Alors que 40% de l’économie est gérée en mode projet, force est de constater qu’on est encore loin d’avoir tiré parti du plein potentiel de ce type de management. Car les rouages de la gestion de projet sont souvent mal compris, ce qui nuit à la réalisation des objectifs fixés. Alors, comment obtenir des résultats tangibles ayant de la valeur tant pour les clients que pour les utilisateurs?

Ce n’est pas un mystère : nous vivons dans un environnement de plus en plus axé sur les projets. Ainsi, d’ici 2027, plus de 88 millions de personnes dans le monde travailleront dans le domaine de la gestion de projet, produisant des retombées économiques de 20 000 milliards de dollars[1].

Des projets, il y en a partout, et ceux-ci nécessitent le déploiement de ressources pour résoudre des problèmes spécifiques, mais également pour relever de grands défis sociétaux liés au développement durable, aux changements climatiques, aux transports, à l’énergie renouvelable et à l’efficacité énergétique, aux infrastructures vertes, etc. Or, malgré leur importance, encore trop peu de projets produisent la valeur escomptée : leur taux de réussite est d’environ 35% seulement. Ce taux a d’ailleurs peu augmenté au fil des ans, et ce, malgré le fait qu’on en sache beaucoup plus aujourd’hui sur les facteurs qui contribuent au succès d’un projet.

Bien que la mise en œuvre de projets soit déterminante lorsqu’il s’agit d’apporter des solutions concrètes à divers enjeux, certains éléments sont encore négligés ou mal compris, ce qui empêche d’atteindre le plein potentiel de ces projets. Nous évoluons dans un monde VUCA (acronyme des mots anglais volatility, uncertainty, complexity et ambiguity) et, à son image, les projets sont de plus en plus difficiles à gérer sans une vision systémique et sans une utilisation d’outils adéquats[2].

Afin d’améliorer la réalisation des projets et accroître leur valeur ajoutée, il importe non seulement d’optimiser leur gouvernance, notamment en matière de structures organisationnelles, mais aussi de développer les compétences des équipes en gestion de projet. Chefs de projets et parties prenantes devront donc élaborer des stratégies pour relever ces défis. Voici quelques pistes pour orienter leur réflexion.

Une structure axée sur les projets

On connaît depuis longtemps les différents types de structures organisationnelles – fonctionnelle, matricielle ou par projet, entre autres – et leurs avantages, mais celles-ci comportent encore trop souvent des limitations importantes. Rappelons que le cadre organisationnel, essentiellement statique, ainsi que la stratégie organisationnelle permettent habituellement de mettre en place les actions à mener. Ces dernières tournent souvent autour des projets à prioriser et à déployer dans le but de transformer l’organisation, ses produits et ses services, et de créer de la valeur.

Cependant, les structures organisationnelles sont composées également d’interrelations et d’interdépendances changeantes. Concevoir la gestion de projet d’un point de vue organisationnel est par conséquent une approche de plus en plus privilégiée et est même devenue une fonction stratégique. Des bureaux de projets, par exemple, jouent maintenant un rôle central en aidant les entreprises à gérer leur portefeuille de projets et à les prioriser, ainsi qu’à gérer leur capacité organisationnelle.

Certains projets d’envergure mobilisent plusieurs acteurs, notamment externes. Se posent alors des défis de gouvernance importants. Les relations interorganisationnelles sont en effet complexes. Leur gouvernance peut aussi s’avérer délicate dans le cadre de grands projets : le besoin de contrôle et la coordination des activités suscitent inévitablement des tensions entre les parties impliquées. Alors que le contrôle protège l’organisation contre l’opportunisme potentiel d’un partenaire externe, la coordination, quant à elle, permet d’adapter les actions des différents acteurs afin d’atteindre les objectifs déterminés conjointement.

Par exemple, un partenariat public-privé, bien qu’il soit un outil largement utilisé dans les projets publics complexes, génère son lot de difficultés. C’est pourquoi il est essentiel de tenir compte des différentes valeurs et façons de faire des entreprises privées et de celles du donneur d’ouvrage public. Dans le cas des mégaprojets (de plus d’un milliard de dollars), les enjeux touchent essentiellement la performance, les mécanismes de collaboration, la nécessité de gérer des cultures différentes et les défis liés au leadership.

