Article publié dans l'édition printemps 2016 de Gestion

Bien malin celui qui saurait prédire avec exactitude à quoi ressemblera le monde en 2025. Comment alors développer aujourd’hui nos talents pour qu’ils deviennent les leaders dont nos organisations auront besoin dans un avenir rapproché ? Nous avons interrogé près d’une dizaine d’experts à ce sujet. Tous s’accordent à dire que dans un environnement volatile, incertain, complexe et ambigu, le choix d’un leader ne portera pas tant sur des compétences précises que sur son potentiel de réussite. Voici dix qualités qui l’aideront à accroître ce potentiel.


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Humble

Contrairement au leader héroïque des années 1980, le leader de demain sait qu’il ne pourra pas relever seul tous les défis auxquels il sera confronté. Deborah Ancona, directrice du centre de leadership du Massachusetts Institute of Technology, aux États-Unis, parle de « leader incomplet ». Ce leader sait que, dans un monde numérique où tout est interrelié, son influence sera limitée et qu’il ne sera plus le seul à détenir les réponses. Linda Hill, professeure à la Harvard Business School, utilise l’expression « leading from behind » (le « leadership en retrait », si on veut) pour décrire un leader qui se met non pas à l’avant mais plutôt à l’arrière de ses troupes, son rôle ne consistant pas à diriger mais bien à créer un contexte où chacun pourra jouer un rôle de leadership, prendre sa place et réaliser des projets. Auteur du blogue « Rethinking Leadership » pour la revue Forbes, le professeur Karl Moore, de l’Université McGill, prédit que le leader de demain aura un côté introverti. « L’introverti ne cherche pas à être le centre de l’attention et sait mieux écouter les autres », explique-t-il. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne se mettra jamais en avant. « Il portera son chapeau d’extraverti pour apparaître en public, mais il redeviendra introverti en rentrant au bureau. » Le leader de demain ne demandera pas qu’on nourrisse son ego, ajoute Karl Moore. Il voudra apprendre des autres, notamment auprès des plus jeunes que lui. Le mentorat inversé fera partie des pratiques courantes. De cette façon, le leadership dans l’organisation de demain sera mieux distribué. « Il y a un leader au sommet, mais il y en a partout dans l’organisation et même à l’extérieur, ajoute Mme Ancona. Ils collaborent pour relever un défi, que celui-ci soit relié à l’organisation ou à tout leur secteur d’activité. » Le leader de demain ne contrôlera pas l’organisation : il contribuera à lui donner forme.

Curieux

La curiosité sera une qualité essentielle, car avec la rapidité des changements actuels et à venir, le leader devra constamment être à l’affût de nouvelles connaissances. Son rôle consistera à cibler les nouvelles idées, à les absorber et à les traduire en actions concrètes qui permettront de changer les règles du jeu. « Alors que le leader d’hier était un expert dans son domaine et avait une vision claire des actions à entreprendre, celui de demain manifestera une curiosité insatiable », croit Robert Dutton, ancien président de Rona et professeur associé à l’École des dirigeants de HEC Montréal. Le développement de ses capacités intellectuelles et de ses connaissances sera un travail de tous les jours, et ce, non seulement dans le domaine touchant son entreprise mais aussi dans plusieurs autres domaines. En effet, qui sait d’où viendra la concurrence et où seront les nouveaux marchés ? Ce leader apprenant posera beaucoup de questions plutôt que d’offrir des réponses.

