Chez les gestionnaires à succès, chez ceux et celles qui réussissent à se hisser à des postes d’influence et à exceller dans l’exercice de leurs fonctions, on retrouve toujours une bonne dose d’habiletés politiques.

Ces hommes et ces femmes savent que, pour bien diriger, il ne suffit pas de bien analyser une question ou d’élaborer un bon plan d’action mais qu’il faut aussi, si l’on veut atteindre les résultats qu’on vise, influencer d’autres êtres humains avec qui l’on est en relation d’interdépendance. Ces gens savent cela et le mettent en pratique.


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Les habiletés politiques jouissent cependant d’un statut ambigu dans les textes sur le management et dans l’enseignement de la gestion, de même que dans la pensée de bien des observateurs ou aspirants au succès.

Tout en reconnaissant que chaque personne qui réussit sait faire preuve d’habiletés politiques, on a souvent tendance à opposer les habiletés politiques à la compétence ou à les passer sous silence, comme si elles entachaient la noblesse du métier.

Dans cet article1, nous tenterons de donner leur juste place aux habiletés politiques. Après les avoir définies, nous préciserons leur rôle dans la vie des organisations et dans le métier de gestionnaire. Nous nous pencherons aussi sur les réticences que l’on entretient à leur égard et nous présenterons quelques considérations pratiques sur leur mise en œuvre.

Que sont les habiletés politiques ?

Les habiletés politiques peuvent se définir comme l’art de mobiliser les sources de pouvoir dont on dispose.

On parle d’un art puisqu’il s’agit d’un savoir-faire, tantôt instinctif, tantôt appris, qui va plus loin que la simple application de techniques ou de recettes. Ce savoir-faire concerne l’utilisation du pouvoir ; c’est pourquoi on le qualifie de « politique ».

Le mot « politique », dérivé du grec poliz qui signifie « cité » (cité, état, république) et qui a d’abord désigné l’art de gouverner, s’est en effet étendu à l’ensemble de l’exercice du pouvoir et à la finesse déployée pour y réussir. C’est ainsi que les dictionnaires donnent, entre autres significations du mot « politique », les définitions suivantes : conduite adroite dans les affaires particulières, conduite calculée pour atteindre un but précis, personne habile, avisée, qui montre une prudence calculée.

Concrètement, on dira que savoir argumenter, savoir convaincre, savoir négocier, savoir trouver des appuis, savoir choisir ses alliés, savoir tirer parti de sa marge de manœuvre, ressortissent de l’art de mobiliser les sources de pouvoir à sa disposition et, par conséquent, sont des habiletés politiques.

Les organisations comme structure politique 2

Les organisations sont des arènes de pouvoir. Elles fonctionnent en distribuant l’autorité et en fournissant des occasions d’exercer de l’influence.

Elles agissent, entre autres, comme des banques de pouvoir, allouant aux personnes qui y œuvrent des statuts et ressources associés à leurs responsabilités et leur conférant des bases différenciées de pouvoir. Celui ou celle qui accède à tel poste se trouve à bénéficier de la portion d’autorité qui y est associée par l’organisation et cela constitue, de concert avec sa compétence et sa personnalité, son capital initial de pouvoir. Sera habile celui ou celle qui saura utiliser ce capital pour atteindre les résultats souhaités. Mieux l’on utilisera ce capital, plus il aura tendance à s’accroître ; à l’opposé, si l’on néglige de l’utiliser ou si l’on échoue dans ses projets, la base initiale de pouvoir se rétrécira.

Politiques, les organisations le sont aussi parce qu’elles se prêtent à des rivalités pour l’obtention et la conservation du pouvoir. Les fonctions de pouvoir se trouvent en nombre limité dans les entreprises et cela est d’autant plus vrai qu’on s’approche du sommet de la pyramide. Les personnes désireuses d’avoir de l’influence sont donc souvent en concurrence, soit pour la nomination à un poste, soit pour l’appui d’une personne haut placée, soit pour l’étendue de leur champ de responsabilité.

