Article publié dans l'édition Automne 2010 de Gestion

Au Canada, la santé mentale au travail est devenue un enjeu très préoccupant pour les gestionnaires et les chefs d’entreprise (Watson Wyatt, 2005).

Au Québec, plus du tiers des travailleurs disent ressentir un stress élevé dans leur travail (Bordeleau et Traoré, 2007), et les réclamations déposées à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST, 2003) pour des problèmes psychologiques ont plus que doublé en 10 ans. L’Organisation mondiale de la santé prévoit que la dépression sera la deuxième cause d’invalidité dans le monde, derrière les problèmes cardiaques (World Health Organization, 2001).

Il semble pourtant possible d’avoir une bonne santé mentale au travail. En effet, environ 17 % de la population s’estime épanouie psychologiquement (Keyes, 2007). La présence d’employés sains mentalement est importante et précieuse pour les entreprises. Ainsi, les études démontrent que des employés ayant une bonne santé mentale s’absentent moins souvent du travail, utilisent moins les services de santé, sont plus résilients, ont des objectifs de vie clairs (Keyes, 2007), sont plus performants au travail (Cropanzano et Wright, 1999; Judge et al., 2001) et adoptent davantage des comportements de citoyenneté organisationnelle (Lee et Allen, 2002). Ultimement, toutes ces conséquences positives de la santé mentale améliorent la performance organisationnelle (Harter et al., 2003).

Devant l’ampleur des problématiques d’ordre psycho­ logique en milieu de travail et de leurs incidences néfastes, plusieurs entreprises souhaitent trouver des pistes d’intervention efficaces pour accroître la santé mentale de leur personnel. À cet égard, le supérieur immédiat, en raison de la relation de proximité qu’il entretient avec ses employés, peut faire d’importants gestes de prévention afin d’assurer un environnement de travail sain.


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Cette responsabilité en matière de santé mentale au travail peut sembler lourde aux yeux des cadres, qui souvent se sentent peu compétents ou peu informés sur le sujet. Afin d’aider les gestionnaires en cette matière, cet article leur présente une avenue d’intervention simple et accessible qui s’appuie sur les trois besoins psychologiques fondamentaux que tout être humain doit satisfaire pour être motivé et conserver une santé mentale optimale (Deci et Ryan, 1985, 2008)1, soit les besoins d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale.

Dans cet article, nous expliquons brièvement la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2008) sur laquelle reposent ces trois besoins psychologiques essentiels, théorie que les cadres et les dirigeants pourraient appliquer en vue de favoriser une santé mentale optimale chez les employés.

Puis, nous insistons sur le rôle central qu’est appelé à jouer le supérieur immédiat dans la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux des employés, c’est­à­dire à l’égard de leur santé mentale. Nous rapportons également des données colligées dans le cadre d’une étude réalisée auprès de professionnels du milieu de la santé québécois. De même, des témoignages viennent illustrer nos propos.

Les trois besoins psychologiques à la source de la santé mentale

Tout être humain a des besoins psychologiques fondamentaux, qu’il cherche à satisfaire dans son travail comme dans sa vie personnelle. Un besoin est un élément essentiel qui, lorsqu’il est comblé, mène au bien­être, à l’émancipation, à l’adaptation et au fonctionnement optimal de l’individu. Par contre, lorsqu’un besoin est frustré, cela réduit le bien­être, accroît la détresse et nuit au fonctionnement (Deci et Ryan, 2008). En ce sens, la satisfaction des besoins est nécessaire pour mener une vie épanouie.

À la lumière de la théorie de l’autodétermination et des nombreuses recherches qu’elle a suscité, il appert que trois besoins, parmi la grande variété de besoins que l’être humain peut ressentir, apparaissent comme étant particulièrement importants pour la vie au travail (et pour d’autres domaines de la vie). Il s’agit des besoins psychologiques d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale. La satisfaction de ces besoins entraîne de nombreuses conséquences favorables, notamment des émotions positives, une énergie accrue, une meilleure performance, des somatisations moins nombreuses, un épuisement moins grand ou l’intention de rester au service de l’entreprise plus longtemps.

