Article publié dans l'édition Printemps 2022 de Gestion

Dans les organisations, l’improvisation est une activité plutôt taboue, particulièrement en gestion de projet où l’accent est mis sur la planification et le contrôle. Pourtant, les imprévus y sont monnaie courante. Improviser s’avère alors nécessaire et devient un tremplin pour explorer de nouvelles possibilités et imaginer des solutions novatrices.

Malgré les méthodes, les bonnes pratiques et les outils mis en place ces dernières années dans les entreprises, gérer des projets reste une activité difficile, voire périlleuse. Un projet est complexe puisque de multiples parties prenantes sont investies dans la création d’un produit ou d’un service. Cette complexité se traduit souvent par un climat d’incertitude.

Pour accroître les probabilités de succès d’un projet, les organisations peuvent évaluer les fragilités, anticiper les risques et prévoir des solutions de rechange. Cependant, ces activités de planification se révèlent généralement insuffisantes. Puisqu’il est impossible de tout prévoir, il devient indispensable de savoir gérer l’imprévu. Alors comment une équipe doit-elle réagir lorsqu’un évènement exceptionnel survient et qu’il y a urgence d’agir? Tous les gestionnaires de projet vous le diront : ils cherchent tout d’abord à comprendre rapidement ce qui se passe, à générer des idées et des pistes de solutions, à les mettre en œuvre et à les réajuster continuellement. En d’autres termes, lorsque les gestionnaires doivent composer avec des imprévus, ils improvisent.

Pourtant, de l’aveu même des gestionnaires de projet[1], l’improvisation revêt une connotation négative. Les personnes, les équipes ou les organisations qui improvisent donnent l’impression de ne pas savoir où elles s’en vont, une image contraire à celle que veut projeter tout bon gestionnaire en contrôle de la situation. Or, lorsqu’un évènement inattendu se présente, la réalité est souvent plus imparfaite. Dans ce genre de situation, le gestionnaire et son équipe doivent s’adapter. Mais comment le faire et selon quelles conditions?

Qu’est-ce que l’improvisation?

En gestion de projet, l’improvisation peut être décrite comme un processus au cours duquel le gestionnaire et son équipe délaissent le plan existant et agissent de manière spontanée, intuitive et créative dans le but de surmonter une situation imprévue, inconnue et urgente.

Qui improvise?

Bien qu’un individu puisse improviser seul, les spécialistes le déconseillent généralement, car il importe d’avoir des perspectives et des expertises différentes pour bien cerner le problème et trouver des solutions adaptées à la situation. L’improvisation se fait donc en groupe, en misant entre autres sur la diversité et l’intelligence collective.

Où et quand doit-on improviser?

Deux caractéristiques clés conditionnent l’improvisation : l’incertitude liée à un évènement imprévu et l’urgence de répondre à ce dernier. Lorsqu’un évènement inattendu survient, il peut arriver que l’équipe se trouve face à une situation nouvelle, ne pouvant se référer à aucun autre fait antérieur similaire ou appliquer aucune solution préexistante. À ce moment, l’équipe se trouve donc dans le brouillard. Si la situation requiert une réponse rapide, l’improvisation devient une pratique adéquate permettant de créer un climat propice à la créativité, ce qui sera utile pour résoudre un problème.

Pourquoi improviser?

En gestion de projet, l’improvisation est un processus temporaire qui vise à résoudre un problème exceptionnel. L’objectif est de poser des actions de façon à reprendre le contrôle de la situation et à poursuivre les activités. Aucun gestionnaire ne souhaite improviser, mais tous doivent s’y préparer.

Comment improviser?

L’improvisation est un mécanisme à la fois créatif et spontané, qui amène à explorer de nouvelles pistes de solutions afin de régler un problème insoupçonné. Les mesures sont déployées et testées au rythme où la situation évolue. Improviser, c’est donc créer en temps réel, de façon non planifiée, en utilisant les ressources à portée de main.

Les interventions effectuées par les équipes de projet qui se retrouvent dans un contexte d’improvisation peuvent être réalisées en quatre étapes : évaluer, regrouper, choisir et aller de l’avant.

1. Évaluer la situation et miser sur la force d’intervention

Bien qu’improviser demande d’agir spontanément, une compréhension minimale de la situation est nécessaire. Un diagnostic rapide doit être posé par les personnes les plus à même de comprendre le problème. L’intelligence collective de ce groupe (force d’intervention) contribuera ainsi à la richesse de l’exercice. Le gestionnaire peut alors jouer le rôle de facilitateur en créant un environnement sûr où les individus ont le loisir de s’exprimer librement et en toute transparence. Il a ensuite le mandat de canaliser les informations et les idées afin de les évaluer et de les prioriser.

2. Regrouper des idées et des solutions

À partir d’une compréhension de la situation qui peut être partielle – mais suffisante pour soutenir l’action –, l’équipe doit proposer rapidement des solutions, qui émergeront au fil des échanges entre les individus. Il n’existe aucune méthode particulière ou unique pour y arriver, mais les spécialistes soulignent l’importance de sortir des sentiers battus, d’être créatif et de ne pas hésiter à exprimer ses idées même si elles peuvent paraître farfelues. Pour éviter l’effet tunnel, il est aussi important de ne pas se contenter d’une seule solution.