Les facteurs clés d'une bonne gestion de projet

L’organisation doit avant tout faire les bons choix. Elle doit idéalement sélectionner les projets les plus porteurs et s’assurer que sa capacité organisationnelle est suffisante et adéquate pour les réaliser.

Ensuite, pour être en mesure de travailler en mode projet, il est fondamental que les gestionnaires et les hauts dirigeants développent des compétences qui leur permettront de comprendre le déroulement des projets, d’encadrer efficacement leur réalisation et de prendre des décisions éclairées.

La composition des équipes de projet est également cruciale. Il importe d’avoir des responsables et des intervenants compétents et motivés, mais qui disposent aussi de l’autorité et de l’autonomie nécessaires pour prendre certaines décisions sans devoir systématiquement recourir au niveau hiérarchique supérieur.

Par ailleurs, gérer un projet soulève plusieurs enjeux sur le plan sociopolitique, notamment en raison des nombreuses parties prenantes, mais aussi de leur degré d’engagement et d’intégration dans le projet. C’est pourquoi la présence de gestionnaires qui disposent d’une autorité légitime et possèdent les compétences requises est indispensable à la bonne conduite du projet.

Autre élément primordial dont il faut tenir compte : la dynamique dans les équipes. À ce chapitre, si le travail en équipe constitue un atout pour la réalisation de projets complexes, il nécessite également un important investissement pour améliorer la pratique du leadership, les capacités d’apprentissage et l’esprit de collaboration au sein de l’organisation. Certaines techniques de gestion de projet facilitent aussi l’intégration des risques, la gestion de l’incertitude et la prise en compte des perceptions des parties prenantes. En analysant les objectifs des différentes parties prenantes, il est possible de renforcer leur engagement et de mettre sur pied des stratégies visant à surmonter les difficultés appréhendées.

Il faut aussi garder en tête que tout projet a une valeur «projective», c’est-à-dire orientée vers l’avenir. En ce sens, cette anticipation permet de rallier les équipes autour d’une histoire à créer et d’un idéal à atteindre. Ce récit façonnera la vision, l’identité et l’image du projet, afin, ultimement, d’améliorer la pratique de la gestion de projet et son positionnement.

Par ailleurs, il est important d’estimer avec justesse le potentiel de création de valeur du projet, sachant que cette dernière est de nature subjective. Puisque celle-ci est particulièrement difficile à mesurer lorsque de multiples parties prenantes sont impliquées, plusieurs pistes peuvent être explorées, comme la construction de sens (sensemaking) et la négociation, le façonnage et la cocréation, ainsi que le suivi et le contrôle.

Enfin, il sera parfois nécessaire de réévaluer la réussite d’un projet, notamment en y intégrant des notions d’efficacité, de durabilité ou d’incertitude, de même que les différents points de vue des parties prenantes. Ainsi, le succès d’un projet devrait être considéré comme multidimensionnel, en fonction du contexte, et comme étant complexe par nature.

Plus pertinente que jamais, la gestion de projet comporte toutefois bien des défis. Pour les relever, il faut mettre en place les ressources et les structures nécessaires, mais aussi outiller les gestionnaires et les hauts dirigeants, tout en construisant un récit qui permettra de mobiliser les équipes et les parties prenantes. En ayant recours à cette approche stratégique, on met ainsi toutes les chances de son côté pour mener à bien les projets et obtenir les résultats escomptés.

Article publié dans l'édition Été 2023 de Gestion


Notes 

[1] Nieto-Rodriguez, A., «The project economy has arrived», Harvard Business Review, vol. 99, n° 6, novembre-décembre 2021, p. 38-45.

[2] Pour approfondir le sujet, consultez cet ouvrage : Winch, G. M., Brunet, M., et Cao, D., Research Handbook on Complex Project Organizing, Cheltenham (Royaume-Uni), Edward Elgar Publishing, 2023, 422 pages.