À l’opposé, la satisfaction partielle ou la frustration de ces besoins conduisent l’individu à expérimenter des conséquences mitigées ou néfastes, comme des problèmes physiques, de l’absentéisme, de l’épuisement et des émotions négatives plus nombreuses2. Les conséquences de la satisfaction et de la frustration des besoins psychologiques ayant été dévoilées, nous définirons maintenant chacun de ces besoins et indiquerons en quoi ils sont importants dans le contexte du travail.

Le besoin d’autonomie : se sentir libre et en accord avec ses valeurs

Le besoin d’autonomie fait référence à la possibilité de s’engager dans des activités à la suite d’un libre choix et d’être à l’origine de ses propres comportements. Il s’agit pour l’individu de sentir qu’il est l’instigateur et le régulateur de ses actions et que celles­ci sont conformes à ses valeurs. Un employé dont le besoin d’autonomie est satisfait affirmera qu’il se sent libre de faire son travail comme il le souhaite, d’exprimer ses opinions et de partager ses idées. Il aura l’impression qu’il peut rester lui­même au travail.

À l’opposé, un employé dont le besoin d’autonomie est frustré dira qu’il sent une pression s’exercer sur lui, qu’il n’a pas vraiment de latitude dans le choix de ses actions au quotidien et qu’il doit exécuter les ordres sans avoir son mot à dire. De plus, au­delà de promouvoir le sentiment de liberté et de minimiser celui de se sentir brimé, la satisfaction du besoin d’autonomie dans le contexte du travail a deux rôles importants.

D’une part, elle est souvent le prisme à travers lequel les employés interpréteront leur vécu global au travail et qui fera en sorte qu’ils seront satisfaits ou non de leur emploi en général. D’autre part, le besoin d’autonomie est souvent la condition de base à remplir afin de pouvoir éprouver la satisfaction des deux autres besoins de compétence et d’affiliation sociale.

Les gestionnaires peuvent considérer que le besoin d’autonomie de leurs employés est satisfait lorsqu’ils entendent des témoignages tels que «J’ai l’impression de pouvoir être moi­ même au travail», «Les objectifs de l’entreprise correspondent à mes valeurs» ou bien «Je me sens libre de faire ce que je veux, quand je le veux, et avec qui je veux, pourvu que je respecte mes échéances». Au contraire, l’insatisfaction ou la frustration du besoin d’autonomie peut être détectée par des déclarations du type «Je me sens ici comme dans une prison», «J’ai toujours l’impression de devoir être quelqu’un d’autre au travail» ou «Je ne me sens pas libre d’exécuter mes tâches à ma manière, même si j’atteins mes objectifs».

Le besoin de compétence : être efficace et performant

Le besoin de compétence est lié au fait d’avoir du succès dans des tâches comportant un défi optimal et d’atteindre les résultats souhaités tout en prévenant les conséquences indésirables. Un employé dont le besoin de compétence est satisfait dira, par exemple, qu’il est capable d’apprendre de nouvelles choses, que les gens le trouvent bon dans ce qu’il fait et qu’il vit la plupart du temps un sentiment d’accomplissement au travail.

Par contre, un employé dont le besoin de compétence n’est pas comblé déclarera qu’il a rarement la chance de montrer de quoi il est capable au travail et qu’il ne se sent pas très compétent dans ses fonctions. La satisfaction de ce besoin est particulièrement importante au travail, car il permet à l’employé de remplir les exigences de son rôle et d’être performant dans ses fonctions.

