Aricle publié dans l'édition été 2016 de Gestion

Concevoir un jeu sérieux sur la nutrition pour prévenir l’obésité ? Créer une application de reconnaissance photogénique des pilules pour identifier les médicaments ? Ce ne sont là que deux exemples de défis lancés par des professionnels de la santé aux participants des événements Hacking Health, unis par leur désir de faire vivre à la médecine sa révolution numérique.

Les hackathons sont des rencontres qui réunissent bénévolement pendant quelques jours des programmeurs, des professionnels, des usagers et des citoyens pour tenter d’apporter de façon collaborative et ouverte des solutions originales et pratiques, généralement de nature technologique, à des problèmes qui restaient alors sans solution. Cette approche tend même aujourd’hui à s’élargir à des solutions sociotechniques ou organisationnelles, comme la conception de nouveaux processus.


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Hacking Health en est un bel exemple. Cette organisation à but non lucratif vise à faire tomber les barrières de l’innovation dans le secteur de la santé pour contribuer à l’amélioration des soins et des services de santé offerts à la population grâce au développement de technologies numériques. Pour atteindre cet objectif, Hacking Health rassemble des programmeurs, des designers, des entrepreneurs, des professionnels de la santé et des usagers du système de santé (patients actuels ou anciens, aidants naturels).

Fondée à Montréal en 2012, elle connaît depuis une croissance fulgurante, notamment dans sa ville natale, où elle a noué des collaborations avec plusieurs grands centres hospitaliers et d’autres organisations d’envergure dans le domaine. D’un petit événement en 2012 à un mouvement regroupant aujourd’hui plus de 1 500 personnes à Montréal seulement, Hacking Health a réussi à bien mobiliser une communauté forte et dynamique – hôpitaux, universités, institutions financières, incubateurs et accélérateurs publics, entreprises privées de toutes sortes – autour de sa vision. Son approche spécifique des hackathons a ainsi permis à des institutions du secteur de la santé de cinq continents d’accroître et d’accélérer leur capacité d’innovation.

Structurer une nouvelle communauté

Les inscriptions à ces rencontres sont contrôlées pour regrouper un ratio réfléchi de divers professionnels et porteurs de connaissances ayant la capacité d’élaborer des projets innovants en santé.  

  • Les professionnels de la santé sont ceux qui détiennent la connaissance expérientielle des problématiques du système de santé.
  • Les programmeurs, pour leur part, ont les compétences et les connaissances qui permettront de matérialiser l’expérience des professionnels de la santé afin de la rendre diffusable au sein du système de santé. En recourant à des solutions éprouvées dans d’autres contextes, ces programmeurs peuvent introduire des idées non mobilisées dans le système de santé.
  • Les designers, grâce à des outils de design-thinking comme les cartes d’empathie, les scénarios d’usage et le prototypage rapide, favorisent l’explicitation des connaissances des professionnels de la santé pour créer un pont avec l’expertise des programmeurs et accélèrent la concrétisation des options explorées.
  • Finalement, les professionnels d’affaires, véritables experts du financement et de la mise en œuvre, réfléchissent à la production et à la diffusion des solutions pour les rendre soutenables et pérennes. Ils contribuent en particulier à la valorisation des solutions proposées.

Cette variété permet de répondre à trois besoins primordiaux pour innover dansle système de santé, soit de saisir les problématiques vécues au quotidien par les professionnels de première ligne, de trouver des solutions novatrices à ces problématiques à partir d’idées existantes dans d’autres secteurs d’activité et de diffuser ces solutions au plus grand nombre d’usagers.

Un partage des connaissances et des pratiques

La première étape d’un hackathon consiste à présenter les problématiques et à former les équipes. Les professionnels de l’organisation concernée sont invités à partager leurs enjeux de façon concrète et structurée sous la forme d’un « brief ».

En travaillant sur des projets concrets, les membres des équipes doivent négocier entre eux leurs idées pour élaborer leurs prototypes. Ce processus leur permet de partager, de construire et de transformer leurs pratiques pour répondre aux besoins ponctuels de prototypage rapide. Par exemple, des programmeurs doivent comprendre les problèmes d’un nutritionniste pour élaborer un logiciel qui puisse répondre à ses besoins. De son côté, le nutritionniste doit apprendre minimalement comment se construit ce logiciel pour partager les connaissances nécessaires à son développement efficace.


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Après avoir développé des solutions (applications, logiciels, etc.), les équipes présentent leur projet devant un jury. Le hackathon est conçu comme un concours avec des prix qui seront attribués aux projets qui se seront démarqués. Les projets sont évalués par un comité de juges et notés en fonction de critères comme leurs impacts potentiels sur les soins de santé, leur réalisme et leur potentiel économique. Ce comité permet ainsi à la fois d’évaluer le projet élaboré et les pratiques mobilisées par l’équipe. Les projets qui remportent les prix peuvent être convertis en projets d’innovation à l’interne ou donner lieu à une démarche entrepreneuriale à l’externe. Ils recevront ainsi une meilleure couverture médiatique, plus de soutien de la part des organisations de soins de santé, plus de suivi par Hacking Health et un accompagnement en vue d’éventuels développements commerciaux.

Grâce à cette approche, on a pu élaborer des applications de télémédecine pour rapprocher les patients de leurs cliniciens, des jeux vidéo visant à favoriser la réadaptation, des logiciels de prise de rendez-vous ainsi que des applications de dépistage de certains troubles de l’enfance comme l’autisme ou les troubles du langage.

Malgré ces immenses succès, les organisateurs de Hacking Health sont tous conscients qu’il est primordial de bien gérer la tension entre la rationalisation et la créativité dans cet espace créatif. Il serait effectivement bien facile de tomber dans le piège d’une surstructuration, ce qui aurait pour effet de brimer la liberté créative individuelle et collective qui fait du hackathon un espace si riche de découvertes et d’innovations.