Agile

« On dit souvent que le leader doit penser en dehors du cadre, mais demain, il s’agira de penser dans plusieurs cadres », indique Ingo Holzinger, qui enseigne le leadership au MBA à l’école des affaires Schulich de l’université York. « L’organisation n’est plus une machine mais un organisme », ajoute-t-il. Elle est bien révolue, l’époque où un leader pouvait tracer un chemin que tous suivaient ensuite : le leader de demain devra affronter des imprévus, de l’opposition, de nouveaux paramètres, et c’est pourquoi il sera plus agile. Dans un article du McKinsey Report de mars 2015, Jennifer Garvey Berger, auteure de Simple Habits for Complex Times – Powerful Practices for Leaders, dit que le leader de demain devra aimer l’ambiguïté. Elle définit ainsi les « nouvelles habitudes mentales » qui lui permettront d’aborder la complexité : « Plutôt que de gérer le probable, le leader dirigera le possible ; au lieu de tenter de mettre tout le monde d’accord, il adoptera plusieurs perspectives ; au lieu de simplifier et d’optimiser les activités une à une, il apprendra à distinguer des systèmes ; enfin, au lieu de décider pour ensuite déployer une stratégie, il expérimentera à la périphérie, dans le cadre d’expériences qui pourront échouer sans menacer l’entreprise. Selon cette nouvelle approche, le leader n’aura pas besoin de réconcilier des visions différentes, car il verra plusieurs solutions, pas une seule. » Les esprits rigides, qui craignent les paradoxes, devront s’abstenir.

Mobile

Au cours de sa carrière, le leader de demain occupera peut-être une vingtaine de postes, prédit Roger Duguay, président de la firme de chasseurs de têtes Boyden à Montréal. « Il entre dans une entreprise, a un impact et s’en va. Le long terme, c’est trois ans ! » dit-il. Au sein de l’entreprise, les ressources sont réparties par projets. Le leader curieux, agile et mobile va d’un projet à l’autre. Le leader de 2025 se déplacera partout dans le monde et saura fonctionner dans diverses cultures. Il ne se cantonnera plus à son pays, d’autant plus qu’une bonne partie des marchés seront dans les pays émergents, fait valoir Nathalie Francisci, partenaire au bureau de Montréal de la firme de recrutement Odgers Berndtson. « Son réseau dépassera les frontières », dit-elle. Ce changement est déjà entamé : les étudiants font déjà fréquemment des stages à Shanghai, Delhi ou Bangalore. Et ce sera la même chose pour les leaders des pays émergents.

Communicateur

Dans une entrevue vidéo intitulée « Le rôle des leaders de demain ? », produite par la Harvard Business Review en septembre 2010, Daisy Wademan Dowling, alors directrice du développement du leadership pour l’institution financière Morgan Stanley, prédisait qu’une des grandes différences entre le leader de demain et celui d’hier portera sur le fait « qu’il devra exceller dans tous les moyens de communication, que ce soit en personne, dans les médias sociaux, en conférence devant un auditoire de 300 personnes ou en s’adressant à des employés travaillant à des dizaines de milliers de kilomètres de chez lui et qu’il n’aura jamais rencontrés ». Ces habiletés sont déjà plus recherchées que jamais, corrobore Nathalie Francisci. « L’organisation demande au dirigeant de savoir bien faire passer les messages, de la vendre au public. » De son côté, l’auteur de Démarquez-vous ! parle « d’explorer le plein potentiel de sa personnalité numérique ». Comment y échapper ? Les communications numériques permettent de bonifier l’image de marque et d’échanger rapidement. Mais attention : l’authenticité est cruciale, dit-il.

Proche

Le leader de demain sera proche des gens qui l’entoureront et saura non seulement créer des liens mais aussi les entretenir. Il ne voudra pas tant remporter une discussion qu’être en relation avec les gens, indique Jennifer Garvey Burger. « Il n’évitera pas le conflit, mais il fera preuve de respect et d’empathie pour les autres tout en n’ayant pas peur de l’affrontement », ajoute-t-elle. Il sera prêt à en donner plus et saura qu’il en recevra de la part des autres. Plus que jamais, les relations seront significatives et authentiques. En effet, la fin du leadership héroïque annonce l’arrivée d’une culture d’étroite collaboration. Dans ce contexte, la proximité est primordiale.

Multidimensionnel

Le nécessaire équilibre travail-famille est devenu un enjeu important pour la génération X. Le leader de demain, lui, sera encore plus multidimensionnel. En effet, « comment embrasser la complexité de notre monde et d’une organisation, saisir la multitude des points de vue et des opinions et bien comprendre des environnements qui sont souvent multifacettes et multiculturels tout en étant soi-même un leader doté de peu de relief ? » demande Robert Bonneau, président de la firme Décarie, recherche de cadres. Un bon bagage d’expériences et de parcours variés devient extrêmement profitable dans ce contexte.