Le gestionnaire peut observer des indices de la satisfaction de ce besoin lorsque les employés font des affirmations comme «Je sais clairement ce qui est attendu de moi au travail», «Je suis très efficace dans mes fonctions» ou «Je dispose de toutes les aptitudes nécessaires pour réussir dans mon travail». À l’opposé, si les employés disent «Je ne me sens pas vraiment compétent», «Je doute de pouvoir réussir dans mon travail» ou «J’aurais besoin d’être mieux formé pour être efficace», le gestionnaire devra être à l’affût, puisque de tels indices laissent croire que le besoin de compétence est soit insatisfait ou carrément frustré.

Le besoin d’affiliation sociale : se trouver dans un climat de travail sain et productif

Le besoin d’affiliation sociale a trait au fait d’avoir l’impression qu’on appartient à un milieu donné; l’individu éprouve alors envers les autres des sentiments de confiance, de respect et l’envie d’être attentionné. Les employés dont le besoin d’affiliation sociale est satisfait apprécient les personnes avec qui ils travaillent, ils ont des amis parmi leurs collègues et ils sentent que les gens dans leur milieu de travail se soucient d’eux également.

À l’inverse, les travailleurs dont le besoin d’affiliation sociale n’est pas comblé diront avoir peu de contacts sociaux au travail, avoir peu de relations de confiance parmi leurs collègues et ne pas se sentir très appréciés par ceux­ci. L’assouvissement de ce besoin est crucial pour l’être humain puisque, sans relations sociales saines et satisfaisantes, la coopération et la collaboration pour l’atteinte des objectifs organisationnels ne sont pas possibles.

D’un côté, le gestionnaire observera la satisfaction du besoin d’affiliation sociale à travers des commentaires tels que «J’apprécie beaucoup mes collègues de travail et j’ai confiance en eux», «Certains de mes collègues sont de vrais amis pour moi» ou «J’ai le sentiment de faire partie du groupe». D’un autre côté, la frustration de ce besoin peut être décelée dans des déclarations comme «Mes collègues de travail ne sont pas des amis», «Je me sens seul même quand nous sommes entre collègues» et «Les relations entre certains collègues sont très tendues et conflictuelles».

Le supérieur immédiat : un acteur-clé dans la satisfaction des besoins psychologiques des employés

Des études démontrent que les trois leviers principaux qui permettent de combler les besoins des employés sont l’organisation du travail (Gagné et al., 1997), la rémunération (Gagné et Forest, 2008) et le supérieur immédiat (Baard et al., 2004). Nous nous concentrerons ici sur le supérieur immédiat, étant donné que des enquêtes effectuées par des firmes de consultation (Watson Wyatt, 2005) et par le Conference Board of Canada (2005) démontrent l’importance de cet acteur dans le vécu quotidien au travail, d’autant plus qu’il englobe, jusqu’à un certain point, les deux autres leviers.

Une raison supplémentaire de cibler le supérieur immédiat est que ses gestes et ses comportements peuvent être modifiés par l’apprentissage. En d’autres mots, tous les gestionnaires – quel que soit leur style de leadership – peuvent apprendre les attitudes et les comportements à adopter pour augmenter la satisfaction des besoins psychologiques de leurs subalternes, ce qui améliorera leur bien­être ou leur santé mentale.

Adopter des pratiques favorables à l’autonomie des employés

Selon la théorie de l’autodétermination, tout comportement de leadership peut se situer sur un continuum allant du soutien à l’autonomie jusqu’à l’incompétence ou au laisser-faire, en passant par le contrôle psychologique. Chaque comportement ayant un impact plus ou moins bénéfique ou nocif sur les travailleurs. Le style de leadership a le plus de conséquences positives consiste dans le soutien à l’autonomie, qui a pour effet de combler à la fois les besoins d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale des employés.

Pour favoriser la satisfaction de ces trois besoins, un gestionnaire a donc avantage à privilégier des pratiques de soutien à l’autonomie. Il s’agira, par exemple d’adopter la perspective de ses employés, de reconnaître les sentiments et les émotions de ceux-ci (en d’autres mots, faire preuve d’empathie), de leur procurer des informations importantes, utiles et cohérentes en ce qui concerne les tâches à exécuter et les règles à respecter, de leur permettre de faire des choix à l’intérieur de certaines limites (le soutien à l’autonomie n’implique pas de n’imposer aucune contrainte) et de tolérer ce qu’il est convenu d’appeler les «erreurs honnêtes».

