Sans gêne, on peut affirmer que la véritable personnalité de l’année 2023 a bel et bien été l’IA. Seul petit problème : l’IA est un robot.

Telle une marée montante qui gonfle la mer au gré d’un vent rugissant, l’IA menace. Tsunami d’un tremblement de monde qui annoncerait un inéluctable changement de civilisation. L’affaire est sérieuse. Le génie humain a fabriqué son robot. Mais cette machine, tout intelligente qu’elle soit, pourrait-elle se retourner contre lui s’il venait à en perdre le contrôle? Certains le pensent. D’autres, plus rassurants, la voient comme un brillant et fidèle serviteur aux multiple capacités destinées à réduire, avec intelligence et célérité, les innombrables «servitudes» ou tâches répétitives humaines. Alors, l’IA menace-t-elle vraiment? Et si tel est le cas, que menace-t-elle? Et pourquoi?

L’humain face à son robot

Les premiers effets de la présence de cette «intelligence artificielle» dans nos sociétés humaines se font déjà sentir et montrent surtout clairement combien notre monde a changé depuis l’avènement du numérique. Rendant vétustes, voire obsolètes, nombre de pratiques en cours, tous domaines confondus. La liste est longue qui intime à chacun de repenser ses façons de faire.

Sur le pont, c’est le grand branle-bas de combat. Scientifiques, universitaires, ingénieurs, professeurs, étudiants, sociologues, philosophes, historiens, politiciens, entrepreneurs, artistes ou simples quidams s’interrogent. Une bien lourde tâche, une bien vaste mission. Je n’en produirai pas ici l’énumération exhaustive. Bruno Patino, professeur, auteur, journaliste et directeur de la chaîne franco-allemande Arte, s’en est chargé dans son dernier ouvrage intitulé Submersion. Un livre, selon moi, incontournable. Il y brosse – avec minutie – le tableau de cette situation, n’y voyant pas pour autant le signe de l’apocalypse pressentie par plusieurs personnes.

Choix calculés ou choix moraux

Pour Patino, néanmoins, le fait de déléguer à une machine les choix que l’on doit faire soulève certains problèmes, considérant – et c’est cela qui peut paraître effrayant – que le choix effectué sera plus souvent un choix calculé qu’un choix moral. L’IA générative vient encore surmultiplier les propositions. On peut y voir ici le risque de submersion et avec elle celui des écarts éthiques. S’imposera alors un appel formel aux gouvernements et aux institutions civiles à adopter des réglementations et des lois plus musclées. Pas évident tout ça.

La guerre des intelligences

Outre les réglementations et les lois, un autre enjeu de taille surgit pour un très grand nombre de pays, soit celui de ne pas dépendre des Américains pour leur souveraineté économique, entrepreneuriale et culturelle. Or, OpenAI (ChatGPT), Google et Meta ont tous pris de fait une avance considérable dans l’écosystème des robots intelligents. Chaque pays tente cependant de développer ses propres services pour mettre de l’avant ses propres savoir-faire. Mais tous rencontrent une difficulté supplémentaire dans le choix de la langue d’utilisation, l’anglais s’étant imposé depuis fort longtemps comme la langue des affaires, à tout le moins. Une évidence que les GAFAM avaient également vu venir, en offrant leurs logiciels de traduction.

En marketing, la praticité avant tout

Qu’en est-il de mon propre domaine, celui de la pub, du marketing et, plus globalement, de la communication? Pour en parler, je me suis tourné vers un collègue professeur associé à HEC Montréal, Jean-François Renaud, également cofondateur d’Adviso. Depuis 20 ans, cette firme joue un rôle important dans le monde du marketing numérique en «(r)évolution» constante : accompagner ses clients et ses annonceurs afin qu’ils réussissent harmonieusement et efficacement la fulgurante transition.

D’entrée de jeu, je lui pose la question : «Alors, l’IA, pour ou contre?» Sa réponse ne tarde pas : «On s’en fout. Ce n’est pas le débat!» Jean-François Renaud est un pragmatique. Son vocabulaire est limpide. Son opinion, tranchée. Le rêve et la fiction ne sont pas «sa tasse de thé». Seuls les faits et les preuves d’avancée lui parlent, pour le moment. Et il salue l’efficacité de l’IA générative.

L’IA générative au service du marketing

Cette détectrice de pistes et d’occasions est un agent de changement sans réels concurrents (à ce jour), une compétence surdouée, génératrice de stratégies possibles. Plus on lui donne d’informations (données, insights, profils, cibles, concurrences et partenariats) et plus elle est capable de mettre en perspective des avenues auxquelles on n’aurait pas pensé spontanément pour résoudre un problème. De plus, c’est une formidable coordonnatrice d’algorithmes, un GPS fiable sur l’autoroute des possibles. Même – et c’est là aussi sa faiblesse – si elle ne peut affirmer que tel ou tel chemin de traverse constituerait la meilleure route pour vous mener au succès, elle ne vous dira pas quoi faire pour y parvenir. Car c’est l’humain qui crée. Pas le robot.

Et cet humain est toujours traçable. On a tendance à oublier cela puisque la susnommée «intelligence artificielle» se complaît dans l’anonymat. Mais Jean-François Renaud voit plutôt l’avènement de l’IA comme une excellente nouvelle. Sans être béat ni soumis à elle, il contemple et repère avec lucidité tous les avantages et toutes les occasions favorables que l’IA peut apporter au domaine de la communication et du marketing. Mais il détecte aussi tous les biais ou les pièges dans lesquels elle peut nous entraîner si on n’est pas familier avec son usage.

En conclusion, je m’en voudrais de ne pas citer l’éminent juriste Pierre Trudel, professeur honoraire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal : «Une précaution est à prendre à propos de l’IA. Il faut procéder de la même façon qu’on le fait avec les médicaments : il faut bien lire la posologie et les avertissements concernant de potentiels effets secondaires.»

Article publié dans l’édition Printemps 2024 de Gestion