Article publié dans l'édition automne 2015 de Gestion

Autodidacte, crack de techno et visionnaire, le « dragon » Martin-Luc Archambault s’est toujours fié à ses intuitions avec assurance, devançant même l’industrie des technologies de l’information, secteur en effervescence s’il en est un, pour devenir millionnaire à 25 ans. Dix ans plus tard, le PDG et fondateur de SPOTR a lancé et soutenu financièrement plus d’entreprises qu’il cumule de printemps.

leadership archambaultAvant même que l’ère d’Internet ne se soit déployée au point de nous faire oublier qu’il fut jadis un monde sans échanges virtuels, Martin-Luc Archambault bricolait son propre BBS1 pour échanger des fichiers, jouer, chatter ... tandis que ses amis venaient chez lui pour avoir accès à cet embryon d’Internet. Élève au secondaire, il s’intéresse peu à ses cours et préfère s’occuper de programmation, trouvant même une manière pour Yahoo – c’était avant le règne de Google – de classer ses sites avantageusement et de générer assez de circulation pour qu’il en tire des revenus intéressants, ouvrant du coup la porte à l’optimisation pour les moteurs de recherche avant même que le terme n’existe. Une fois au cégep, il se passionne pour la Bourse, effectue quotidiennement plusieurs transactions, n’hésite pas à joindre directement les PDG des entreprises qu’il a dans sa mire a fin d’obtenir des informations validant ses investissements et crée un site de spéculation boursière pour aider ses amis à profiter de ses bons coups, le Canadian Day Traders.


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Ange investisseur que le grand public a pu découvrir le printemps dernier en tant que « dragon » de la célèbre série télévisée Dans l’œil du dragon, Martin-Luc Archambault croit profondément à l’importance de développer l’entrepreneuriat dès l’école primaire. Humaniste, il s’implique dans les projets privés qu’il soutient, soucieux de partager son expérience et de tisser des liens. Aventurier, il explore les univers inconnus d’entreprises en démarrage et se ressource grâce à la pratique de sports extrêmes (kitesurf, wakeboard, héliski). Au cœur des immenses étendues poudreuses de l’Alaska, il s’abandonne à l’ivresse de découvrir des territoires qu’aucun humain n’a foulés. Son mantra : « Better be sorry than not try2 ! »

Des pétards à mèche au maillage techno

D’aussi loin qu’il se souvienne, Martin-Luc Archambault a toujours voulu être son propre patron. « Je n’ai jamais vraiment accepté l’autorité, surtout quand les règles imposées n’avaient pas de sens. Enfant, j’étais un petit tannant », confie-t-il, un sourire dans la voix et le regard lumineux. Poussé par le besoin inné de mener sa vie comme il l’entend, il vit sa première expérience d’entrepreneur dans la cour d’une école primaire en vendant des pétards à mèche et autres menus objets, qu’il se procure pour 0,25 $ et revend le double. Il sait calculer et ses affaires vont bien. Jusqu’à ce que des copains, témoins de son succès, se rendent compte qu’il y a de l’argent à gagner. « C’est à ce moment-là que j’ai appris la loi de l’offre et de la demande. D’autres se sont mis au commerce, il y avait plus d’offre que de demande, les prix ont chuté ! » Il apprend à la dure. Non seulement il ne réussit plus à faire de profit sur ses ventes mais la direction de l’école lui impose aussi une suspension de quelques jours pour avoir tenu un commerce dans une zone interdite, freinant momentanément ses ardeurs. « Pourtant, c’est à cet âge qu’on devrait ouvrir les jeunes à l’expérience entrepreneuriale. Le plus tôt possible ! Intégrer un cours où les élèves auraient à mijoter une idée pour vendre quelque chose, leur donner un budget et les laisser mener le projet. Ils apprendraient concrètement, sur le tas, comment calculer leur produit, à quel prix le vendre. L’école peut apporter de bonnes bases, mais il n’y a rien de tel que l’expérimentation dans l’action. »

À l’adolescence, Martin-Luc se découvre une passion pour l’informatique, il lit tout ce qu’il trouve sur le sujet, expérimente, programme, teste, commet mille erreurs … et apprend. Découragé ? Parfois. Mais surtout avide de comprendre : « Et je ne décroche pas tant que je n’ai pas compris et appris », confirme-t-il, soulignant au passage l’importance de l’erreur pour avancer.

