Les équipes multiculturelles œuvrent en pratique dans des situations très diverses. Ainsi, les multinationales qui ont des employés de Mumbai à Paris en passant par Rio et Montréal n’ont pas les mêmes défis que les entreprises locales qui embauchent des immigrants. Dans ce dernier cas, les équipes partagent en effet un même environnement social et culturel. Voici des pistes pour bien gérer les questions en matière de langue de travail ou de diversité culturelle et religieuse.

Politique linguistique : du court au long terme

Dans une équipe multiculturelle, la langue de travail est rarement la langue maternelle de tout le monde. Or, elle constitue le premier outil de travail, celui qui permet de communiquer. Dès lors, il est primordial de tout mettre en œuvre afin de favoriser une bonne compréhension mutuelle sur le plan linguistique.


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L’apprentissage de la langue

Bien sûr, la première disposition à prendre consiste à former les immigrants pour qu’ils soient suffisamment à l’aise dans la langue de travail d’usage. Cependant, cette formation linguistique se déploie à long terme ou, dans le meilleur des cas, à moyen terme. Par conséquent, il est souvent nécessaire de recourir à des solutions complémentaires.

Solutions intermédiaires

Les grandes entreprises fournissent parfois des services de traduction et d’interprètes pour leur personnel. Mais la plupart du temps, on a tout simplement recours à des collègues multilingues qui apportent leur concours à l’intercompréhension. Ces personnes devraient idéalement être désignées partenaires linguistiques afin que leur rôle soit reconnu et qu’on puisse les solliciter de manière récurrente, même si elles travaillent dans des équipes différentes.

Les outils technologiques donnent aussi accès à des logiciels de traduction automatique. Ceux-ci sont loin d’être infaillibles, mais leur qualité progresse rapidement, entre autres pour les échanges professionnels.

Politiques inclusives

Veillez à encourager une attitude d’ouverture envers la diversité des langues. Cela signifie qu’il faut accepter des apartés dans d’autres langues et laisser le temps aux gens de traduire ou d’apporter des précisions. On doit aussi faire prendre conscience aux employés dont la langue de travail est la langue d’usage qu’ils doivent soigner leur manière de s’exprimer et réduire leur débit. Lorsque les collègues étrangers parviennent à s’exprimer convenablement dans la langue d’usage, il n’est pas rare que le personnel local ne fasse plus attention à sa façon de s’exprimer et oublie que toutes les subtilités ne sont pas comprises.

Au-delà de la dimension instrumentale des langues, qui permet de communiquer l’information, les compétences linguistiques sont aussi une source de pouvoir. La connaissance approximative d’une langue, voire le seul fait de parler avec un accent marqué, est fréquemment une source de discrimination dans le monde professionnel, même si les compétences sont par ailleurs excellentes. Il faut donc adopter une pratique linguistique inclusive, c’est-à-dire accepter un double standard en matière d’expression orale, selon qu’il s’agit de la langue d’usage ou d’une langue étrangère.

Imen SallemImen Sallem

La venue d’Imen Sallem à Québec est presque le fruit du hasard. En 2008, l’entreprise tunisienne qui emploie son mari propose que celui-ci effectue un séjour de travail temporaire au Québec, ce qu’il accepte. Imen Sallem reste en Tunisie et, à l’été 2010, elle va retrouver son mari à Québec, où elle demeure deux mois. Le couple décide alors de s’établir dans la Vieille Capitale de façon permanente. La jeune femme, qui avait prévu de poursuivre des études de deuxième cycle universitaire en Tunisie, entreprend une maîtrise en informatique à l’Université Laval. À l’obtention de son diplôme, elle décroche un stage puis un emploi chez Momentum Technologies. « Les membres de l’équipe sont proches et les enjeux de langue sont assez rares, alors on n’hésite pas à demander des éclaircissements quand on ne se comprend pas bien. » Elle est aujourd’hui marraine d’un nouveau membre du personnel qui vient d’immigrer de Tunisie. « Je peux répondre à ses questions, l’aider dans son processus d’intégration. »


Expliquez et exploitez les différences culturelles

Faire travailler ensemble des personnes de cultures différentes sans accompagnement ni préparation, c’est s’attirer des ennuis. Imaginez une partie de cartes où les joueurs auraient chacun leurs règles du jeu mais croiraient que ce sont les mêmes règles pour tout le monde : chacun jugerait rapidement la stratégie de son partenaire tout à fait inappropriée et serait très déçu des qualités de joueur de celui-ci.

