Ou comment le numérique peut venir améliorer la prestation, l'efficacité et l'efficience des soins à domicile.

Les défis auxquels est confronté notre système de santé sont nombreux. Ceux-ci découlent en grande partie du vieillissement accéléré de notre population. Selon l’Institut de la statistique du Québec, la proportion des personnes âgées de 65 ans et plus, qui était de 16 % en 2011, devrait atteindre 20 % en 2021, puis 25 % en 2031. Avec le vieillissement de la population viennent aussi les maladies chroniques. Au Québec, 23 % des personnes appartenant à ce groupe d’âge étaient atteintes d’une maladie cardiaque en 2011 alors que cette proportion s’élevait à 46 % pour l’hypertension, 10 % pour l’emphysème et la maladie pulmonaire obstructive chronique et 19 % pour le diabète de type 2.

La prise en charge des maladies de longue durée est principalement sous la responsabilité des établissements de santé de première ligne tels les CLSC et les cliniques médicales. Les infirmières jouent un rôle de premier plan dans la planification, l’orchestration et la dispensation de ces mêmes soins. Selon l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, plus de 12 500 infirmières œuvraient en première ligne en 2013-2014, soit 1 000 de plus qu’en 2009-2010. Malgré la hausse importante de ressources disponibles, seulement 35 % des patients aux prises avec de multiples conditions chroniques affirmaient bénéficier des soins d’une infirmière en 2013. Selon la même source, ces proportions seraient nettement plus élevées ailleurs au pays, soit 72 % en Ontario et 66 % en Alberta.

Comme la demande pour les soins de santé à domicile risque de continuer à croître plus rapidement que l’offre au cours des années à venir, il devient impératif de revoir la manière dont ces soins sont organisés, puis dispensés. Divers rapports et commissions ont souligné par le passé qu’une utilisation appropriée et plus généralisée des technologies de l’information est susceptible d’améliorer l’efficacité du système de santé québécois. C’est dans cette perspective que le CSSS Haut-Richelieu Rouville, le CSSS Haute-Yamaska et le CSSS Rivière-du-Loup figurent parmi les établissements de première ligne à avoir investi, puis déployé une solution novatrice qui se présente sous forme d’une tablette numérique que l’infirmière utilise lors des visites au domicile de ses patients. Sur cette tablette se trouve un progiciel qui comprend un imposant dictionnaire d’interventions cliniques ainsi qu’un module de collecte de données structuré autour de menus déroulants visant à faciliter la prise de notes lors des visites à domicile. Le progiciel permet de générer des plans de soins personnalisés basés sur les meilleures pratiques cliniques.

L’un des premiers déploiements de cet outil a eu lieu au sein de l’équipe onco-palliative à domicile du CSSS Haut-Richelieu-Rouville. Après 20 mois d’utilisation, une étude1 réalisée à HEC Montréal a démontré que le nombre d’interventions à domicile avait augmenté de 18 %. Plus concrètement, cela signifie que les sept infirmières de l’unité de soins palliatifs effectuaient 70 visites à domicile de plus par mois. En ce qui a trait à ce résultat, l’étude révèle une hausse importante du temps consacré aux soins directs aux patients, soit 13 %. Des constats similaires ont été faits plus récemment au CSSS Rivière-du-Loup où on a déployé la même solution technologique. Après un peu moins de cinq ans d’utilisation, le nombre d’heures consacrées aux soins directs aux patients a augmenté de 17 % alors que le nombre de visites infirmières à domicile a, pour sa part, augmenté de 36 % selon les données fournies par la direction du service de soutien à domicile. Même portrait au CSSS Haute-Yamaska qui, selon les données rendues disponibles, a vu le nombre moyen d’interventions infirmières passer de 2,3 par quart de travail à 3,6 après trois ans d’utilisation. Pour sa part, le temps consacré aux soins directs aux patients a augmenté d’un peu plus de 10 % au cours de la même période.

Quoique les infirmières aient été jusqu’ici les principales intervenantes visées par l’introduction de cet outil technologique, son utilisation s’est récemment étendue à d’autres catégories de professionnels de la santé. C’est le cas au CSSS Haute-Yamaska où les inhalothérapeutes, les physiothérapeutes, les ergothérapeutes et les travailleurs sociaux ont reçu une formation au début 2015. Après un an d’utilisation dans un contexte multidisciplinaire, la direction du soutien à domicile de l’établissement perçoit des gains importants de la qualité des soins offerts à la population grâce à une plus grande harmonisation des pratiques. Une meilleure circulation de l’information clinique entre les professionnels de la santé a contribué à améliorer la continuité des soins.

En terminant, l’expérience des trois CSSS décrite ci-dessus est révélatrice et permet de conclure qu’il est possible, grâce au recours aux technologies de l’information, d’améliorer de manière importante la performance des soins de santé à domicile au Québec. Nous encourageons donc les établissements de première ligne à investir davantage dans les nouvelles technologies. Il est toutefois important de préciser que la technologie ne peut à elle seule engendrer les gains de performance. En effet, plusieurs facteurs au-delà de la qualité et de la convivialité de l’outil informatique sont essentiels à la réussite de telles initiatives. Parmi les principaux éléments, on note l’importance de réviser adéquatement les processus de travail, d’obtenir l’engagement ferme des hauts dirigeants et d’assurer la participation active de champions cliniques avant, pendant et après le déploiement du dispositif technologique. 


Notes

1Paré, G., Sicotte, C., Chekli, M., Jaana, M., De Blois, C. & Bouchard, M. « A Pre-Post Evaluation of a Telehomecare Program in Oncology and Palliative Care », Telemedicine and e-Health, 15(2), 2009, pp.154-159.