Optimiser le travail hybride reste un véritable défi. Bien souvent, les entreprises ont une vision partielle de sa mise en place qui ne leur permet pas d’équilibrer performance et bien-être des employés. Comment faire?

Depuis quelques mois, on ne compte plus les entreprises qui mettent fin au télétravail et qui demandent à leurs collaborateurs de revenir au bureau. L’argument qu’elles avancent est, dans la majorité des cas, lié aux effets négatifs constatés sur la productivité de la main-d’œuvre. Dans la réalité, les études restent ambiguës à ce sujet: si certaines soulignent le fait que le télétravail dégrade la productivité1, d’autres considèrent au contraire qu’il améliore la performance en raison notamment d’une meilleure concentration et d’une plus grande satisfaction au travail contribuant à la qualité de vie des individus2.

S’il n’y a pas consensus, en revanche, les études s’accordent à dire que le télétravail complet dégrade globalement les liens sociaux, diminue les échanges informels et fragilise la cohésion d’équipe. Mais comme c’est bien souvent le cas, tout est une question de dosage, de juste équilibre entre télétravail et travail au bureau. Une récente étude établit ce point de bascule, estimant que le volume idéal de télétravail se situe entre deux et trois jours par semaine3. À partir de ce repère, il s’agit alors de trouver les conditions optimales d’un travail désormais hybride pour équilibrer les impératifs de performance des entreprises et de bien-être individuel et collectif.

Un nouveau contrat social

On constate, assez paradoxalement, que le travail à distance nécessite que les collaborateurs soient davantage «présents» afin que le collectif de travail puisse vivre. Cette présence n’est pas forcément physique, mais elle peut évidemment être virtuelle; elle sert à maintenir les liens. De nombreux outils se sont développés en ce sens (Teams, Zoom, WorkAdventure, Klaxoon, etc.).

C’est un fait connu : la distance est susceptible de provoquer des formes de malentendus dans les situations de travail. Par exemple, si nous demandons à télétravailler le lundi pour nous concentrer sur des dossiers complexes et que nos collègues nous sollicitent constamment ce jour-là, cela risque de générer des tensions et de conduire à des conflits potentiels.

De tels malentendus, très courants, peuvent être régulés à partir de la recomposition de ce qui est baptisé le «contrat social» de l’équipe, lequel permet de définir la nature des engagements et des attentes respectives dans un collectif de travail. En reprenant la situation précédente, nous nous attendrons donc à ce que nos collègues ne nous sollicitent pas le jour où nous télétravaillons. En contrepartie cependant, nous serons appelés à prendre des engagements afin de pouvoir les soutenir, les aider et les accompagner au moment opportun.

Mettre en place des règles de fonctionnement

Ce nouveau contrat social repose sur la nécessaire mise en place de règles de fonctionnement explicites au sein du collectif de travail. Pour être complètes (systémiques) et couvrir tous les champs du travail, ces règles doivent intégrer l’ensemble des parties prenantes concernées par les situations de travail hybride. Il s’agit donc de prendre en compte les situations spécifiques des collaborateurs, de leur environnement personnel, des gestionnaires et de l’entreprise d’une manière générale, en vue d’optimiser le travail hybride et de l’ajuster en fonction des attentes et des engagements respectifs des membres de l’équipe.

Pour englober l’ensemble des aspects et réussir une intégration «totale», il convient de formaliser de manière explicite quatre niveaux de règles de fonctionnement qui se combinent et se complètent pour permettre l’équilibre entre bien-être et performance en situation de travail hybride.

1 - Les règles de fonctionnement liées à l’individu

Si chaque personne souhaite pouvoir télétravailler dans de bonnes conditions, en fonction de ses impératifs d’activités, des dossiers qu’elle gère et de ses propres contraintes, elle doit impérieusement se donner des règles qui lui sont propres et qui seront basées sur l’écoute de ses besoins individuels. Ces règles peuvent concerner le rythme de travail, l’instauration de routines spécifiques, des coupures dans la journée, des temps de pause, une organisation particulière, une planification plus ou moins détaillée des activités de la journée, etc. Évidemment, en lien avec le collectif du travail, ces règles «de moi à moi» doivent être communiquées à l’ensemble de l’équipe de travail pour assurer une bonne coordination entre les personnes.

2 - Les règles de fonctionnement liées à l’environnement de chaque personne

Le télétravail à domicile doit également s’inscrire dans le cadre de la prise en compte des contraintes personnelles, avec la famille, les proches et l’environnement de travail immédiat. Là également, il s’agit de concevoir des routines de travail en fonction de notre environnement particulier pour éviter une trop forte porosité entre travail et vie personnelle.