L’on se trouve alors en conflit d’intérêts face à la distribution du pouvoir, de la même façon qu’on peut l’être pour l’attribution d’un budget ou d’un local.

Mais le pouvoir ne vient pas seulement d’en haut ; pour l’exercer, les gestionnaires ont également besoin de l’appui de la base, plus spécifiquement de celui de leurs subordonnés et collègues. Si les subordonnés secondent leur patron avec enthousiasme et efficacité, son pouvoir se trouve renforcé.

Si, au contraire, ils lui retirent leur appui, ils minent progressivement sa crédibilité aux yeux du reste de l’organisation et, ce faisant, érodent sa base de pouvoir. Il en va de même pour les collègues, sans l’appui desquels il est quasi impossible d’exercer une réelle influence. Cela se passe comme si la nomination, venue d’en haut, devait être confirmée par la base pour devenir effective.

En outre, le pouvoir dans une organisation n’est pas la simple juxtaposition des pouvoirs individuels. Il existe des regroupements qui, combinant le pouvoir de plusieurs personnes, en augmentent l’effet. Dans certains cas, on parlera de coalitions, c’est-à-dire d’alliances délibérées formées en vue de mieux atteindre les objectifs de l’organisation. Ainsi, dans une entreprise bien dirigée, on observe généralement l’existence d’une coalition entre le président ou la présidente et l’équipe des vice-présidents et vice-présidentes. Le pouvoir se consolide alors autour d’une figure centrale à qui l’on se veut loyal et dans une solidarité entre les membres, ce qui assure une unité d’action à l’équipe de direction tout en renforçant le pouvoir de chaque partenaire.

Dans d’autres cas, il s’agit plutôt d’une collusion, c’est-à-dire d’une alliance qui vise non pas le bien de l’organisation mais plutôt la défense des intérêts de ses membres, souvent de façon inconsciente et au détriment de tiers.

Il est à noter que certaines circonstances rendent particulièrement actives les luttes de pouvoir dans les organisations, notamment les annonces de compression de personnel, de fusion d’entreprises ou de changement de propriétaires. Il en va de même lorsque le leadership est faible ou erratique ou qu’il ne se forme pas de véritable coalition au sommet. On assiste alors à une recrudescence d’intrigues et de conspirations engendrées par l’insécurité et le manque de direction claire.

La vie politique des organisations n’est cependant pas restreinte à ces épisodes d’instabilité ; elle est une composante « naturelle » et omniprésente de la dynamique organisationnelle.

Même si l’on remarque des différences de degrés entre les organisations et selon les périodes et les personnes en place, c’est toujours dans un univers politique que se déroule une carrière en entreprise.

L’enjeu : avoir de l’impact

Dans cet univers, il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées ; il faut que les bonnes idées deviennent des réalisations et, pour cela, qu’elles recueillent l’appui et l’engagement des personnes qui comptent. Or, c’est précisément à cela que servent les habiletés politiques : à convaincre, à se faire des alliés, à susciter des engagements en vue d’un résultat.

Certains croient naïvement qu’une analyse brillante, un rapport bien rédigé ou une décision éclairée ont le pouvoir magique de provoquer l’adhésion.

Ils mettent alors tous leurs talents à produire de telles réalisations sans se soucier de les « vendre » aux autres. Hélas, ils sont habituellement déçus des suites données à leurs propositions. Bien souvent, elles sont négligées, faute d’avoir été défendues énergiquement ; parfois, elles sont rejetées, faute pour leur auteur d’avoir pris en compte les intérêts conflictuels qu’elles allaient éveiller ou d’avoir mis dans le coup ceux et celles qui auraient pu s’en faire les avocats.

Dans tous ces cas, l’exercice se sera avéré stérile et sans impact sur le cours des événements. Il aura, en outre, provoqué des frustrations, de la tristesse et de l’agressivité.

