Article publié dans l'édition Été 2019 de Gestion

Dans Charlevoix, les emplois saisonniers occupent 26 % du personnel des établissements de cinq employés et plus, et au moins la moitié de tous les établissements ont à leur service un ou deux travailleurs saisonniers. La main-d’œuvre est rare et le vieillissement de la population n’aide en rien à son renouvellement. Rencontres avec des entrepreneurs qui vivent au rythme des saisons.


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Sans surprise, la question de la main-d’œuvre constitue un enjeu préoccupant pour les entreprises saisonnières de Charlevoix, en particulier dans le secteur récréotouristique.

Nancy Belley, directrice générale de l’organisme réseau Charlevoix, et Marc-André Bergeron, directeur général de l’hôtel cap aux Pierres, à l’île aux Coudres, sont du même avis : « Pour nous, c’est un défi chaque année : retenir et recruter des employés qualifiés pour offrir un service de qualité aux visiteurs et aux villégiateurs. »

Voyons comment ces deux entreprises composent avec cette réalité.

En voiture! All aboard!

Dès le milieu du 19e siècle, Charlevoix est fréquenté par de riches touristes et estivants qui s’y rendent à bord de navires de croisière.

En 1905, sir Rodolphe Forget, homme d’affaires montréalais très influent et député fédéral de Charlevoix, veut pallier le relatif isolement de la région, desservie par un réseau routier peu fiable. Il propose de prolonger le chemin de fer, qui transporte déjà les pèlerins jusqu’à Sainte-Anne- de-Beaupré depuis 1899, jusqu’à Baie-Saint-Paul et La Malbaie, où le premier Manoir Richelieu a ouvert ses portes quelques mois auparavant. Le prolongement est parachevé en 1919.

C’est sur cette voie que le train de Charlevoix roule aujourd’hui. Ce service ferroviaire appartient à réseau Charlevoix, un organisme sans but lucratif qui exploite deux trains, sept gares et un atelier ferroviaire sur cette voie ferrée, propriété de chemin de fer Charlevoix, une entreprise privée. Il relie le parc de la Chute-Montmorency, près de Québec, à la Malbaie en passant par sept villes et villages côtiers. Le parcours de 125 kilomètres est jalonné de deux tunnels et de quelque 900 ponts et ponceaux, sans parler de nombreux points de vue spectaculaires. « C’est à une véritable croisière ferroviaire que nous convions nos clients : nous leur faisons traverser des paysages époustouflants et découvrir la région, son histoire et ses gens sous un angle nouveau, explique Nancy Belley. C’est une attraction en soi ! »

Réseau Charlevoix collabore étroitement avec tous les partenaires locaux et régionaux, élus comme gens d’affaires, et avec les autres acteurs du milieu récréotouristique de la région. Par exemple, cette année, la direction prévoit allonger sa saison jusqu’au début de décembre pour desservir le Marché de Noël de Baie-Saint-Paul. « À long terme, nous visons une exploitation quatre saisons », précise Mme Belley.

Constitué de huit employés (quatre directeurs, deux adjointes et deux mécaniciens) de novembre à mai, le personnel passe à 65 personnes de juin à octobre. Chaque année, l’organisme recrute entre 10 et 15 nouveaux employés, qui reçoivent formation, encadrement et parrainage.

« Notre défi est paradoxal : nous devons attirer et fidéliser une main-d’œuvre temporaire, et ce, sans faire de concessions sur les compétences indispensables pour offrir à nos clients un produit attrayant, écoresponsable et sécuritaire, indique la directrice générale. Vous savez, travailler dans le domaine ferroviaire exige du personnel très qualifié. »

Les employés sont recrutés presque exclusivement dans la région ; certains sont des retraités très satisfaits de travailler durant quelques mois seulement, et beaucoup sont embauchés par d’autres entreprises récréotouristiques de la région pendant l’hiver, comme la SÉPAQ1 ou le Massif de Charlevoix. Résultat : un excellent taux de rétention.

Du temps pour mieux recevoir

Ouvert de mai à octobre, l’hôtel cap-aux-Pierres, à l’île aux Coudres, offre aux visiteurs 98 chambres auxquelles s’ajoutent un restaurant, des salles de réunion et de banquet ainsi qu’un théâtre d’été. C’est une des entreprises hôtelières les plus importantes de la région.

Selon Marc-André Bergeron, le rythme saisonnier comporte des défis, certes, mais il y a aussi certains aspects positifs : « de novembre à avril, nous avons tout le temps voulu pour bien planifier la prochaine saison, effectuer des travaux d’entretien et moderniser nos installations sans incommoder la clientèle. »

À l’instar d’autres établissements de villégiature saisonnière de Charlevoix, la main-d’œuvre est un enjeu pour la direction de l’hôtel. « 75 % de nos employés sont des insulaires ; ils travaillent de longues heures durant la haute saison et profitent de la basse saison pour prendre du repos et refaire le plein d’énergie.

C’est le cas de certains de nos employés les plus fidèles », précise M. Bergeron. Fait à noter, le caractère saisonnier des emplois incite de plus en plus de personnes à travailler après leurs 65 ans : le tiers des employés de l’hôtel a dépassé cet âge, dont un homme qui a 84 ans et une dame de 77 ans qui y travaille depuis 40 ans! Toutefois, bon an, mal an, la direction de l’hôtel recrute 25 % de sa main-d’œuvre à l’extérieur de la région. « Ces employés sont de passage chez nous pendant quatre ou cinq mois : il faut donc assurer leur hébergement. Chaque année, nous recevons aussi huit stagiaires que nous envoient deux lycées français, où on donne une formation en hôtellerie ; ça nous aide à bien gérer la situation », fait valoir le directeur général. Les propriétaires et dirigeants de l’hôtel cap aux Pierres s’activent pour allonger leur saison « par les deux bouts ». Et ils ne ferment pas la porte à une ouverture « quatre saisons », notamment grâce à l’essor du tourisme hivernal.


Note

1 SÉPAQ : société des établissements de plein air du Québec.