Par exemple, dans le contexte d’une réorganisation, un superviseur pourrait d’abord prendre le temps d’écouter les préoccupations de ses employés, puis de nommer les craintes et les inquiétudes qu’il entend. Il pourrait ensuite transmettre de l’information sur les étapes à venir dans le processus, expliquer les décisions qui ont été prises et préciser quels employés seront touchés et à quel moment.

Enfin, le gestionnaire soutenant l’autonomie de ses employés pourra, à l’intérieur de balises claires fixées par l’organisation, demander aux employés de former un comité de travail dont la tâche consistera à suggérer à la direction différents scénarios qui permettront d’atteindre les objectifs de la restructuration au niveau de l’équipe en question. Ces comportements amèneront les travailleurs à sentir qu’ils maîtrisent leur destinée et qu’ils ont une marge discrétionnaire au travail (satisfaction du besoin d’autonomie); ils se sentiront efficaces, capables et habiles puisque les tâches auront été calibrées de manière à offrir un défi optimal (satisfaction du besoin de compétence); enfin, le climat de travail qui aura été instauré entre les collègues à la suite des comportements adoptés par le gestionnaire sera propice aux échanges et à la collaboration (satisfaction du besoin d’affiliation sociale).

À titre d’exemple, prenons le témoignage de Karim, programmeur­analyste dans une grande entreprise privée, qui représente bien la séquence «soutien – satisfaction des besoins – bien­être» (voir l’encadré 1). Le patron de Karim lui permet d’obtenir des formations et des ressources, ce qui a un impact positif sur la satisfaction de son besoin de compétence. Le besoin d’autonomie de Karim est quant à lui comblé par le choix dont il dispose dans le cadre de règles, comme c’est le cas pour l’autogestion de son budget de formation, de même que le fait que l’entreprise lui explique l’importance des tâches qu’il exécute.

Enfin, le fait que le patron de Karim encourage la coopération (plutôt que la compétition) a pour effet de mettre en place un climat de travail sain et de favoriser le besoin d’affiliation sociale dans l’équipe. Bref, le style de gestion que décrit Karim est garant d’une santé mentale accrue : tous les employés ont du plaisir à travailler ensemble.

Éviter les pratiques orientées vers le contrôle des employés

En tant que supérieur immédiat, il est important d’éviter ce qu’on appelle le contrôle psychologique. Un gestionnaire qui est «contrôlant» donnera des ordres sur un ton autoritaire et ne laissera la place à aucune discussion (même dans les situations où cela aurait été possible), il aura recours aux menaces, aux récompenses ou au sentiment de culpabilité pour mener à bien ses projets, il sera généralement froid ou même dénigrant par rapport au vécu de ses subalternes et il ne sera pas empathique.

Reprenons l’exemple d’une organisation qui vit une restructuration. Un gestionnaire qui traverserait cette période trouble en gardant le silence sur la démarche adoptée et qui refuserait de répondre aux questions des employés nuirait à la santé mentale de ces derniers. Un gestionnaire contrôlant pourrait, par exemple, dire à ses employés qu’ils doivent s’estimer chanceux d’avoir conservé leur emploi, et que ceux qui se plaignent trop n’ont peut­être pas assez de sang­ froid pour faire partie de l’organisation telle que pensée dans l’avenir.

En conséquence, ces comportements contrôlants du gestionnaire auront tendance à amener les employés à se sentir comme des pions qu’on manipule plutôt que comme des agents autonomes (insatisfaction ou frustration du besoin d’autonomie). L’actualisation de leur potentiel et de leurs forces sera brimée par les visées limitées, restrictives et incomplètes du gestionnaire (insatisfaction ou frustration du besoin de compétence). Enfin, le climat de travail créé par ces pratiques de gestion contrôlantes sera potentiellement marqué par la compétition et la rivalité (insatisfaction ou frustration du besoin d’affiliation sociale).