Il faut bien reconnaître qu’à cet égard, le monde de l’enseignement prépare bien mal à la vie en entreprise. À l’école, le bon rapport, la bonne analyse, la bonne solution entraînent la bonne note. Cela contribue à créer l’impression que le monde du travail obéira aux mêmes règles et que, sauf dans les cas où les patrons seront incompétents ou de mauvaise foi, l’excellence dans l’accomplissement d’une tâche amènera automatiquement sa récompense.

Or, la vie en société ne fonctionne pas sur le mode d’un examen objectif classant rigoureusement des élèves selon les mérites de leur réponse.

Dans l’entreprise, les personnes qui soumettent de bonnes idées ou de bons projets ont la responsabilité de faire reconnaître les mérites de leurs propositions. C’est ainsi qu’elles en arrivent à avoir de l’impact, à être reconnues comme compétentes et à avoir progressivement accès à des mandats de plus en plus complexes et intéressants.

Pour avoir de l’impact, les règles du jeu ne sont pas les mêmes que pour gagner un premier prix ou se mériter des félicitations. Dans le monde du spectacle, on dirait qu’avoir de l’« impact » c’est obtenir un succès populaire se traduisant par un auditoire nombreux et enthousiaste plutôt qu’un succès d’estime où l’hommage flatteur de quelques experts ne compense pas la réalité d’une salle vide.

L’impact ou l’«impact» suppose en effet la présence de résultats concrets. Avoir de l’impact se distingue également d’avoir raison. Les entreprises ne sont pas plus des tribunaux qu’elles ne sont des établissements d’enseignement. Certaines personnes, convaincues qu’une justice immanente préside à la bonne marche des organisations, s’acharnent à démontrer qu’elles ont raison envers et contre tous, même quand leur point de vue n’a aucune chance d’être accepté. C’est là une approche perdante, source de bien des amertumes.

Elle a, en outre, l’inconvénient de mobiliser des énergies qui pourraient servir à exercer un impact réel, si elles étaient mises au service de projets constructifs et réalisables. Le simple fait de détenir un poste élevé et un titre prestigieux n’est pas non plus une garantie d’impact. Cela sert bien sûr de base à l’exercice de l’influence, mais encore faut-il s’en servir efficacement, ce qui nécessite la mise en œuvre d’habiletés politiques.

Comment être habile politiquement ?

Pour être habile politiquement, il convient en premier lieu de bien lire et bien sentir la dynamique de pouvoir en place dans l’organisation qui nous intéresse. Qui contrôle ? Qui détient le pouvoir formel ? Qui influence qui ? Qui a l’information ? Qui a recruté qui ? Quels groupes sont les plus influents ? Quels groupes sont les plus suspects ? Quels groupes sont habituellement en concurrence ? Qui travaille sur les dossiers les plus critiques ? Qui a rendu service à qui ?

Il est également utile de connaître d’autres éléments, ceux-là d’ordre social, qui peuvent avoir de l’influence sur les appuis que les gens s’accordent mutuellement. Par exemple, qui est parent avec qui ? Qui est l’ami de qui ? Qui a étudié avec qui ? Qui appartient à la même ethnie ou à la même religion ? Qui joue au golf ou au tennis avec qui ? Quels sont ceux et celles qui prennent leurs vacances au même endroit ? Quelles personnes mangent régulièrement ensemble ? Ce sont là des informations susceptibles d’aider à comprendre la dynamique des relations de pouvoir dans l’entreprise et à bien évaluer sa propre position dans cet ensemble.

Pour réussir à avoir de l’impact, il faut aussi connaître les valeurs de l’organisation. Que valorise-t-on ? La croissance, le profit trimestriel, la part de marché, l’harmonie entre les personnes, le contrôle des coûts, la satisfaction du client, l’ambition personnelle, le travail acharné, la création d’emplois, l’image publique de la firme, la contribution au bienêtre de la société, le réseau de contacts extérieurs à l’entreprise, l’innovation, le respect des traditions ?

Voilà des informations précieuses, que ce soit pour développer ses arguments ou pour cibler ses interventions. Il convient également de connaître les règles d’éthique et d’étiquette qui président aux jugements que l’on porte sur les membres de l’organisation.