Les contraintes de chacun doivent également être explicites et communiquées à l’équipe. Télétravailler un mercredi quand nous avons des enfants en bas âge ne devient par exemple plus un problème si nous communiquons nos besoins clairement à notre gestionnaire et à nos collègues; en contrepartie, nous devons nous engager à les aider à d’autres moments de la semaine. Le contrat social au sein de l’équipe de travail prend alors tout son sens.

3 - Les règles de fonctionnement liées au collectif de travail

Il s’agit ici de formaliser, avec nos collègues et de manière explicite, des repères sur la coordination du travail, en fonction du «périmètre fonctionnel» de chacun. À cet égard, quelques essentiels sont à souligner. Par exemple, il est impératif de s’entendre sur les règles «d’urgence». Il est en effet particulièrement intrusif de recevoir un courriel dans lequel le mot urgence apparaît en lettres majuscules. Ce type de message peut déconcentrer les travailleurs et générer du stress chez eux. La question de l’urgence étant particulièrement subjective – l’urgence de celui qui fait la demande n’est pas forcément l’urgence de celui qui la reçoit –, il s’agit ici de qualifier la situation : la réponse à la demande est-elle attendue pour maintenant, dans une heure, dans la journée, dans la semaine?

De nombreux autres aspects sont à formaliser. Ainsi, il est essentiel d’établir des règles de disponibilité et de synchronisation du collectif (quand chacun sera-t-il disponible pour les autres?), des règles de parité (comment organiserons-nous les vidéoconférences lorsqu’une partie de l’équipe est au bureau et que l’autre est à distance, afin de prévenir les iniquités et les asymétries d’information?), des règles de transparence et de transfert des informations (comment garantirons-nous la transversalité dans les dossiers?), des règles de communication formelle et informelle (comment recréerons-nous des liens informels à distance?).

4 - Des règles en cohérence avec les valeurs de lentreprise

Évidemment, ces règles de fonctionnement nommées précédemment doivent être cohérentes avec les valeurs et la culture de l’entreprise; il faut donc qu’elles s’ajustent aux principes et aux règles de fonctionnement en vigueur dans l’organisation. Par exemple, s’il a été démontré que le fait d’arriver trop tard à une réunion génère des échanges informels entre les participants4, le gestionnaire peut-il lui-même arriver en retard à une vidéoconférence qu’il organise pour «forcer» ce type de discussion entre les membres de l’équipe? Cette pratique est-elle en harmonie avec les valeurs de l’entreprise, considérant que le gestionnaire doit avoir un comportement et une attitude exemplaires? Arriver en retard est-il-cohérent, nonobstant que cette pratique fonctionne? C’est donc bien le cadre des valeurs et des principes au sein de l’entreprise qui permettent d’ajuster les règles de fonctionnement de l’équipe de travail.

Coconstruire des règles de fonctionnement pour optimiser le travail hybride – une perspective systémique.

Un modèle à construire

Imposer ces règles de fonctionnement aux équipes de travail de manière indifférenciée serait totalement contre-productif; cette pratique aurait pour effets de générer un sentiment d’intrusion dans les pratiques quotidiennes de travail et donc d’offrir un cadre trop strict et potentiellement inadapté aux contextes spécifiques. Au contraire, il convient de laisser l’initiative aux équipes de travail de constituer leurs propres repères comme socle commun du contrat social. Ces repères coconstruits par les équipes elles-mêmes en cohérence avec l’entreprise permettent de faciliter leur appropriation (sens) et de dissiper les malentendus.

Le travail hybride, pour être efficace, nécessite un niveau d’échange, d’écoute et de dialogue plus explicite. Là encore, ces démarches de formalisation des règles de fonctionnement doivent être entreprises avec subtilité pour éviter qu’elles soient perçues comme une forme de contrôle supplémentaire du travail.

Article publié dans l’édition Printemps 2024 de Gestion


Notes

1 - Lewis, J., Sisko, A., et Tanaka, M., «Covid-19 briefing : Working from home and worker productivity» (article en ligne), Bank of England, 2 juillet 2021.

2 - Aksoy, C. G., et coll., «Working from home around the world», National Bureau of Economic Research (NBER), 2022.

3 - Criscuolo, C., et coll., «The role of telework for productivity during and post COVID-19», Économie et Statistique/Economics and Statistics, n°539, 2023, p. 51-72.

4 - Schwartzman, H. B., The Meeting : Gatherings in Organizations and Communities, New York, Plenum Press, 1989, 360 pages.