Ainsi, prenons connaissance du témoignage de Lucie, caissière dans une institution bancaire, qui illustre la séquence «contrôle – frustration des besoins – détresse» (voir l’encadré 2). Après l’arrivée d’un nouveau patron, Lucie considère qu’elle ne peut plus satisfaire son besoin d’autonomie, car elle sent que sa marge de manœuvre est dorénavant réduite. Son besoin de compétence est également entaché par le dénigrement et l’insatisfaction constante que manifeste son patron. Les comportements de ce dernier entraînent chez Lucie une certaine détresse psychologique et un stress accru. Heureusement, elle peut compter sur ses collègues pour satisfaire son besoin d’affiliation sociale.

L’importance de favoriser l’autonomie et d’éviter le contrôle

Afin d’illustrer de quelle façon les comportements de soutien à l’autonomie et de contrôle psychologique du supé­ rieur immédiat ont un impact distinct sur la satisfaction et la frustration des besoins psychologiques des travailleurs, nous avons mené une étude par questionnaire auprès de 279 professionnels du secteur de la santé québécois. Nous avons demandé à ces professionnels d’évaluer dans quelle mesure leur supérieur adoptait des pratiques de gestion soutenant l’autonomie ou, à l’inverse, des pratiques contrôlantes.

Les résultats sont clairs : plus un superviseur adopte des comportements de gestion soutenant l’autonomie, plus il répond aux besoins psychologiques fondamentaux de ses subalternes et, de ce fait, plus il contribue à accroître leur bien­être psychologique. Le fait de soutenir l’autonomie de ses employés permet non seulement d’augmenter la bonne santé mentale, mais aussi de diminuer les problèmes de santé mentale au travail.

Un style de gestion soutenant l’autonomie a pour effet de «vacciner» les employés contre la frustration de leurs besoins psychologiques, limitant ainsi les dégâts relativement à la détresse au travail. En d’autres termes, lorsqu’un gestionnaire favorise la satisfaction des besoins fondamentaux de ses employés, cela a un double effet : il contribue à la bonne santé des employés et, par la même occasion, il peut être un facteur de protection contre la détresse au travail.

À l’inverse, le supérieur qui adopte des pratiques de gestion contrôlantes empêche l’assouvissement des besoins fondamentaux de ses employés, ce qui diminue leur bien­ être et risque d’engendrer de la détresse chez eux. Il apparaît même qu’un style contrôlant, indépendamment du niveau de soutien offert, nuit à la satisfaction des trois besoins de base des employés et réduit leur bien­être.

Conclusion

Les évidences qui ressortent de plus de 35 années de recherches montrent que les gestionnaires doivent se préoccuper de combler trois besoins innés pour augmenter la santé mentale des employés, soit les besoins psychologiques d’autonomie (se sentir libre et autodéterminé), de compétence (se sentir efficace et efficient dans l’exécution de son travail) et d’affiliation sociale (sentir que l’on appartient à un groupe).


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Les gestionnaires et les organisations ont donc tout intérêt à utiliser ce cadre d’analyse utile et éprouvé pour déterminer les facteurs qui favorisent la satisfaction des besoins psychologiques de leurs employés ou qui, à l’opposé, font obstacle à celle-ci. Cela leur permettra d’augmenter la probabilité que leurs employés puissent profiter de tous les bienfaits psychologiques (plus d’émotions positives et de plaisir), physiques (moins de plaintes somatiques et plus d’énergie), comportementaux (une meilleure performance) et économiques (moins d’absences de courte et de longue durée) qu’apporte une santé mentale optimale.