Quels comportements sont hautement valorisés ? Lesquels sont inacceptables ? Lesquels sont suspects ?

La méconnaissance de ces données peut rendre quasi impossible l’obtention de la crédibilité nécessaire à l’exercice de l’influence.

Bien décoder la réalité politique et les valeurs d’une organisation, que ce soit par simple flair ou au moyen d’une démarche réfléchie, ne suffit pourtant pas à assurer qu’on ait de l’impact sur la vie de l’entreprise.

Encore faut-il agir en conséquence et avec finesse. Cette fois, c’est une forme d’intelligence de l’action qui doit nous guider pour faire les bons choix, sélectionner les bons projets, dire les bonnes choses, parler aux bonnes personnes, choisir le moment et le lieu, en tenant compte des éléments de la dynamique organisationnelle qu’on aura décelés.

Pour développer cette intelligence de l’action, on peut largement s’inspirer des observations de la vie de tous les jours, soit en famille, soit en société. À cet égard, il est intéressant de noter que bon nombre d’expressions populaires font référence à des habiletés politiques.

Mentionnons, par exemple : savoir tirer son épingle du jeu, sauver la face, protéger ses arrières, flatter dans le sens du poil, tirer des ficelles. Il en va de même pour des maximes comme «on ne prend pas les mouches avec du vinaigre» ou «toute vérité n’est pas bonne à dire». Dans ce domaine, ce qui est valable à l’extérieur des entreprises l’est vraisemblablement aussi à l’intérieur.

On peut également apprendre beaucoup de l’observation des autres membres de l’entreprise, en tentant de comprendre pourquoi certains ont du succès et d’autres pas et en modelant son propre comportement sur celui des premiers. Il est aussi très utile d’obtenir une rétroaction sur ses propres agissements. Une ou plusieurs personnes d’expérience peuvent rendre ce service au débutant ; c’est à ce dernier, cependant, que revient la responsabilité de susciter l’intérêt de telles personnes qui, dans les meilleurs des cas, peuvent jouer un véritable rôle de mentor dans le développement d’une carrière.

Les habiletés politiques et la carrière

Si elles sont indispensables pour atteindre des réalisations concrètes au sein des entreprises, les habiletés politiques le sont aussi pour progresser dans une carrière. Être sélectionné, être nommé et être promu s’apparentent à obtenir des votes. Certes, les gens favoriseront une personne plutôt qu’une autre en fonction surtout de sa compétence ; pour que ce processus fonctionne, cependant, il faut que cette compétence soit visible, reconnue et associée à la bonne personne. Cela ne se passe généralement pas sans que le principal intéressé ne se charge d’en rendre les autres conscients.

Dans ces circonstances, il s’avère aussi fort utile que des personnes extérieures au processus de sélection puissent témoigner de cette compétence.

C’est là qu’entre en action le réseau des gens qui connaissent bien le candidat ou la candidate, en ont une opinion très favorable et jouissent d’une grande crédibilité dans le milieu. Ce réseau, la personne à la fois compétente et avisée se sera employée à le bâtir, année après année. Il lui servira, en outre, à obtenir des informations « privilégiées » et à établir des contacts avec d’autres personnes ou organisations.

Un tel réseau revêt une si grande importance qu’il n’est pas inutile de prendre cette variable en considération quand se pose la question d’accepter ou de refuser un poste. Il convient alors de nous demander avec qui ce poste nous mettra en contact et s’il nous fournira l’occasion de démontrer nos compétences à ces interlocuteurs. Il vaut parfois la peine de renoncer à un poste dont le contenu est intéressant s’il doit nous isoler ou ne pas nous permettre d’échanges significatifs avec des personnes qui comptent.

Comme on le voit, la plupart des comportements habiles politiquement relèvent en fait du simple bon sens. Comment se fait-il alors que les habiletés politiques soient si souvent méprisées et décriées ? Employons-nous maintenant à comprendre la nature des réticences à leur égard.