Roger Duguay croit que la richesse d’un candidat à un poste de leadership vient autant de sa vie personnelle que de ses expériences de travail, qu’il entrevoit plus variées que par le passé. Il prédit que le leader de demain saura nourrir « autant sa tête que son corps et son esprit ». Chez Google, l’ingénieur Chade-Meng Tan a récemment mis en œuvre un programme de méditation avec l’appui de la haute direction. Et il jure que cela augmente la créativité et la productivité. Selon lui, l’état de pleine conscience qu’on atteint en méditant augmente le quotient d’intelligence émotionnelle et éclaire l’esprit. S’ensuit alors une plus grande capacité d’attention, c’est-à-dire la base des grandes habiletés cognitives et émotionnelles, écrit-il. La méditation permet d’observer des situations avec plus de détachement et confère une plus grande maîtrise de soi. Méditatif, le leader de demain ? En tout cas, il devra savoir gérer son énergie, car le monde « VICA » qui nous attend lui en fera voir de toutes les couleurs !

Responsable

« Le leader de demain ne voudra pas seulement gagner de l’argent, il voudra que son entreprise ait un impact positif sur la société, l’environnement, la planète, en plus de créer de la valeur pour les actionnaires », clame Ingo Holzinger. « Le monde réclame un leader plus responsable, plus éthique, intègre et généreux, renchérit Roger Duguay qui, dans son livre Démarquez-vous !, invite les dirigeants qui négligent la philanthropie à « faire leur examen de conscience ». De plus en plus, les employés choisissent une organisation employeuse en fonction de sa mission, de sa responsabilité, de ses produits, bref des impacts que celle-ci aura sur le bien commun, avance-t-il. « Les citoyens sont préoccupés par le déséquilibre entre les riches et les pauvres, de même que par la détérioration de l’environnement. La classe privilégiée est consciente que la consommation à outrance représente une menace pour la société », ajoute-t-il. Y aura-t-il une exigence croissante de moralité en 2025 ? Il y a fort à parier que, dans dix ans, les risques sociaux et humains de tout projet seront aussi calculables que les risques environnementaux. Agir de façon responsable sera dans l’intérêt de chaque entreprise.


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Courageux

Avoir le courage d’agir, ne pas avoir peur de quitter le confort pour avancer, ne pas reporter les décisions difficiles, déplaire à certaines parties prenantes, oser dire la vérité et non ce que les autres veulent entendre, savoir reconnaître qu’on s’est trompé : voilà ce qu’on attendra du leader en 2025. Il en fera un trait culturel de son organisation. Dans son ouvrage Find Your Courage, Stop Playing Safe, l’auteure américaine Margie Warrell suggère aux leaders de « poser des questions difficiles, qui portent plus sur le pourquoi que sur le comment ». Selon elle, le leader en 2025 devra encourager tous les membres de son personnel à parler franchement et leur donner de multiples occasions d’apprentissage en n’ayant pas peur qu’ils échouent ou changent d’organisation. Toute l’attitude face à l’échec doit être différente : l’échec permet d’apprendre et rend humble.

Inclusif

Puisqu’il saura naviguer d’une culture à l’autre, le leader de demain sera plus ouvert à la diversité. Il cherchera à s’entourer non pas de gens qui lui ressembleront mais de gens qui lui seront complémentaires et qui ne penseront pas comme lui, croit Roger Duguay. Fini, le old boys’ network ? Il semble que oui. La diversité sera un levier. Pour progresser, une organisation évoluant dans un monde complexe et ambigu a besoin de diversité, de « dissidences constructives », selon l’expression d’Alain Gosselin, directeur de l’École des dirigeants de HEC Montréal. Il s’agit autant ici de diversité culturelle, ethnique et sexuelle que de diversité des valeurs. Le leader de demain aura donc un plus grand respect des différences. Sa force résidera dans sa capacité de faire le pont entre des idées ou des gens.