Article publié dans l'édition été 2016 de Gestion

Peut-on imaginer une action collective pour l’innovation là où les participants ne sont ni expérimentés, ni formés à la conception, ni habitués à travailler ensemble ? C’est le pari du co-design, qui réussit à rassembler des parties prenantes pour résoudre des enjeux qui les concernent directement.

Les communautés sont aujourd’hui des acteurs incontournables de l’innovation. Tantôt composés d’usagers, d’employés, de citoyens ou, plus largement, de parties prenantes mues par un intérêt commun, ces collectifs informels sont réputés pour leur production de connaissances et leur contribution aux efforts d’innovation au sein de plusieurs organisations. Qu’en est-il des contextes où ces compétences sont a priori absentes, c’est-à-dire lorsque les personnes ne sont pas particulièrement concertées et peu familiarisées avec les fondements et la pratique d’une activité de création collective ? Peut-on profiter du potentiel innovateur des communautés lorsque les participants ne sont sélectionnés ni pour leur capacité à travailler ensemble ni pour leur expérience en matière de créativité ?


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C’est précisément le pari que proposent les démarches de conception collective, ou co-design1. On réunit ainsi des participants de tous les horizons afin de concevoir des solutions innovantes pour un enjeu donné, le tout étant facilité par le recours à un certain nombre d’outils tirés de la pratique des designers et de techniques créatives. Il s’agit souvent de gens qui se rencontrent pour la première fois et qui ignorent généralement les rudiments de la conception. Deux exemples : un atelier réunissant des personnes âgées, du personnel soignant et des représentants d’une compagnie d’assurances afin d’imaginer de nouvelles manières de répondre aux besoins des gens du troisième âge, ou encore cet autre atelier où des enseignants, des étudiants et le personnel de soutien ont été conviés par la direction d’une université afin d’imaginer une nouvelle maison de la recherche.

Émergence d’une communauté

Il émerge de ces ateliers des concepts originaux, certes, mais surtout de nouveaux réflexes collectifs entre des intervenants jusque-là séparés. De ces rapports déstructurés ou inexistants naît une capacité à travailler avec les connaissances de l’autre et à se projeter ensemble dans l’inconnu. Autrement dit, le fait de se prêter à une activité de co-design permet à ces participants d’apprendre à partager et à combiner leurs connaissances pour innover ensemble. Ici, la création n’est pas tant le résultat de l’effort collectif mais plutôt le moyen qui permet de susciter l’émergence d’une communauté créative.

Au sortir d’un atelier, grâce au pilotage par le co-design, les participants ont donc davantage de capacités de coordination et de compétences en création : ils savent mieux faire circuler leurs connaissances collectivement et manipuler des outils de conception qu’ils ne le faisaient au préalable.

Nos recherches2 nous ont jusqu’à maintenant permis de définir quatre grands rôles pour le pilotage de l’émergence de communautés créatives par le co-design.

Premièrement, il est attendu que le pilote crée un espace de conception – un sujet fort, problématique et pertinent – autour duquel peuvent se rassembler les participants le temps d’un atelier de co-design. Une attention particulière doit alors être accordée à la qualité des échanges et au maintien d’une dynamique relationnelle positive entre des participants qui se rencontrent souvent pour la première fois.

Deuxièmement, le pilotage doit parvenir à enrichir la réflexion de la communauté à mesure qu’elle se développe en facilitant l’acquisition ou l’activation de nouvelles connaissances. Il peut s’agir, par exemple, de convier des experts pour creuser avec celle-ci une piste générée plus tôt ou encore de l’aiguiller dans ses recherches autour d’un concept donné.

Troisièmement, le pilotage doit prévoir dès le départ les interactions subséquentes, c’est-à-dire les occasions dont la communauté pourra tirer profit afin de continuer à rêver collectivement au-delà du premier atelier de co-design. Les parties prenantes peuvent par exemple être conviées, au sortir de l’atelier initial, à une série de discussions plus ciblées pour lesquelles on souhaite les mettre à contribution. Malheureusement, ces considérations sont trop souvent négligées et l’absence de planification coupe court à l’émergence : l’important effort investi pour tisser des liens n’est alors pas pleinement capitalisé.


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Enfin, le quatrième rôle du pilotage consiste à s’assurer que certaines des propositions de la jeune communauté se matérialiseront, sans quoi elle aura tôt fait de se lasser d’un exercice de conception en apparence stérile. De telles suites passent notamment par la mise en place de dispositifs de gouvernance ou de modes d’organisation différenciés, capables de prendre le relais et d’engager les concepts de la communauté sur une trajectoire d’innovation. Ici encore, il importe de retourner auprès des participants et de les impliquer dans les étapes subséquentes, sans quoi la démarche de co-design pourrait laisser à certains l’impression d’avoir été froidement utilisés.

Le potentiel de création de valeur des communautés ne devrait pas se limiter aux contextes où les conditions facilitent naturellement une telle démarche collective. En amenant des gens à travailler avec les connaissances des autres et à générer des propositions communes, le co-design permet de mettre en route des réflexes de conception qui ne demandent qu’à être mobilisés pour résoudre des enjeux pressants.

La proposition est certes audacieuse – faire créer collectivement en dépit de l’absence à la fois d’un collectif et de compétences en création –, mais les résultats sont probants, car la communauté qui en émerge est alors dotée de capacités de conception fondées sur une expérience de collaboration créative et est donc capable de changer son milieu pour le mieux.


Notes

1. Sanders et Stappers, 2008 ; Berger et al., 2005.

2. Ces recherches sont menées dans le cadre des activités de Mosaic avec nos partenaires de Mines ParisTech et de l’Université catholique de Lille, en France.