À ce stade, plusieurs issues seraient envisageables : il se pourrait que les joueurs ne démordent pas de leurs règles du jeu, se fâchent et interrompent la partie, chacun étant bien décidé à ne plus jamais jouer avec ces piètres partenaires. On peut aussi imaginer que devant des coups en apparence contraires au bon sens, les joueurs prennent l’initiative d’expliquer les règles du jeu, révélant ainsi leur diversité autour de la table. Dans un tel cas, les partenaires pourraient décider d’adopter les règles d’un des joueurs ou inventer carrément un nouveau jeu en combinant différentes règles.

De façon similaire, la diversité culturelle en milieu de travail peut déboucher sur des tensions et sur des jugements réciproques négatifs ou être source d’innovation pour tous, à la condition d’être prise en charge.


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L’invisible bien réel

Afin d’améliorer le fonctionnement des équipes interculturelles, la première étape consiste à reconnaître les différences de cultures. Loin d’être universels, les divers aspects de la gestion d’équipes – exercer son leadership, contrôler, se coordonner et prendre des décisions – sont tous marqués par des représentations culturelles à propos des manières acceptables de vivre ensemble. Les personnes ayant déjà travaillé ou vécu dans des milieux interculturels ont souvent conscience des différences en matière de pratiques et de comportements d’usage, mais leur compréhension des couches profondes, c’est-à-dire des représentations culturelles invisibles, est inégale.

Les séminaires de sensibilisation aux différences culturelles peuvent être utiles, notamment pour les gens qui ont été peu exposés à la diversité, à la condition de porter sur les représentations qui influencent le travail commun et de ne pas contribuer à renforcer des stéréotypes comportementaux au détriment d’autrui.

De l’aide externe

La démarche la plus efficace pour prévenir ou résoudre les problèmes dans ce domaine consiste à faire accompagner les équipes par un analyste culturel1. Lorsque l’équipe a déjà une expérience du travail en commun, elle a repéré des enjeux dans le fonctionnement collectif. Par exemple, les uns trouvent que leur avis n’est pas pris en compte dans les décisions, les autres trouvent que les solutions retenues ne sont pas les meilleures et d’autres encore estiment que le temps consacré à délibérer est trop long.

À ce stade, le rôle de l’analyste consiste à mener des entretiens avec chacun des membres de l’équipe pour distinguer les références culturelles implicites qui sont en jeu dans les processus de gestion plus problématiques. L’analyste restitue ensuite les différents univers de sens aux acteurs, qui prennent alors conscience des références des autres, mais il révèle aussi à chacun ses propres références implicites tenues pour acquises. Cette compréhension nouvelle permet, dans le processus de dialogue conduit par l’analyste, de désamorcer les interrogations, voire les jugements négatifs, à propos des comportements des autres en leur donnant du sens.

Ce changement de perception est un préalable à l’étape la plus importante : la discussion autour des pratiques communes. Bien évidemment, les bonnes pratiques à adopter dépendent de la situation et de la composition de chaque équipe concernée. Dans une équipe multiculturelle virtuelle, c’est-à-dire dispersée géographiquement, tout est affaire de négociation et de rapports de pouvoir. Mais lorsqu’il s’agit d’une équipe multiculturelle qui travaille au même endroit, les règles du jeu locales l’emportent la plupart du temps. Il est donc important de les expliciter aux nouveaux venus et d’en souligner les avantages.