La prise en compte de ces trois besoins psychologiques permet donc de doter les gestionnaires et les dirigeants d’entreprise d’un barème aidant à porter un jugement éclairé sur l’efficacité des interventions aux niveaux individuel et organisationnel. De fait, un gestionnaire ayant en tête le cadre d’analyse de ces besoins psychologiques pourra se demander si l’intervention a un impact sur une ou plusieurs de ces trois cibles d’action et, dans l’affirmative, si cette influence est positive ou négative.

En d’autres mots, ces trois besoins psychologiques peuvent représenter un guide efficace afin d’orienter les décisions relatives à la santé mentale des employés et de ne garder que les interventions ayant un impact positif sur la satisfaction des besoins. De manière concrète, le tableau 1 liste les comportements que tout gestionnaire doit adopter afin d’optimiser la satisfaction des besoins psychologiques de ses employés. À l’opposé, le tableau 2 énumère les comportements que les cadres et les dirigeants doivent éviter s’ils veulent optimiser la satisfaction des besoins fondamentaux des personnes au travail et, par conséquent, leur bien­être et leur santé mentale (voir annexes).


Annexes

Tableau 1 :  Exemples de comportements à adopter pour satisfaire les trois besoins psychologiques fondamentaux des employés : autonomie, compétence, affiliation sociale

Autonomie
Pratiques de gestion à privilégier Exemples
Individu
  • Comprendre et reconnaître la perspective des employés.
  • Donner la possibilité de faire des choix.
  • Encourager les initiatives et tolérer les «erreurs honnêtes».
  • Promouvoir l’engagement.
  • Laisser à ses employés le loisir de planifier la réalisation de leurs différentes tâches, en ayant un échéancier et un résultat final clairs, mais en ne contrôlant pas la manière dont le travail sera réalisé.
  • Considérer le point de vue d’un employé en le reformulant pour lui démontrer le respect qu’on éprouve pour ses idées.
Groupe / organisation
  • Utiliser des informations importantes d’une façon non manipulatrice.
  • Éliminer ou réduire l’utilisation de règles.
  • Donner la possibilité de faire des choix.
  • Faire une rencontre d’équipe et laisser les gens se partager les tâches selon leurs préférences.
  • Statuer clairement sur les valeurs importantes pour l’organisation afin que les employés puissent adhérer à celles-ci.
Compétence
Pratiques de gestion à privilégier Exemples
Individu
  • Proposer des tâches stimulantes en lien avec les forces individuelles.
  • Donner une rétroaction positive.
  • Donner une rétroaction rapide et pertinente sur la performance.
  • Développer les forces des employés.
  • Offrir une rétroaction quotidienne sur le travail accompli.
  • Faire ressortir les indicateurs de progrès dans un projet à long terme.
  • Déterminer les forces de ses employés et leur donner des tâches en relation avec ce qu’ils font le mieux.
Groupe / organisation
  • Souligner que la participation de chacun est primordiale au succès de l’équipe.
  • Fixer des buts stimulants mais réalisables pour faire vivre des succès à l’équipe.
  • Souligner l’atteinte des jalons importants d’un mandat auprès de son équipe.
  • Montrer comment les forces et les talents de chacun des équipiers sont complémentaires et permettent d’atteindre les objectifs organisationnels.
Affiliation sociale
Pratiques de gestion à privilégier Exemples
Individu
  • Apprendre à connaître personnellement ses employés.
  • Régler les malentendus le plus rapidement possible.
  • Saluer ses employés par leur prénom lorsqu’on les croise.
  • Remarquer qu’un employé n’est pas en forme et le prendre à part pour discuter avec lui de sa situation.
Groupe / organisation
  • Mettre en place des méthodes d’intéressement qui encouragent la participation.
  • Partager l’information lorsque c’est faisable.
  • Encourager la communication entre les membres des équipes afin que les conflits interpersonnels se règlent rapidement.
  • Organiser des dîners avec son équipe afin de créer et de maintenir une synergie.
  • Intervenir rapidement lorsqu’un conflit éclate entre deux collègues.
  • S’assurer que les procédures d’attribution des ressources sont claires, justes et impartiales afin de ne pas susciter de jalousie, de convoitise ou de conflits entre les collègues.