Les réticences

Il faut bien reconnaître que la politique a mauvaise réputation. Le traité de Machiavel a laissé des traces : on associe facilement la politique à la recherche effrénée du pouvoir, sans aucun scrupule et dans la négation de toute morale. Bien qu’elles puissent être mises au service de nobles causes, de réalisations valables et d’un amour de soi bien placé, les habiletés politiques sont teintées de la suspicion qu’on entretient à l’égard du pouvoir en général. Elles sont fréquemment confondues avec la tricherie, la tromperie ou la perfidie qui ne caractérisent, en fait, que certaines utilisations malhonnêtes des habiletés politiques.

Les réticences face aux habiletés politiques s’expliquent aussi par diverses croyances sur la façon dont le monde et les organisations devraient fonctionner. Ainsi en est-il, par exemple, de l’idéologie de la « méritocratie » qui entretient le mythe d’une société tout à fait rationnelle où les récompenses sont accordées au mérite objectif, sans autres considérations.

Dans ce système, il suffit d’être le meilleur pour gagner à tout coup ; si l’on doit recourir aux habiletés politiques, c’est qu’on a des faiblesses à cacher ou que ceux et celles qui ont le mandat de reconnaître les compétences ne font pas leur travail convenablement.

L’idéologie des relations humaines purement désintéressées joue un rôle semblable. Prônant la gratuité absolue dans les relations, elle considère toute utilisation pragmatique des contacts entre les humains comme une dégradation de la vie en société. Il en va de même pour l’idéologie de l’autosuffisance, qui présente comme hautement désirable le fait de ne compter que sur ses propres moyens et de ne rien devoir à personne. Si désincarnés et si irréalistes que soient ces trois idéaux, ils rallient pourtant de nombreux adeptes qui y trouvent appui pour condamner l’ensemble des comportements à saveur politique, sans autre procès.

On peut également avancer que certaines réticences à l’égard de l’utilisation des habiletés politiques sont fondées sur l’anxiété qu’elle provoque. Se limiter à l’accomplissement de sa tâche, fût-ce avec passion et grande application, est source de confort et de sécurité. À l’opposé, s’aventurer dans le politique, c’est pénétrer dans un univers flou, bourré d’implicites et d’interdépendances.

On peut craindre de s’y faire mal et d’y échouer.

Paradoxalement, on peut aussi craindre de trop bien réussir. Le succès a son prix. Après la victoire, il faut assumer les responsabilités concrètes qui y sont rattachées. Il se peut également que l’on ait à vivre certaines des émotions pénibles qui accompagnent l’exercice du pouvoir, comme les sentiments d’indignité ou d’imposture. De plus, réussir met une personne sur la sellette et en fait une cible pour la critique. Enfin, le succès suscite l’envie, qui se manifeste souvent par des remarques déplaisantes, portant en particulier sur les moyens utilisés pour y parvenir. Dans ce contexte, refuser le recours aux habiletés politiques peut être une façon déguisée de fuir les responsabilités, les sentiments désagréables, la critique et les propos malveillants, avec une belle excuse. On fait alors exactement ce qu’il faut pour échouer, tout en prétendant vouloir faire ce qu’il faut pour réussir.

Enfin, ce peut être par paresse ou par manque de motivation qu’on refuse de s’engager. Agir politiquement demande de l’énergie et il arrive qu’on ne tienne pas assez à réussir pour déployer cette énergie. C’est le cas de certaines personnes qui se présentent à un poste «au cas où» elles l’obtiendraient plutôt que «pour» l’obtenir : elles trouvent mille et une bonnes raisons pour ne pas poser les gestes susceptibles de leur assurer ce poste.

Le devoir d’être habile politiquement

Si l’on reconnaît l’importance des habiletés politiques pour avoir de l’impact sur son entourage, on devrait être moins porté à s’en méfier et plus enclin à les envisager comme une ressource à sa disposition afin d’atteindre les objectifs que l’on trouve valables. En fait, les personnes compétentes et honnêtes devraient considérer qu’il est de leur devoir d’être habiles politiquement. Se dérober à ce devoir, c’est consentir à laisser la direction des affaires publiques et privées aux mains des incompétents ou des malhonnêtes.