D’une entreprise à l’autre

Sur les murs habillés par un artiste du graffiti, on ne peut pas rater les valeurs qui imprègnent la philosophie du « dragon »

Au cégep, puisqu’il est entièrement absorbé par ses activités boursières, qui occupent la majeure partie de son temps, qu’il s’amuse bien et qu’il en tire des revenus satisfaisants, Martin-Luc Archambault s’interroge sur la nécessité de poursuivre des études qui ne l’intéressent guère. Mais ses parents insistent sur le passage à l’université. Ils sont inflexibles. « Je me suis dit que tant qu’à aller à l’université, il fallait qu’il y ait un lien avec mes intérêts. Alors, j’ai opté pour HEC. Mais à cause de mon bulletin, je n’ai été accepté qu’aux cours du soir. Je n’étais pas vraiment fâché … Ça me laissait du temps pour me consacrer à ce que je jugeais plus utile : mes transactions boursières », admet-il simplement. Comme il est rapidement accepté au programme de jour et parce que, finalement, il n’est pas courtier, il ferme son site de spéculation sur séance.

Son instinct entrepreneurial le menant à explorer inlassablement de nouvelles avenues, le jeune « dragon » fonde CDT, une entreprise d’édition et de publicité en ligne. « À cette époque, beaucoup de sites donnaient du contenu gratuitement. J’en ai joint plusieurs et les ai convaincus d’installer la barre de recherche que j’avais conçue pour protéger leur contenu. » Son projet connaît un succès fulgurant. En moins de trois ans et 50 millions de téléchargements plus tard, il vend l’entreprise à la compagnie américaine Zango, assurant dès lors son indépendance financière. En 2008, il utilise l’argent de la transaction pour financer une nouvelle aventure avec deux partenaires, Oliver Cabanes et Magali Janvier : Bolidea, un des premiers accélérateurs d’entreprises au Canada, qui a notamment investi dans Frank & Oak (une boutique de vêtements pour hommes accessible sur le Web) et dans Planbox (un outil de gestion de projets agiles), ainsi que le moteur de recherche Wajam.

Wajam, l’entreprise de recherche sociale qu’il a fondée, est née de l’idée qu’on devient plus intelligent et plus efficace en partageant ses connaissances. « En échangeant sur nos trouvailles, à la fin d’une journée, mes partenaires et moi avons réalisé que nos recherches parallèles donnaient un résultat similaire … Bref, nous avions dupliqué nos efforts et perdu du temps ! L’idée de recherche sociale nous est alors venue : créer un moteur de recherche branché aux plateformes sociales qui rassemble les recherches et les recommandations de votre réseau d’amis pour vous permettre d’en profiter », résume l’homme d’affaires, précisant que l’autre volet de Wajam consiste à générer des revenus en créant de la publicité sociale. Tout le monde y gagne : « Tu cherches un hôtel dans la ville de ton prochain voyage ? Wajam trouve dans la banque d’Expedia la publicité d’un hôtel qu’un de tes amis a fréquenté et t’envoie une photo de cet ami Facebook à côté de l’annonce en question. » Voilà qui met en confiance.

Communauté d’humains à l’ère virtuelle

La confiance : une valeur importante aux yeux de Martin-Luc Archambault, qui se définit comme un introverti. L’importance des liens, l’appartenance à une communauté. Il y a là une force vitale profondément ancrée chez le dragon qu’il lui faut nourrir. « Aller dans une soirée de centaines de personnes pour serrer des mains, ce n’est pas nécessairement mon truc. Par contre, ce que j’aime vraiment, c’est qu’un ami me présente à un ami. » On comprend d’autant mieux l’attrait qu’exerce le développement d’outils qui permettent de tisser des liens, grâce à l’exploitation des possibilités de l’univers technologique. D’ailleurs, au-delà de Wajam, de la recherche et de la publicité sociale, l’entrepreneur aux mille idées travaille simultanément à de nombreux projets, dont AMP à Québec, Adios à Tel-Aviv et SPOTR à Montréal. Ce dernier est en fait un logiciel qui permet de créer une bande dessinée personnelle à laquelle peuvent contribuer des copains. « En fait, tu utilises les photos et autres selfies qui s’accumulent sur ton téléphone intelligent et, grâce à des bulles, tu y ajoutes des commentaires que tu partages avec tes amis. » Pour avoir eu le privilège d’une démonstration, l’expérience est des plus amusantes.


