Article publié dans l'édition automne 2015 de Gestion

Il est de bon ton de dire que le gestionnaire et l’entrepreneur vivent sur des planètes différentes. Mais qu’en est-il du gestionnaire et du leader ? Et s’il était possible pour une personne d’assumer ces deux rôles avec harmonie et efficacité ? Les gestionnaires désireux de mieux comprendre les multiples paradoxes associés à leur rôle devraient explorer la notion de « leadership flexible ».

Dans un récent numéro de la Harvard Business Review, Goffee et Jones2 citent le cas d’un gestionnaire qui travaille dans une organisation depuis un certain nombre d’années. Son honnêteté et ses habiletés techniques, largement reconnues, ont fait de lui un chef d’équipe compétent. Cependant, une fois promu au siège social de l’entreprise, il se rend rapidement compte que ses interventions auprès de ses collègues ne sont pas toujours aussi efficaces qu’auparavant, loin de là. On lui reproche alors de ne pas bien saisir la complexité de ses dossiers et on lui suggère de travailler sur son sens de l’influence. Cet épisode nuira considérablement à sa progression au sein de l’organisation. Reconnu pour sa capacité à donner l’heure juste dans un style franc et direct, ce gestionnaire doit alors faire face à un sérieux défi d’adaptation.


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La recherche de l’équilibre

Goffee et Jones entendent illustrer par cet exemple la grande difficulté pour un gestionnaire à trouver un équilibre entre l’expression de ce qu’il est et les liens qu’il établira avec les personnes qu’il veut influencer. Les qualités que l’on possède – l’honnêteté et les habiletés techniques dans notre exemple – demeurent essentielles, mais la lecture d’un nouveau contexte pour les exprimer et pour les appliquer adéquatement peut faire défaut.

La grande capacité d’écoute, par exemple, constitue sans contredit une force pour tout dirigeant. Toutefois, si elle s’exerce sans tenir compte du contexte et sans alterner entre l’écoute et la prise de position affirmée, le leadership de ce dirigeant s’en trouvera affaibli.

C’est la capacité d’écouter et de prendre position, selon ce que requièrent les contextes, qui fait du gestionnaire un « leader flexible ».

Les types de leadership

La presse populaire en gestion ainsi que les modèles théoriques élaborés par les universitaires tendent à vouloir limiter le leadership à une liste précise de qualités à posséder ou d’actions spécifiques à accomplir. Le leadership transformationnel en constitue certainement le modèle contemporain le plus étudié. Celui-ci renvoie à la capacité d’un dirigeant à amener ses subordonnés à transcender leurs intérêts personnels et à réévaluer leurs croyances, leurs besoins et leurs valeurs au profit d’une vision collective. Plus spécifiquement, le leader transformationnel inspire, motive et stimule intellectuellement les employés qu’il estime dignes de sa considération, de son soutien et de son engagement. Plus récemment, le leadership authentique et le leadership éthique ont également mis l’accent sur des dimensions bien précises, notamment la prise de décision fondée sur des critères moraux. Ces caractéristiques, si elles sont adoptées par le leader, auront des retombées hautement favorables, non seulement pour lui mais aussi pour l’organisation et pour ses membres.

La lecture de ces caractéristiques nous amène spontanément à souhaiter la présence de tels leaders dans nos organisations. Or, l’étude du terrain, documentée par un certain nombre d’articles scientifiques, nous permet d’observer que plusieurs individus en position de leadership voient leur carrière dérailler parce qu’ils ont tablé de façon automatique sur des éléments qui ont pourtant fait leur succès, en tant que leaders, dans leurs anciennes fonctions. Ces forces deviennent leurs pires ennemis. Des études ont en effet démontré que le maintien de certains comportements de leadership a jusqu’à un certain point un lien avec la performance, après quoi celle-ci tend à plafonner et parfois à décroître.


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Le leadership flexible

La grande majorité des modèles de leadership présentent ainsi une liste de comportements à adopter sans toutefois mettre en garde contre la surutilisation de ceux qui sont susceptibles de nuire considérablement au leadership en plus de compromettre l’atteinte des objectifs. Le leadership flexible constitue une option à envisager !

En effet, pour leur permettre de faire face au rythme et à la diversité de leurs activités, le modèle du leadership flexible2 suggère aux leaders, d’une part, de posséder un large répertoire comportemental et, d’autre part, d’être aptes à alterner entre des comportements opposés en réponse à ce qui est requis par chaque situation (par exemple : mener leur équipe et soutenir leurs employés ; adopter une vision stratégique et avoir un souci opérationnel). Ces dualités illustrent les tensions et les compromis souvent nécessaires qui font du management un véritable exercice d’équilibrisme.

Concilier les dualités

La première dualité est reliée à l’intégration, aux relations humaines et aux objectifs d’accomplissement. On la définit comme la capacité à rechercher la productivité tout en construisant la cohésion et en soutenant le moral des troupes (dualité S’imposer / Permettre). La deuxième dualité a trait à la résolution des conflits existants entre la tendance à s’orienter vers l’environnement externe et la tendance à recourir aux processus internes. On la définit comme la capacité à introduire des innovations et à s’y adapter tout en favorisant la stabilité au sein de l’organisation (dualité Stratégique / Opérationnel). La flexibilité du leadership renvoie donc à l’habileté à adopter de multiples rôles complémentaires, parfois antagonistes, pour répondre à des demandes contextuelles et conflictuelles variées.

Cette conception du leadership évite la prétendue séparation leader / gestionnaire très présente dans la littérature en gestion. Lorsqu’on parle d’un gestionnaire, on insiste sur la rigueur dont il doit faire preuve, sur son souci opérationnel et sur sa capacité de prise en charge (volets croisés S’imposer et Opérationnel), pour ne citer que quelques éléments, tandis que la conception du leader renvoie davantage à des aspects créatifs (volets croisés Permettre et Stratégique), notamment associés à un discours enthousiaste ainsi qu’à la capacité d’évoluer dans la complexité et de faire preuve de psychologie. Le problème avec cette vision dichotomique tient d’une part à la banalisation des fonctions de gestion et, d’autre part, à l’idéalisation du rôle du leader. Après tout, une seule et même personne assume toutes ces fonctions. C’est sa capacité à alterner entre ces préoccupations et certains comportements qui en fera un vrai leader.

Le coaching à la rescousse

Comment développer cette capacité ? La réponse pourrait se trouver dans le coaching de gestion, une stratégie de développement dont l’engouement ne semble pas se tarir. En favorisant un aller-retour entre la pratique et la réflexion, le coaching semble favoriser un leadership plus flexible. Cette approche amène les individus à mieux comprendre les relations de cause à effet entre leur comportement et ses répercussions. Le coaching peut également contribuer à mettre en lumière les modèles comportementaux du leader et à déterminer ceux qu’il surutilise. Pour l’amener à diversifier ses options comportementales, le coach l’aidera simultanément à développer des capacités sous-utilisées et à procéder à une analyse plus pointue des exigences et des besoins des individus ainsi que des diverses situations qui peuvent se présenter.


Notes

1. Goffee, R. et Jones, G., « Managing Authenticity : The Paradox of Great Leadership », Harvard Business Review, vol. 82, n° 12, 2005, p. 87-94.

2. Kaiser, R. B. et Overfield, D. V., « Assessing Flexible Leadership as a “Mastery of Opposites” », Consulting Psychology Journal – Practice and Research, vol. 62, n° 2, 2010, p. 105-118.