Comment lutter contre ces agressions à bas bruit, mais aux conséquences bien réelles sur les personnes et sur le climat au sein des organisations? Explications et pistes d’action.

Le Grand dictionnaire terminologique du Québec définit les microagressions comme suit : «Geste ou propos, souvent indélibéré et jugé bénin de la part de son auteur, mais qui peut être perçu comme offensant par la personne à qui il s’adresse.» Les exemples quotidiens de celles-ci sont nombreux : une jeune mère dont on commente l’image corporelle, un homosexuel réputé «ne pas avoir l’air gai» ou bien un immigrant dont on juge qu’il «parle bien le français».

Depuis l’apparition du terme en 1970, plusieurs dizaines de recherches scientifiques ont étudié et catégorisé les microagressions, suggérant de ce fait des stratégies pratiques aux gestionnaires confrontés à ces comportements.

Comprendre les microagressions et ce qui les définit

Il est important de clarifier que l’aspect «micro» du terme réfère non pas à l’intensité de l’agression, mais bien à leur fréquence et leur degré de répétitivité. Il est plus spécifiquement question ici d’un acte se produisant à l’intérieur d’une relation interpersonnelle, donc entre deux individus. Le volet «agression» est plus épineux; puisque l’intention de la personne perpétrant le geste problématique n’est pas nécessairement mauvaise, le terme semble souvent inadéquat, voire exagéré. C’est dans cette optique que la chercheuse ontarienne Monnica T. Williams a démontré, chez un groupe de participants, une corrélation modérée entre la propension à commettre une microagression et le score résultant du questionnaire d’agression de Buss et Perry (BPAQ) — la norme en psychologie pour mesurer le degré d’agressivité de quelqu’un [1].

Il convient de noter que malgré une récente méta-analyse des microagressions raciales de laquelle a découlé une taxonomie en quatre catégories [2], la triade assauts/insultes/invalidations demeure la plus connue et utilisée à l’extérieur des études portant strictement sur le racisme.

- Microassauts : Ce sont les microagressions plus fréquentes, car elles sont intentionnelles et perpétrées dans un milieu qui les accepte tout en les banalisant. S’adresser à une personne homosexuelle avec l’expression «fif» en est un exemple.

- Micro-insultes : Il s’agit de commentaires humiliants et insensibles, qui ne se veulent habituellement pas blessants par la personne qui les dit. Demander à quelqu’un quel est son pays d’origine avant même de lui demander son prénom correspond à une micro-insulte.

- Micro-invalidations : Dans cette dernière catégorie, il est question de nier ou carrément d’exclure la réalité des communautés marginalisées. «Je ne vois pas la race des gens, j’ai des amis de toutes les couleurs!» demeure l’illustration la plus probante des micro-invalidations.

Reconnaître l’impact des microagressions sur son équipe de travail

Les impacts de la discrimination systématique sur les populations marginalisées sont bien connus et documentés par les universitaires. Ces conclusions sont-elles transférables dans leur entièreté aux microagressions, cette forme de racisme subtile, parfois passive, et non systémique?

Une étude réalisée par une équipe de recherche de l’Université Rice, aux États-Unis, donne matière à réflexion. Dans cette étude, des données de sondage provenant de 345 membres du personnel d’origine afro-américaine ont été examinées en se basant sur l’Échelle des microagressions raciales (ÉMR), laquelle permet de quantifier l’intensité et le type des microagressions vécues par une population racisée. Une augmentation de l’épuisement professionnel et une diminution du niveau de satisfaction au travail ont été observées chez ces personnes, au fur et à mesure qu’augmentait le score de l’ÉMR.

L’étude mentionne également que ces impacts négatifs seraient la conséquence directe des deux tactiques utilisées par les personnes victimes afin de se remettre mentalement et émotionnellement de la microagression, c’est-à-dire :

1- La co-rumination, où la personne microagressée va chercher un réconfort chez un collègue de confiance et ruminer avec celui-ci;

2- La vigilance induite par le racisme, laquelle se traduit par un état d’alerte perpétuel chez la personne microagressée, puisqu’elle s’attend à être à nouveau «attaquée» lors de prochaines interactions.

Sans surprise, l’épuisement professionnel et l’insatisfaction au travail ont des conséquences directes sur la dynamique entre collègues. La co-rumination et la vigilance, quant à elles, contribuent plutôt à dégrader l’ambiance de travail en augmentant d’une part le commérage, et de l’autre, la méfiance.

Outiller les gestionnaires pour agir sur les microagressions

Maintenant que les microagressions ont été définies et que leur impact sur le milieu de travail a été démontré, de nouvelles questions se présentent aux gestionnaires prêts à agir : quand et surtout, comment intervenir? Dans un récent article publié dans la Harvard Business Review, la psychologue organisationnelle Ella F. Washington propose à ce sujet trois pistes de réflexion :

1. Analyser le moment et l’environnement lors desquels se produit la microagression. S’agit-il d’une simple erreur sur le genre d’une personne trans, auquel cas un simple rappel à tous ferait-il l’affaire? Et comment réagir après ce commentaire un peu disgracieux sur les cheveux naturels d’une femme noire? Étant donné que personne n’aime se faire critiquer en public, il serait plus astucieux dans ce second cas de faire une intervention lors d’une conversation individuelle et confidentielle, où la personne se sentira en sûreté.

2. Évaluer sa relation avec la personne ayant commis la microagression. Si vous avez déjà une relation bien établie avec cette dernière, exprimer directement votre désapprobation («Tu as fait un commentaire plus tôt qui ne m’a pas plu») aura l’effet escompté. Sinon, il vous faudra évaluer sa tendance à être combative ou à fuir les conversations difficiles. Il pourrait aussi s’avérer nécessaire de faire intervenir un collègue avec qui elle a une relation d’une plus grande proximité.

3. Réfléchir à son degré de maîtrise du contexte derrière la microagression. Il est difficile, voire impossible, de connaître l’historique complet et la totalité des implications d’une microagression donnée. Sans être un expert ou faire soi-même face à la réalité en question, il est possible et réaliste de sensibiliser collègues et amis à la différence entre l’intention et l’impact. En effet, même si l’intention n’est pas là, nous pouvons tous agréer que l’impact l’est. Votre intervention s’articule alors de la formulation suivante : «Je sais que ton commentaire se voulait peut-être [...], mais je l’ai perçu plutôt comme étant [...]».


Notes

[1] Williams, M.T., Microaggressions Are a Form of Aggression, Behavior Therapy-Annual Review of Psychology, vol. 52, n°3, may 2021, p.709-719.

[2] Spanierman L. B., Clark, D. A., Kim, Y. Reviewing Racial Microaggressions Research: Documenting Targets’ Experiences, Harmful Sequelae, and Resistance Strategies, Perspectives on Psychological Science, 2021, vol. 16, n°5, p. 1037-1059.