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Aucun doute, Martin-Luc Archambault aime l’humain. En témoignent les mille manières auxquelles il recourt pour cultiver son propre réseau. Si les technologies demeurent son outil de prédilection, aller à la rencontre de l’autre lui vient naturellement. Catapulté en territoire inconnu, il n’hésitera pas à tout reconstruire. Ce fut d’ailleurs le cas lors de son aventure espagnole, qu’il relate avec une nostalgie teintée d’un grand bonheur. « Je suis fasciné par l’Espagne depuis toujours. Lorsque j’étais étudiant à HEC, l’occasion d’un échange universitaire s’est présentée. Le problème, c’est que mes notes n’étaient pas suffisantes. Mais quand je veux quelque chose, je m’organise ! Alors j’ai travaillé comme un forcené pour augmenter ma moyenne. »

À son arrivée en sol espagnol, le jeune homme se retrouve sans repères, déstabilisé. Néanmoins, son regard s’allume à l’évocation de cette période, qu’il décrit comme une des meilleures de sa vie. « Je souhaite ce genre d’expérience à tous les jeunes ! Vivre ailleurs, gagner son entière autonomie. En deux jours à peine, je me suis déniché un appartement, je me suis branché à Internet – il fallait que je continue à travailler sur mon entreprise pour financer mon séjour et j’ai acheté une moto pour explorer la côte ! » Mais surtout, il bâtit un réseau social, s’intègre à cette communauté latine dont l’esprit festif et la capacité à déconnecter continuent à l’inspirer alors que, de son propre aveu, il a personnellement beaucoup de difficulté à ne pas demeurer branché en permanence.

Avancer, sans regret

En affaires, l’entrepreneur raconte qu’il a connu son plus grand revers – qui a d’ailleurs marqué son apprentissage – lors de la vente de sa première compagnie, en 2005. « J’étais fébrile, c’était ma première grosse transaction. J’ai accepté l’offre majoritairement en argent, mais avec une partie importante en actions et la promesse de jouer un rôle dans la nouvelle entité en tant que président de la filière canadienne. Mais je n’avais aucun pouvoir, je me suis vite ennuyé, faute de défis. » Il part peu de temps après, plus que jamais convaincu de l’importance de demeurer maître de sa destinée. Plusieurs années plus tard, l’entreprise sera d’ailleurs vendue pour une bouchée de pain, les actions de l’ancien propriétaire ne valant plus rien. « C’est une leçon d’investissement que j’ai retenue : désormais, quand j’investis, je dois bien connaître l’entrepreneur, avoir confiance en l’individu. »

Martin Luc Archambault connecté

S’il traverse les épreuves et gagne en sérénité, c’est probablement grâce à sa conviction profonde que l’échec est nécessaire. Sans échec, point d’apprentissage, point de possibilité de s’adapter. « Mais quand il s’agit de projets d’affaires, c’est beaucoup plus facile ! Je me suis planté bien plus de fois que je n’ai eu de réussites ! Mais sur ce plan, il n’y a aucune émotion, pas de stress. En fait, le stress, c’est celui de devoir congédier des employés. Ça, c’est terrible, parce que ce qui compte le plus pour moi, c’est mon équipe. Pour le reste, ce ne sont que des idées testées sur le Web, et si on n’essaie pas, on n’avance pas. » D’ailleurs, l’entrepreneur se désole que les Québécois craignent encore l’échec à ce point.