Dans cette optique, les habiletés politiques apparaissent comme le complément indispensable de la compétence et de l’honnêteté plutôt que comme leur contraire. Mieux encore, elles se révèlent comme une facette de la compétence, une de ses composantes sans laquelle son action demeurerait lettre morte.

Pour s’engager dans cette voie

L’exercice des habiletés politiques suppose un état d’esprit serein à leur égard. Dans cette perspective, on peut faire les suggestions suivantes à la personne qui souhaite s’engager ou progresser dans cette voie. Il lui faut d’abord reconnaître et accepter son ambition, de même que son désir d’influencer les autres et le cours des événements. Cela suppose qu’elle ait confiance en elle-même, en sa compétence, en son jugement. Cela implique également qu’elle ait fondamentalement confiance dans les autres, ceux auxquels elle veut s’associer et ceux qu’elle veut influencer, réservant ses réticences aux seules personnes qui présentent des indications d’incompétence, de maladresse ou de malhonnêteté.

En second lieu, il lui faut faire son deuil des trois idéaux évoqués précédemment, celui de la « méritocratie », celui des relations humaines purement désintéressées et celui de l’autosuffisance. Tant qu’une personne n’a pas remplacé ces représentations chimériques de la réalité par une juste vision de la façon dont les projets se mènent à terme, elle demeure ambivalente et souvent même paralysée face aux gestes qu’il convient de poser.

En troisième lieu, elle doit se poser la question suivante : est-ce que ma personne, mes projets, mon équipe, mon organisation, valent la peine que je déploie en leur faveur le supplément d’énergie que suppose l’utilisation d’habiletés politiques ? Valent-ils la peine que je prenne des risques pour eux, que j’encaisse des coups ?  Sans une réponse affirmative à cette question, on ne saurait s’engager avec conviction dans l’effort de mobiliser les sources de pouvoir à sa disposition.

Enfin, il convient d’établir clairement sa position morale face à l’utilisation des habiletés politiques.

Considère-t-on cette utilisation intrinsèquement mauvaise et méprisable, ou juge-t-on qu’elle doit être évaluée cas par cas ? Si l’on endosse ce dernier point de vue, on peut aborder sereinement le développement et l’exercice de ses propres habiletés politiques.

Il importe cependant de maintenir un esprit critique pour évaluer la valeur morale de tel ou tel geste politique.

Même si, dans le contexte de cet article, nous avons délibérément mis l’accent sur les aspects positifs de la vie politique dans les organisations et la carrière, il n’en demeure pas moins que beaucoup d’actions à caractère politique sont moralement condamnables ou s’assimilent davantage à la politicaillerie et aux combines qu’à la saine gestion. Chaque personne a la responsabilité de distinguer les gestes politiques valables des gestes politiques répréhensibles et de choisir ceux qui lui conviennent en fonction de ses propres valeurs et de celles qui prévalent dans son milieu.


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Ce sont là, croyons-nous, les éléments d’un état d’esprit propice à l’utilisation des habiletés politiques.

Une fois cette mentalité créée, on est prêt à agir avec finesse et réalisme pour avoir de l’impact autour de soi, on est prêt à réussir dans un univers d’êtres humains interdépendants.

Peut-être découvrira-t-on alors qu’on maîtrise les habiletés politiques beaucoup plus qu’on ne le croyait !

Francine Harel Giasson est professeure à l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal.


Notes

1 L’auteure remercie Laurent Lapierre, Bertin Giasson, Pierre B. Lesage et Carol Bélanger pour leur lecture attentive d’une première version de cet article, leurs commentaires et leurs suggestions. Sa reconnaissance va aussi à Michèle Poirier, présidente de Michèle Poirier et associés, qui a prononcé à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain une conférence des plus inspirantes sur les habiletés politiques.

2 Cette section sur les organisations comme structures politiques s’inspire largement de Zaleznik, Abraham, «Power and Politics in Organizational Life», Harvard Business Review, mai-juin 1970.