Cependant, il est intéressant que la compréhension des références culturelles ne se fasse pas à sens unique, non seulement pour expliquer des comportements qui pourraient paraître déplacés aux yeux du personnel local mais aussi pour mobiliser les équipes à l’occasion afin d’élaborer des pratiques innovantes et collectivement efficaces. Dans le cas où l’intervention d’un analyste culturel n’est pas possible, le responsable de l’équipe peut à tout le moins jouer ce rôle. Il s’agit de prêter d’abord une attention particulière aux sujets de conflits récurrents à propos des méthodes de gestion. Notons bien que ces différends ne sont pas nécessairement perçus comme des conflits culturels. Ainsi, il n’est pas rare qu’on les attribue à des personnalités, à un manque d’expérience ou à des compétences insuffisantes, par exemple.

Cependant, la récurrence de frictions au sein d’une équipe est souvent révélatrice de différences culturelles ignorées. L’analyse consiste à saisir au nom de quoi chacun juge telle situation ou tel comportement inacceptable et surtout à comprendre ce à quoi chacun tient profondément. Le reste peut être source d’accommodements.

Le juste milieu entre liberté religieuse et efficacité collective

La diversité linguistique et culturelle s’accompagne parfois d’une diversité religieuse qui, elle, est d’une tout autre nature. Comment traiter les demandes liées aux pratiques religieuses au travail? Aménagements d’horaires, jours de congé, lieux et moments de prière, habitudes alimentaires, port de signes visibles d’appartenance religieuse, refus de se conformer à certaines règles (port d’une tenue de travail de sécurité, par exemple), etc. : ces demandes couvrent une vaste gamme de domaines.

Pour les responsables des ressources humaines, il s’agit donc de définir des règles de portée générale dans l’entreprise. Celles-ci doivent concilier, d’une part, la liberté religieuse garantie par les lois et, d’autre part, le rendement individuel et collectif au travail. Des dérogations pour des motifs religieux risquent par exemple de faire naître un sentiment d’iniquité et de nuire au climat social dans l’entreprise. Le cadre juridique précis varie évidemment selon les lieux mais, de manière générale, une entreprise doit accepter la diversité des pratiques religieuses tant qu’elles ne sont pas incompatibles avec la nature des tâches à accomplir. Comme dans le cas de la diversité culturelle, les règles applicables doivent être négociées par les parties prenantes.

En somme, les équipes multiculturelles requièrent une gestion particulière lorsque leurs membres sont issus de communautés dont les règles de fonctionnement, qu’ils en aient conscience ou non, sont différentes. Un minimum d’explicitations à propos de cette diversité et de négociations concernant le modus vivendi s’impose donc, même si tout cela mène à la coexistence de pratiques fort différentes, qu’elles soient linguistiques, culturelles ou religieuses.

Momentum Technologies : place à la diversité !Équipe Momentum Technologies

Parmi ses 140 employés, Momentum Technologies dénombre 27 nationalités différentes. Et la diversité s’y trouve à tous les échelons : la moitié des gestionnaires de cette firme de services-conseils en technologies de l’information ne sont pas nés au Québec.

Cette entreprise prend l’intégration au sérieux : elle a notamment augmenté le nombre d’heures consacrées à l’accueil des nouveaux employés, tandis que les gestionnaires ont des équipes plus petites (de quatre à six personnes) pour favoriser les rapports de proximité, d’ouverture et de confiance. Les membres du personnel qui viennent tout juste d’immigrer sont par ailleurs jumelés à un parrain ou à une marraine afin de favoriser leur intégration.

Les dirigeants de l’entreprise estiment que l’intégration et la diversité passent par de bonnes pratiques de gestion, notamment le respect, le soutien aux employés, l’application des valeurs de l’entreprise et la bienveillance. Momentum Technologies offre non seulement des cours de francisation mais aussi des cours de compétences langagières plus avancées, en rédaction par exemple, pour permettre à son personnel de progresser professionnellement.

Résultat ? Momentum Technologies figure depuis cinq ans dans le palmarès de la firme Deloitte des 50 sociétés les mieux gérées au Canada. En 2017, elle a aussi reçu le trophée de la diversité lors des Rencontres internationales de la diversité tenues à l’Université Laval, à Québec.


Note

1. Chevrier, S., gérer des équipes internationales – Tirer parti de la rencontre des cultures dans les organisations, Québec, Presses de l’Université Laval, 2012, 222 p.