Tableau 2 : Exemples de comportements à éviter pour ne pas frustrer les trois besoins psychologiques fondamentaux des employés : autonomie, compétence, affiliation sociale

Autonomie
Pratiques de gestion à éviter Exemples
Individu
  • Faire montre d’une supervision abusive et inutile alors que l’employé est autonome et compétent.
  • Utiliser la menace ou les punitions.
  • Continuer à vérifier le travail d’un employé qui maîtrise parfaitement une tâche.
  • Menacer un employé de lui enlever des privilèges ou de la latitude s’il ne réussit pas un projet.
Groupe / organisation
  • Avoir des échéances trop strictes.
  • Ne laisser aucun choix.
  • Donner des ordres autoritaires et, parfois, arbitraires.
  • Accorder des délais trop courts pour réaliser les tâches demandées, de sorte que l’employé n’aura pas le loisir d’organiser son temps.
  • Imposer une méthode de travail alors que d’autres façons de faire pourraient être aussi efficaces.
Compétences
Pratiques de gestion à éviter Exemples
Individu
  • Invalider ou dénigrer inutilement la qualité du travail ou la quantité de celui-ci.
  • Fixer des objectifs impossibles à atteindre qui feront nécessairement vivre l’échec.
  • Minimiser ou ignorer la performance d’un employé à la suite d’une réalisation exceptionnelle.
  • Toujours fixer des résultats impossibles à atteindre afin de stimuler la performance, ce qui aura pour effet, à long terme, de décourager l’employé.
Groupe / organisation
  • Ne pas indiquer en quoi les tâches à exécuter sont importantes pour l’organisation.
  • Négliger de mettre à jour les compétences des employés.
  • Ne pas expliquer en quoi un rapport est important pour l’avancement d’un projet et son impact sur le travail des autres équipes de travail.
  • Ne pas tenir à jour les compétences de ses employés à l’aide de lectures, de formations ou d’exposés.
Affiliation sociale
Pratiques de gestion à éviter Exemples
Individu
  • Traiter ses subalternes de façon impersonnelle et distante.
  • Nier le vécu de ses subalternes ou, pire, dire comment ils devraient se sentir.
  • Privilégier la compagnie de certains employés plutôt que d’autres.
  • Ne pas connaître le nom de ses employés.
  • Ignorer les employés qui ont un statut inférieur.
Groupe / organisation
  • Ne pas régler les conflits lorsqu’ils émergent ou s’enveniment.
  • Augmenter la compétition plutôt que la coopération entre les collègues.
  • Avoir un système de rémunération (par exemple, des bonis) qui favorise la compétition, plutôt que la coopération et la collaboration, entre collègues.
  • Ne pas intervenir dans les conflits interpersonnels en pensant qu’ils vont se régler d’eux-mêmes avec le temps.


Notes

1 Puisque la quasi-totalité des références scientifiques relatives à la théorie de l’autodétermination est disponible sur le site Web http://www.selfdeterminationtheory.org, nous ne ferons pas systématiquement de références bibliographiques aux études mentionnées. nous invitons plutôt le lecteur à lire des articles professionnels en français (par exemple, Forest et al., 2009; Forest et Mageau, 2008), des chapitres de livres en français (par exemple, gagné et Forest, 2009) ou en anglais (par exemple, Dheldon et al., 2003) ou encore des articles scientifiques en anglais (par exemple, gagné et Deci, 2005) pour se faire une idée globale de la théorie de l’autodétermination appliquée au monde du travail.

2 Voir, par exemple, Baard et al. (2004), Deci et ryan (2000), Deci et al. (2001), gagné et al. (2000), Lam et Gurland (2008), Otis et Pelletier (2005), Ryan (1995), Ryan et Deci (2000), Van den Broeck et al. (2008).

Références

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