Les politiques de redistribution posent une énigme. Le parti qui dirige le gouvernement fédéral a comme priorité « aider la classe moyenne » ou « redonner espoir à la classe moyenne ». Une première mesure fut une « Baisse d’impôt pour la classe moyenne » qui s’applique au revenu imposable entre 45 282 $ et 200 000 $. De plus, l’expansion du secteur public avec la multiplication des programmes implique un nombre considérable de ménages recevant des prestations gouvernementales qui ne sont pas pauvres. Selon le Census Bureau américain près de la moitié de la population, soit 48,5 %, vivait dans un ménage qui a reçu une prestation du gouvernement au premier trimestre de 2010. Par contre, 46,4 % des ménages ne payaient aucun impôt fédéral sur le revenu en 2010. Au début des années quatre-vingt, le total de la population des ménages bénéficiaires était d’environ 30 %. (données provenant de Murray, 2011)

Il est donc pertinent de se poser la question : l’expansion considérable des programmes gouvernementaux sous différentes formes ne nous a-t-elle pas éloignés d’une lutte efficace contre la pauvreté?


LIRE AUSSI: Élections en mots-clics: avancée ou menace pour la démocratie ?


Le bien public de la lutte à la pauvreté

Il existe dans la population une perception généralisée que la présence de la pauvreté est un mal qui doit être combattu. Il n’y a toutefois pas consensus sur les méthodes à utiliser et sur le degré de mise en tutelle de ceux qui reçoivent l’aide. La lutte à la pauvreté conserve les aspects d’un bien public, consommation collective et difficultés d’exclure. En effet, l’absence de pauvreté profite à tous et n’a pas de lien avec ma contribution individuelle à cette fin. Un triplement de mes dons de charité aurait l’effet d’une goutte d’eau dans un lac. Pourquoi le ferais-je? Les caractéristiques d’un bien public demandent un type d’institution contraignante, dont la plus connue est l’intervention gouvernementale. Il est toutefois primordial de prendre conscience de la dynamique de cette intervention en insistant sur l’importance des préférences du votant médian et sur l’impact des groupes à intérêts concentrés.

Les préférences du votant médian

Dans notre démocratie, la règle du jeu est que les décisions se prennent à la pluralité simple des participants. L’aboutissement de ce régime favorise la réalisation des préférences de celui qui se situe à la médiane ou au milieu des votants. Les partis politiques vainqueurs ont des programmes orientés vers le centre, d’où le slogan « aider la classe moyenne ». Au Québec, la localisation du votant médian a été déplacée vers les « régions » par deux phénomènes : une répartition historiquement inégale des électeurs entre les circonscriptions (au profit des « régions ») et d’autre part, les majorités « inutilement » élevées prévalant dans les circonscriptions à majorité non francophone. Le centre devient alors plus favorable à l’interventionnisme.

La multiplication des groupes d’intérêts

Les coûts de l’information et de la participation politiques expliquent le phénomène assez généralisé de la majorité rationnellement silencieuse. Pour chaque membre de cette majorité, l’action politique est trop coûteuse pour le bénéfice qu’il peut personnellement en retirer. Ce n’est toutefois pas le cas pour les individus fortement concernés par une mesure gouvernementale : pour cette minorité agissante, les bénéfices attendus de la participation aux processus politiques dépassent les coûts. C’est la logique de l’(in)action collective qui débouche sur la tyrannie des minorités actives et bien organisées.  Un exemple d’un groupe bien organisé est l’Union des producteurs agricoles (UPA). Cet organisme bénéficie du pouvoir de monopole syndical qui regroupe tous les producteurs agricoles avec cotisations obligatoires. Ces dispositions diminuent énormément ses coûts d’organisation et de financement et augmentent par conséquent son pouvoir de revendications pour des politiques favorables pour ses membres. L’UPA s’oppose énergiquement à toute remise en question des contingentements dans la production et le commerce des produits laitiers et de la volaille. Cette présence est coûteuse pour les consommateurs et relativement davantage pour ceux à plus faibles revenus. L’expansion considérable du secteur public au vingtième siècle a coïncidé avec la plus grande spécialisation des tâches, provoquant une augmentation des groupes d’intérêts spécialisés. Il y a cent trente ans, plus de cinquante pour cent des emplois étaient dans le secteur primaire, principalement en agriculture. La diversification de la structure socioéconomique a multiplié les groupes minoritaires, qui quémandent des mesures gouvernementales en leur faveur. La redistribution des revenus serait ainsi devenue moins « verticale », c’est-à-dire qu’elle est moins axée sur les grandes classes de revenus, riches et pauvres, et prendrait de plus en plus un aspect « horizontal » et fragmentaire en faveur de minorités agissantes. La dynamique des processus politiques engendre donc la dérive de la lutte à la pauvreté.