Si vous avez encore en tête l'image d'une Chine manufacturière de produits de mauvaise qualité et championne de la contrefaçon, il vous faudra revoir votre perspective rapidement.

Car les entreprises chinoises sont en voie de faire leur place petit à petit en Occident, et ce grâce à des modèles d'affaires et à des valeurs qui, sans être révolutionnaires en soi, ont le grand avantage de mettre de l'avant deux éléments qui ont peut-être été délaissés par les entreprises d'ici, à savoir la priorisation du client et le développement de relations de confiance, axées sur le temps long.

À preuve, prenez Huawei (dont le nom peut être traduit en français par « beau travail »), une entreprise fondée en 1997 et œuvrant dans le domaine des télécommunications. Basée à Shengzen, Huawei tire depuis 2005 près du deux-tiers de ses revenus (46,5 milliards USD en 2014) hors de la Chine continentale, comme le montre le graphique ci-contre. À quoi l'entreprise, qui fait affaire dans plus de 170 pays sur le globe, doit-elle son succès? C'est la question à laquelle David De Cremer et Tian Tao ont tenté de répondre dans leur article « Huawei's Culture Is the Key to Its Success », publié sur le site Internet de la Harvard Business Review. Et la réponse formulée se résume à quatre points essentiels:

  • Le client d'abord. Rien de neuf là, me direz-vous! « Huawei exists to serve customers » proclame fièrement l'entreprise, en tête des valeurs de l'organisation. Mais le fait-elle réellement? « Oui! », affirment également Manuel Hensmans et Yuliya Snihur (« Pourquoi les entreprises chinoises raflent des marchés en Europe », sur le site Internet de Harvard Business Review France): « Les firmes chinoises savent en effet combiner des opérations à moindre coût avec un service clients de qualité supérieure. Cette approche est particulièrement efficace sur les marchés dominés jusqu’alors par des entreprises occidentales, plutôt complaisantes vis à vis du service clients. » Les auteurs relatent le cas d'un appel d'offres lancé par la société norvégienne Telenor visant à installer une station de base sans fil à haut débit au-delà du cercle polaire. Aucune entreprise occidentale n'ayant voulu relever le défi, Huawei s'est proposée et a rempli le contrat à satisfaction. Résultat: une relation de confiance établie, et un pied bien ancré dans le marché scandinave.
  • Des employés productifs. Encore là, rien de bien nouveau, l'équation entre mobilisation du personnel et rendement n'étant plus à prouver. Mais comment y parvenir? L'entreprise est la propriété de ses employés, le fondateur de l'entreprise, Ren Zhengfei n'ayant conservé que 1,4% des actions de l'entreprise. En fait, seuls les employés ayant bien performé ont accès à l'actionnariat de l'entreprise, qui a réalisé des profits de 4,5 milliards USD en 2014. Plus de la moitié des employés peuvent se prévaloir de ce programme. C'est une chose assez rare dans nos entreprises occidentales.
  • La longue durée. La perception du temps n'est pas la même d'une région du monde à l'autre. Pour les Orientaux, le temps est un précieux allié, et ce fait se traduit dans la manière qu'ils sont de diriger leurs entreprises et leurs affaires. Par exemple, chez Huawei, le développement de l'entreprise est entrevu sur une décennie, alors qu'en Occident, on planifie généralement au trimestre ou à l'année, et rarement davantage. Autre exemple, l'entreprise Haoneng, spécialisée dans l'étiquetage, faisait l'acquisition, en 2011, de la firme Illochroma, fabricante des étiquettes pour les géants de la bière que sont AB Inbev, Heineken et Carlsberg. Cette acquisition est entrevue comme un premier pas vers une croissance future: « Ces derniers [clients] ont des exigences supérieures en termes de produits comme de services connexes. Lorsque les entreprises chinoises auront appris à satisfaire les besoins des clients les plus exigeants, elles pourront facilement développer leur offre à d’autres qui le sont moins, à travers l’Europe et les États-Unis », rappellent Manuel Hensmans et Yuliya Snihur.
  • Le pouvoir de la réflexion. En lien avec la gestion du temps, rien n'est fait dans la précipitation. Chez Huawei, comme l'actionnariat n'est pas public, la pression du rendement à court terme est quasi inexistante. D'autre part, le processus réflexif à la tête du navire est partagé. De fait, trois PDG occupent la tête de l'entreprise successivement pour une période de six mois: ceux ci-portent le titre de « Rotating and Acting CEO ». Cela permet au fondateur Ren Zhengfei d'assurer une continuité quant aux orientations de l'entreprise, et de développer chez ses poulains des capacités accrues de réflexion, certes moins teintées par l'urgence du rendement.

« Le bœuf est lent, mais la terre est patiente », nous rappelle un vieux dicton chinois. Voilà une maxime pleine de sagesse, et qui démontre bien une partie de la philosophie des affaires des entreprises chinoises. Y aurait-il matière à réflexion pour nous, Occidentaux? Qu'en pensez-vous?