Alors que les employeurs québécois cherchent désespérément à recruter, les personnes ayant un casier judiciaire, qui représentent un vaste réservoir de main-d’œuvre, peinent à trouver des postes. Pourquoi donc les directions d'entreprise ne sont-elles pas plus nombreuses à les accueillir au sein de leurs équipes?

Embaucher une personne qui a un casier judiciaire vous semble peut-être une décision complètement irresponsable. Or, pensez-y à deux fois avant de sauter à une telle conclusion! Le nombre d’individus qui sont dans cette situation au pays n'est pas à négliger : en effet, plus de quatre millions de personnes ont un casier judiciaire, selon les statistiques fournies par le Service de l’identité judiciaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Cela représente 14 % de la population adulte. Sur la base de ces données, le Comité consultatif pour la clientèle judiciarisée adulte (CCCJA) estime que l'équivalent, pour le Québec, est de 800 000 personnes âgées de 18 ans et plus.

Malgré cette grande proportion de gens touchés par une telle réalité, l’idée d’embaucher des personnes judiciarisées* reste taboue. Les raisons les plus souvent citées dans ce contexte? D’après le CCCJA, les principaux freins à l’embauche de ces personnes sont la peur ou la méfiance, la perception des gens en dehors de l’entreprise, les autres membres du personnel à l’emploi de cette dernière ainsi que le manque de compétences.

En dépit de cela, de nombreuses entreprises québécoises se disent désormais mûres pour l’embauche de telles personnes. Selon une enquête réalisée par le Conseil québécois des ressources humaines en tourisme (CQRHT), en 2023, parmi les bassins de main-d'œuvre disponibles, 42% des entreprises touristiques québécoises étaient prêtes à recruter des candidats et des candidates ayant un casier judiciaire.

Dans un contexte de démarche d'équité, de diversité et d’inclusion (EDI), on ne peut ignorer qui compose la population carcérale au pays. Selon les données fournies par Sécurité publique Canada, les individus qui sont sous responsabilité fédérale présentent un profil de plus en plus diversifié. Le pourcentage de personnes délinquantes blanches diminue; il est passé de 58,8% en 2015-2016 à 53,7% en 2019-2020. Le nombre de personnes délinquantes autochtones a quant à lui augmenté de 15,3% de 2015-2016 à 2019-2020. Par ailleurs, même si les personnes délinquantes qui se disent chrétiennes continuent de représenter la majorité des individus incarcérés au Canada, leur pourcentage a diminué depuis 2015‑2016, ayant passé de 52,7% à 45% en 2019-2020.

Pour l'embauche de personnes judiciarisées

L'embauche de personnes judiciarisées est vue comme un processus gagnant-gagnant sur plusieurs plans. Les employeurs se retrouvent avec les travailleurs et travailleuses qu’il leur faut; les personnes judiciarisées obtiennent les postes dont elles ont besoin; et les taux de récidive diminuent grâce à l'occupation d'un emploi.

Bon nombre de personnes détenues sortent de prison en ayant suivi des formations en lien avec un travail. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, une période de détention n’interrompt pas forcément l’évolution professionnelle d’un individu. Ainsi, plusieurs personnes obtiennent un diplôme ou se forment en continu pendant leur incarcération.

De plus, tous les centres de détention au Québec proposent un service d’employabilité pour faciliter la réinsertion des personnes détenues une fois qu’elles ont fini de purger leur peine. Celles-ci sont donc mises au courant des changements qui ont cours dans le marché du travail.

De façon générale, ces individus ont un grand besoin de valorisation, et ceux qui cherchent du travail font preuve d’une très grande motivation. Ils sont aussi plus ouverts que d’autres à des changements de carrière et à des déplacements dans une région géographique différente, se montrant donc très réceptifs aux propositions des employeurs de tous horizons.

L’insertion, la réinsertion et le maintien en emploi des personnes ayant des antécédents judiciaires contribuent grandement au succès de leur réintégration sociale et constituent l’un des moyens efficaces d’éviter toute récidive.

À cet égard, il existe au Canada la Fair Chances Coalition, un groupe d'entreprises et d’organismes intersectoriels, publics et privés qui s'engagent à faire progresser l'équité et les occasions d’affaires pour l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes. Cette coalition a été créée en 2021, en partenariat avec la Ville de Toronto. Elle cherche à attirer des organisations canadiennes afin de favoriser la diffusion de pratiques d’embauches équitables en leur sein. Un pendant américain existe depuis 2015; créé sous l’administration de Barack Obama, cet engagement a reçu la signature de nombreuses entreprises (pensons ici à Facebook, à Gap, à Lyft, à Target, à Vice Media, etc.).

Des recommandations pour l'embauche de personnes judiciarisées

Qu'ils aient été condamnés ou non, ces individus font souvent face à une stigmatisation importante lorsqu'ils tentent de trouver un emploi ou de réintégrer le marché du travail. En fait, le simple fait d'avoir un casier judiciaire peut réduire de 50 % le taux de rappel d'un employeur.

Rappelons ici qu’il est illégal de ne pas embaucher une personne pour la seule raison qu’elle a un casier judiciaire. L’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne énonce en effet que «nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon». Cela n'empêche pas un employeur de vérifier les antécédents judiciaires d'un candidat ou d’une candidate.

Les directions d'entreprise qui se sont récemment engagées à améliorer leurs efforts en matière d'EDI peuvent commencer par mettre en œuvre une approche qu’on appelle le recrutement équitable. Voici plusieurs bonnes pratiques que vous pourriez déployer de votre côté.

Il est recommandé d'intégrer la vérification des antécédents judiciaires à la fin du processus de recrutement, afin de laisser toute leur chance aux personnes candidates et de limiter l'incidence des biais inconscients sur l'évaluation des candidatures.

Une autre bonne pratique consiste à intégrer des critères de sélection qui sont axés sur les compétences et l'expérience liées au poste avant que le processus de recrutement ne soit enclenché, et à se baser sur eux pour prendre des décisions objectives.

Il convient également d’offrir aux responsables du recrutement ainsi qu’au personnel une formation portant sur les conséquences de l'implication de la justice dans le processus de recrutement, sur la valeur prédictive des vérifications du casier judiciaire dans une telle démarche et sur l'importance d'une évaluation équitable des résultats des vérifications en lien avec le casier.

Si vous êtes un employeur qui privilégie un recrutement équitable, mentionnez-le dans vos offres d'emploi.

La vérification du casier judiciaire des candidats et des candidates fait partie de votre processus d'embauche? Indiquez-le aussi dans les offres.

Enfin, à supposer qu’une vérification du casier judiciaire soit à prévoir, les personnes candidates sont informées à l'avance des informations qui leur seront demandées, de ce qui sera examiné, de la personne qui s’en occupera, ainsi que de la manière dont ces informations seront conservées et stockées.


Notes

* Une personne dite «judiciarisée» est une personne adulte qui a déjà été condamnée par un tribunal pour une infraction pénale.

** Une personne judiciarisée n'a pas forcément été incarcérée.