Mission : entrepreneuriat

Martin-Luc Archambault croit plus que tout en l’entrepreneuriat et contribue à le faire émerger. Selon lui, il y a certainement là une part d’inné. « Mais on ne perd rien à essayer pour apprendre et retirer quelque chose de l’expérience. On en ressort gagnant », assure-t-il. Il est aussi membre du conseil d’administration de l’organisme Anges Québec3, qui orchestre un réseau d’affaires soutenant le démarrage d’entreprises et auquel il s’est joint dès sa création. « Anges Québec est un formidable bassin de ressources ! Nous étions à peine une dizaine en 2008 ; nous sommes 175 aujourd’hui. Ce réseau donne accès à des entrepreneurs dans tous les domaines », explique Martin-Luc Archambault avec enthousiasme.

Sa motivation ? Changer le monde. « Il ne faut pas investir seulement pour l’argent, l’argent vient après ; il faut d’abord que les gens s’amusent. On investit pour aider et voir des projets se développer, parce qu’en redonnant, le succès se répand. C’est un échange qui me permet de continuer à apprendre, d’assouvir ma curiosité, de multiplier les idées. Et de participer au développement de projets », soutient l’entrepreneur en série, qui multiplie les petits investissements dans des startups. Il souhaite qu’il y ait davantage de jeunes entrepreneurs. C’est d’ailleurs une des raisons qui l’ont poussé à participer à la série Dans l’ œil du dragon. « Pour rencontrer des jeunes, les soutenir, partager mon expérience, mes connaissances comme entrepreneur. J’ai envie de leur dire : profitez-en pendant que vous êtes aux études pour démarrer un projet en parallèle ! » Un dragon passionné et convaincu.

Martin-Luc Archambault est à ce point investi de cette mission qu’il a récemment lancé des capsules vidéo où des jeunes entrepreneurs, en qui il croit et qu’il a soutenus, racontent leur propre histoire. Une autre manière de créer des liens. Et un angle d’inspiration pour développer le cycle d’entrepreneuriat au Québec. Il est intéressant de constater que ces jeunes entrepreneurs qui ont le vent dans les voiles abondent dans le même sens que le « dragon » : « Il n’y a pas de moments parfaits pour se lancer en affaires, les attendre ne fait que ralentir, mais je vous conseille vivement de vous trouver un mentor », conclut le fondateur de Frank & Oak, Ethan Song, qui souligne au passage la pertinence des conseils fort profitables de Martin-Luc Archambault dans le succès de son entreprise. « Tout le monde déborde d’idées, mais peu les concrétisent », fait remarquer l’ange financier. « Alors, en tant qu’investisseur, je choisis une personne plus qu’une idée, quelqu’un qui n’aura pas peur d’essayer. De mon côté, j’essaierai d’apporter de la valeur au projet pour que l’entrepreneur en tire quelque chose de positif. »

L’entrevue est terminée. L’entrepreneur s’est livré avec générosité. Ce crack de techno en aurait encore tant à raconter ! Visionnaire, il partage sa réflexion sur l’avenir des technologies parce qu’il est visiblement préoccupé par ce futur proche où la machine inventée et perfectionnée par l’homme supplantera son créateur. « Je réfléchis beaucoup à l’intelligence artificielle : bientôt, dans une trentaine d’années peut-être, la machine saura se programmer elle-même. Quand le robot dépassera l’homme, l’épargnera-t-il ? Nous qui voulons toujours aller plus loin, dépasser les frontières de l’imaginable, créons-nous notre perte ? » Mais là, à l’instant, ce passionné de l’univers virtuel doit partir, remettant sa réflexion à plus tard. Martin-Luc Archambault a encore mille projets à mener.


Notes

1.  Bulletin Board System, couramment abrégé sous le sigle BBS : serveur équipé d’un logiciel qui permet les échanges grâce à des modems reliés à des lignes téléphoniques.

2. Traduction libre : « Mieux vaut être désolé que ne pas essayer ! »

3. Anges Québec est un réseau de plus de 165 investisseurs privés qui cible les entreprises innovantes à fort potentiel au Québec. Les membres d’Anges Québec valorisent les projets d’entreprises les plus prometteurs aux étapes d’amorçage et de démarrage en y investissant capital et expertise.