister. Pour surmonter cette réaction, encore faut-il en comprendre les sources.

Certaines personnes sont mieux disposées face aux transformations que d’autres, explique Pierre Lainey, maître d'enseignement au Département de management de HEC Montréal. «L’une des cinq grandes dimensions à la personnalité, c'est l'ouverture à de nouvelles expériences. Ainsi, certains apprécient le changement et d’autres le détestent, ce qui crée de la résistance.» Ceux qui ont un piètre sentiment d’efficacité personnelle ou ressentent un grand besoin de routine auront aussi tendance à appliquer les freins, ajoute Céline Bareil, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal.

Cependant, rares sont les personnes qui opposent une réelle résistance face aux transformations, nuance-t-elle. «Tout changement imposé engendre de l'inconfort entre le passé qu'ils connaissent et un avenir incertain. En fait, les gens se trouvent souvent dans une posture d’ambivalence entre le statu quo qu'ils apprécient, qui ne leur demande pas d'efforts, et une nouvelle posture dans laquelle ils doivent avoir confiance pour se dire que ce sera mieux que ce qu’ils connaissent.»

Ce qui fait naître des «émotions et des préoccupations tout à fait légitimes» qui, si elles ne sont pas entendues et reconnues, peuvent démobiliser les personnes, soulève la spécialiste. «C’est normal d’avoir certains questionnements quand on modifie la nature de son travail, ses tâches ou son environnement de travail.» Toutefois, le simple fait de les évoquer n’est pas en soi un signe de résistance, mais au contraire un indice qu’on est déjà impliqué dans cette transformation, fait-elle valoir.

La peur de perdre

Parmi les sentiments qui incitent les travailleurs à montrer certaines réticences face aux transformations, la peur arrive au premier rang, constate Caroline Ménard, présidente et associée chez Brio, boutique de management. «Le changement, ça décoiffe toujours un peu. Devant l’inconnu, on craint de perdre quelque chose, que ce soit son statut ou l’accès direct que j’avais au vice-président, par exemple. On peut se demander si on va être aussi bon qu’avant ou s’inquiéter d’être dépassé si l’organisation embauche des nouveaux avec un profil différent», dit-elle.

«De la même manière, si je travaille dans un secteur où on modernise les activités de mon entreprise, qu’un jour, je suis compétent et que le lendemain, je suis "passé date", c’est certain que cela va créer beaucoup de résistance, car il s’agit d’un changement dans la culture de l’entreprise, dans la valeur qu’on accorde à mon travail», affirme le professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal, Kevin J. Johnson.

Plusieurs personnes vont aussi grincer des dents s’ils voient que leur routine est chamboulée ou que leurs contributions sont remises en question. «Si on veut changer une procédure pour laquelle vous avez contribué à mettre en place, vous pourriez voir cela comme une menace, un manque de reconnaissance, explique Pierre Lainey. Cela peut créer de la frustration, déranger, générer des réactions négatives et de la résistance.» Idem si une personne ne comprend pas le changement en tant que tel, ses raisons ou les bénéfices qu’elle pourrait en tirer, fait-il valoir.

Kevin J. Johnson observe aussi qu’une certaine fatigue face aux transformations s’installe chez les travailleurs, ce qui peut faire obstacle à leur adhésion. «Beaucoup de gens vivent un trop-plein, sont saturés de changements», remarque-t-il. Et c’est d’autant plus vrai quand les transformations sont très fréquentes, qu'elles affectent les relations sociales et le sentiment de compétence des employés. «Plus on additionne ces facteurs, plus on voit apparaître de la résistance, de la fatigue et même de l’épuisement», soutient-il.

Un travail d’équipe

Au-delà des facteurs individuels, les équipes aussi peuvent résister aux changements. Un aspect souvent sous-estimé, note Céline Bareil. «Si les gens ne sont pas impliqués dans la mise en œuvre des transformations, qu’ils sentent qu'on leur impose une façon de faire, qu'on ne les accompagne pas, qu’on ne leur donne pas les moyens des ambitions, c'est sûr qu'ils vont collectivement résister au changement. À l’inverse, si un groupe décide de changer, de se donner des objectifs communs, de se soutenir mutuellement, c’est très puissant. Mais pour cela, il faut que le gestionnaire amène sa gang à rêver mieux, à aller vers le changement.»

Autre frein important : quand les transformations viennent heurter les valeurs du groupe, précise Céline Bareil. «Ce sont souvent les transformations les plus difficiles à mener à terme, puisque cela touche aussi la culture de l’entreprise.» Le climat de confiance ainsi que la façon dont le projet est conduit y jouent aussi pour beaucoup, souligne-t-elle. «Est-ce que ça s’est fait dans le respect des personnes? Est-ce qu’elles sont soutenues, accompagnées? Est-ce qu'on communique souvent régulièrement avec les gens, qu’on les incite à participer? Ces différentes modalités de conduite du changement ont un effet direct sur la résistance.» 

Comprendre et écouter

Pour réussir une transformation, il faut donc s’intéresser aux dynamiques d’équipes et s’assurer que les leaders informels, ou d’opinion, sont d’accord à l’idée de mettre l’épaule à la roue, note Pierre Lainey. «C’est important de vérifier quelle est leur perception du changement, leur posture, car leur influence va contribuer à la réussite du projet ou, au contraire, viendra entraver la suite des choses.»

Dans tous les cas, les gestionnaires ont tout avantage à ouvrir la porte à la discussion, avec ouverture et empathie. «On improvise souvent la gestion du changement, ajoute Pierre Lainey. Même s’il n’y a pas de méthode qui fonctionne à tout coup, il y a de bonnes pratiques qu’il vaut la peine de connaître et de comprendre. Pour s’y familiariser, il existe plusieurs ouvrages et différentes formations.»