Pierre Duhamel / Crédits : Isabelle Salmon / Numéro 7

Pierre Duhame

Point de vue publié dans l'édition printemps 2015 de Gestion

Il n’y a rien de plus facile que de distinguer un entrepreneur d’un gestionnaire : ils ne s'habillent pas pareil, et ils ne parlent pas la même langue ni le même langage. Leurs cerveaux ne fonctionnent pas de la même manière et ils n'ont pas les mêmes attentes face au travail. On aura beau dire qu'ils sont tous les deux des « gens d'affaires », j'ai quelques fois l'impression qu'il s'agit d'habitants de planètes différentes.

Pour en avoir interviewé des centaines sur quatre décennies, je peux me permettre de partager avec vous cette observation fondamentale : les entrepreneurs n'ont pas d'allure et les gestionnaires en ont trop!

L'entrepreneur

Martin-Luc Archambault a beau être un diplômé de HEC Montréal, c'est un entrepreneur et ça se voit au premier coup d'oeil. Il est habillé comme un cégépien qui a de l'argent, je soupçonne qu'il ne sait pas faire un noeud de cravate, et j'ai besoin d'un dictionnaire trilingue (français-anglais-nerd) pour savoir de quoi il me parle au juste. Par contre, il sait vendre et compter et pas mal vite à part de ça. Au primaire, il avait ouvert un petit commerce de vente de pétards à mèches. Il se vante d'avoir vendu au secondaire du nettoyant pour tapis à des gens qui n'avaient pas de tapis. Pendant ses études collégiales, il a créé un site de spéculation boursière en séance, canadiandaytrader.com.

À sa sortie de HEC Montréal, il ne démarre pas une, mais cinq entreprises qu'il vendra en 2005 à Zango, un holding de Seattle, ce qui le rendra millionnaire à 25 ans. Qui a besoin d'un MBA avec une telle feuille de route?


LIRE AUSSI: Portrait d'un leader: Martin-Luc Archambault


Cet entrepreneur technologique investit dans de nombreuses startups du Web et il pilote Bolidéa, un laboratoire de conception de sites sociaux sur Internet. Il veille notamment au déploiement de Wajam, une application qui intègre des médias sociaux comme Twitter et Facebook au moteur de recherche Google et qui aurait un immense potentiel. L'entrepreneur, qui est aujourd'hui dans la mi-trentaine, veut aussi révolutionner le modèle publicitaire sur Internet, en reliant chacune des annonces aux amis ou à des vedettes connues qui utilisent tel produit ou tel service. Ce ne sont là que quelques-uns de ses nombreux projets en cours de réalisation…

Vous l'aurez deviné, l'entrepreneur est un hyperactif à qui il ne faudrait pas prescrire de Ritalin si on a vraiment à cœur l'économie du Québec. C'est un marchand de rêves qui a fait de sa capacité d'innover et de vendre sa seule véritable raison d'être.

Le gestionnaire

Le gestionnaire est un homme ou une femme du monde. Il est bien élevé, bien habillé, bien poli, bien éduqué, bien instruit, bien bilingue et surtout bien compétent. Son rêve, c'est de réussir sa carrière et sa vie.

L'entrepreneur aime faire des affaires, le gestionnaire aime compter. L'entrepreneur exacerbe les contradictions, le gestionnaire les temporise. L'entrepreneur rêve, le gestionnaire a les deux pieds sur terre.

L'entrepreneur fonce dans le tas et ses cibles et objectifs évolueront en cours de route. Pour lui, la rapidité de décision et d'exécution est une condition de réussite. Le gestionnaire veut mesurer, calibrer, étudier et envisager avant de décider.


LIRE AUSSI: Dossier entrepreneuriat: l'esprit de l'entrepreneur: recevoir et rendre


L'entrepreneur est impatient et souvent tyrannique parce qu'il veut entrer dans le marché le plus rapidement possible. Le gestionnaire ne jure que par les études de marché, la segmentation de la clientèle et une planification quasi militaire des processus. Le gestionnaire croit qu'il peut prédire l'avenir et ainsi le contrôler. L'entrepreneur ne croit pas aux prévisions, mais beaucoup en lui-même. Pas besoin alors de chercher à prédire l'avenir, car il est l'avenir!

L'entrepreneur n'a pas peur de souffrir. Il n'a pas peur non plus de se planter en cours de route; à vrai dire, il souhaite même que cela arrive le plus rapidement possible pour savoir comment s'ajuster. Le gestionnaire préfère le confort au tumulte. Il hait se planter, car il risque de perdre ses chances de promotion ou même son emploi.

L'entrepreneur ne craint pas l'échec, parce qu'il recommencera rapidement sur un autre projet. Le gestionnaire fait tout pour sauver l'entreprise et il vivra tout recul comme un échec personnel.

L'entrepreneur n'a peur de rien. Le gestionnaire a peur de tout et veut s'assurer que la foudre ne lui tombe pas sur la tête. L'entrepreneur ne sait pas ce qu'est la foudre. L'un est un peu fou, l'autre est un peu trop sérieux. Et c'est pour cela qu'ils ont besoin l'un de l'autre.