Article publié dans l'édition Été 2019 de Gestion

En juin 2018, le Groupe de travail sur l’économie collaborative (GTÉC) a déposé le rapport pour lequel il avait été constitué quatre mois plus tôt par le gouvernement du Québec. Présidé par Guillaume Lavoie, un spécialiste de l’économie collaborative, le GTÉC y présente ses recommandations pour faire du Québec un chef de file dans ce domaine. un an plus tard, sommes-nous sur la bonne voie ?


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Vingt-cinq millions : c’est le nombre de sièges de voiture vacants qui sont en mouvement chaque jour au Québec, dont 15 millions dans la seule région de Montréal, et ce, alors que les dépenses en transport représentent le deuxième poste budgétaire des familles québécoises, avant même celui de la nourriture.

On sait aussi que les transports au Québec, dont fait partie l’auto solo, sont responsables à eux seuls de près de 40 % des émissions de gaz à effet de serre dans la province. Le découragement vous gagne à la lecture de ces chiffres ? Guillaume Lavoie, lui, y voit une formidable occasion de favoriser des initiatives relevant de l’économie collaborative.

Gestion est allée à la rencontre de ce chargé de cours spécialisé en politiques publiques à l’École nationale d’administration publique afin de comprendre la genèse du rapport du GTÉC ainsi que les conséquences du changement de gouvernement à Québec, à l’automne 2018, sur sa mise en application.

Guillaume Lavoie tient d’ailleurs à dissiper tout soupçon de partisanerie : « le mandat m’a été confié par le premier ministre du Québec, non par un chef de parti. Notre rapport a été déposé auprès du gouvernement du Québec. Tous les partis politiques ont collaboré à nos consultations et tous ont commenté positivement notre rapport. »

Gestion : selon vous, en quoi ce rapport était-il nécessaire ?

Guillaume Lavoie : le Québec arrive parmi les derniers dans le domaine de l’économie collaborative en Amérique du nord. Nous sommes en retard, très en retard. Mais l’avantage, lorsqu’on occupe cette position, c’est qu’on peut seulement progresser, et ce, en s’inspirant des meilleurs.

Il y a une grande méconnaissance entourant l’économie collaborative au Québec. On la réduit souvent à Uber et à Airbnb, qui ne représentent pourtant que la pointe de l’iceberg. Quand j’ai mené mes consultations afin de produire ce rapport, j’ai entendu de hauts dirigeants, dans les secteurs public et privé, dire que ces questions ne les concernaient pas, car ils ne travaillent ni avec les compagnies de taxi ni avec les propriétaires d’hôtels ! Par deux fois, cette méconnaissance a fait rater au Québec la possibilité d’instaurer des mesures d’encouragement et d’encadrement de ces pratiques. Lorsque Uber et Airbnb ont débarqué ici, la réponse a non seulement été inadéquate mais a aussi eu l’effet inverse que celui escompté, car elle a offert à ces joueurs des situations de quasi-monopole. La deuxième erreur commise a consisté à penser que le cadre réglementaire traditionnel pouvait s’appliquer au modèle collaboratif. Or, c’est impossible. Il nous faut imaginer un encadrement nouveau qui soit à la mesure du défi.

 Justement, vous avez écrit qu’il faut « réussir à créer un cadre permettant de réconcilier l’innovation, l’équité et l’intérêt général » : qu’entendez-vous par là ?

G. l. : actuellement, le cadre qui réglemente les pratiques en économie collaborative est mal adapté, voire absent. Ceci dit, c’était prévisible. Dans l’histoire du monde, les innovations socioéconomiques ont toujours eu un pas d’avance sur le cadre juridico-politique. La loi ne peut pas encadrer quelque chose qu’elle ne connaît pas encore. Le problème n’est donc pas d’être en retard mais de savoir pendant combien de temps nous allons accuser ce retard. Réconcilier innovation, équité et intérêt général, cela signifie créer un cadre qui soit compatible avec ces nouveaux modèles d’affaires mais qui prenne également en considération l’objet même qu’il doit encadrer.

La doctrine proposée se résume à ceci : encadrer afin de mieux permettre.

Elle sous-tend trois grandes idées :

  1. il est impossible d’encadrer ce qu’on n’est pas prêt à permettre ;
  2. il est irresponsable de permettre ce qu’on n’est pas capable d’encadrer ;
  3. l’encadrement spécifique doit viser l’intérêt général afin de mieux maximiser les avantages et de réduire les inconvénients.

Il faut donc prendre le temps de bien comprendre toutes les pratiques : à chacune son encadrement. C’est ce qui va permettre d’aboutir à une réglementation sensée et applicable. Par exemple, le marché du logement à court terme ne peut pas être régi de la même façon que ceux de la nourriture et des transports. Toutes ces décisions doivent être prises en fonction de l’intérêt général : elles doivent avoir pour objectif le plus grand bénéfice pour le plus grand nombre de gens, et ce, aussi longtemps que possible. Malheureusement, les politiques publiques sont souvent motivées par des intérêts particuliers.

Vous avez déposé votre rapport en juin 2018. Des élections provinciales ont eu lieu quatre mois plus tard et Ont porté au pouvoir la CAQ de François Legault. À quelles suites peut-on s’attendre quant à l’application de vos recommandations ?

G. l. : le nouveau premier ministre et son parti ont salué ce rapport lorsque nous l’avons déposé. M. Legault a d’ailleurs annoncé vouloir amorcer une réforme de la réglementation entourant le covoiturage commercial.

Il semble y avoir une certaine écoute de la part du gouvernement. tourisme, finance, nourriture, transports, entreposage, etc. : les possibilités offertes par l’économie collaborative commencent tout juste à se manifester. Tous les gouvernements devront s’y intéresser tôt ou tard.

En ce sens, notre rapport constitue un outil privilégié pour que les administrations publiques de tous les niveaux réussissent à encadrer convenablement les pratiques collaboratives.