3. Choisir la solution la plus appropriée

Le processus de prise de décision peut varier selon le contexte. Dans certains cas, le gestionnaire de projet prend lui-même la décision, sachant qu’il doit en répondre. Dans d’autres projets, la décision est plutôt prise collectivement.

Parce qu’une solution doit rapidement être trouvée, la tentation est forte de se laisser guider par son intuition. Bien que cette avenue puisse être efficace, une mise en garde s’impose : suivre son intuition lorsqu’on ne possède pas suffisamment d’expérience et d’expertise dans le domaine lié à la situation imprévue comporte certains risques[2]. Indépendamment du processus de décision, il est par la suite judicieux d’obtenir l’adhésion de l’équipe avant d’agir et, si le temps le permet, celle des principales parties prenantes.

4. Aller de l’avant et mettre en œuvre la solution choisie

En situation d’improvisation, les contraintes de temps sont importantes, et l’équipe de projet doit donc passer aux actes sans tarder. Elle doit être consciente que la décision risque d’être imparfaite et que des réajustements pourraient être requis. Une bonne communication constitue alors un élément essentiel de la démarche afin que l’équipe puisse improviser tout en poursuivant son évaluation de la situation.

Improviser n’est pas un processus linéaire ; il s’agit d’une démarche itérative. La manière dont les actions sont mises en œuvre dans le temps varie, et plusieurs allers-retours dans les étapes du processus deviennent inévitables. L’improvisation consiste ainsi à écouter et à se réajuster.

Étapes d'improvisation

Comment se préparer ?

Plusieurs conditions et pratiques favorisent le développement des capacités à improviser.

L’état d’esprit indispensable

 Les membres de l’équipe doivent être capables de travailler dans un contexte incertain. Ils expérimenteront, se tromperont, douteront, questionneront et écouteront. Sachant que les premières idées ne sont pas forcément les meilleures, ils doivent rester humbles et sincères tout au long du processus. Une certaine dose de courage et de confiance en soi ainsi qu’une volonté d’apprendre sont également nécessaires lorsque vient le temps d’improviser. Effectivement, chaque situation imprévue peut être considérée comme une situation d’apprentissage. Il faut être en mesure de prendre du recul et de discuter des forces et des faiblesses de l’équipe, par exemple au moment d’une rétrospective. L’équipe peut ainsi s’améliorer, acquérir de l’expérience et être mieux préparée pour affronter le prochain défi.

Reconnaître que l’improvisation peut être une réponse pertinente lorsqu’une équipe de projet rencontre une situation exceptionnelle est capital. Les parties prenantes doivent manifester une certaine tolérance à l’incertitude : certaines décisions pourraient être satisfaisantes sans être toutefois optimales sur le moment. La situation s’éclaircira au fur et à mesure que l’équipe réagira et rectifiera le tir. Le soutien organisationnel s’avère alors un élément important afin de faciliter l’accès aux ressources appropriées en temps opportun.

La collaboration, l’ouverture, le respect et l’écoute

Pour accroître la réactivité de l’équipe et l’efficacité du processus d’improvisation, une bonne transmission des informations et une collaboration efficace sont de rigueur. Développer un climat de confiance, d’ouverture et de transparence est aussi primordial. L’équipe doit pouvoir discuter de ce qui est acceptable ou non de faire, des erreurs ou des doutes. Les canaux de communication avec les différentes parties prenantes externes doivent également être ouverts. Lorsque la situation est urgente, la rapidité d’accès à l’information est vitale. Toutefois, être capable de se parler ouvertement ne se fait pas d’emblée lorsqu’un problème survient ; une relation de confiance doit avoir été instaurée au fil du temps.

L’expérience, l’expertise et la spontanéité

Plus les membres de l’équipe ont acquis de l’expérience dans des projets antérieurs, plus ils disposent de référents pour analyser une situation et trouver des solutions. L’expérience augmente aussi la capacité à gérer le stress et renforce la confiance, ce qui est fondamental dans une situation qui procure de l’adrénaline et nécessite de ne pas céder à la panique. Une équipe doit donc avoir une certaine prédisposition à la spontanéité, en plus de posséder des connaissances approfondies et une solide expertise du domaine dans lequel elle doit improviser. Les membres de l’équipe doivent finalement bien connaître leurs forces et leurs faiblesses. Réunir les bonnes personnes au bon moment est essentiel au succès de l’improvisation, et il est toujours plus heureux d’y penser en amont. Lors de la composition de l’équipe, par exemple, le gestionnaire peut se poser la question suivante : «Qui voudrais-je avec moi dans le bateau lorsque la tempête frappera?»


Notes

[1] Afin de mieux comprendre la notion d’improvisation en gestion de projet, les auteurs ont interviewé 23 gestionnaires de projet comptant en moyenne plus de 20 ans d’expérience et travaillant dans différents domaines.

[2] Kahneman, D., Thinking, Fast and Slow, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011, 499 pages.