Le leadership est un phénomène complexe aussi clair dans ses manifestations que flou dans sa nature. Voici cinq clés qui permettent de décoder en quoi les leaders, malgré leur singularité, ont des attributs communs qui les définissent comme tels.

Lorsqu’il était enfant, Camille Laurin1, futur psychiatre de renom et homme politique québécois, avait l’habitude d’aller jouer sur les berges de la rivière L’Assomption, qui baigne son village natal de Charlemagne. On raconte qu’un jour, le jeune Camille attrapa une grenouille par la patte et, la tenant fermement captive d’une main, se mit à l’examiner attentivement. Il la caressa de sa main libre, la retourna plusieurs fois pour comparer les taches rugueuses de son dos à la douceur de son ventre blanc et lisse. Le voyant fasciné par ce qu’il observait, son petit frère s’exclama : « Mais Camille, tu n’as jamais vu de grenouille ? » « Oui, lui répondit Camille, mais pas celle-là ! »

Uniques ou semblables ?

Un peu comme la grenouille de Camille Laurin, les leaders sont fascinants à observer parce qu’ils sont uniques. Comment se fait-il qu’ils soient si différents les uns des autres tout en partageant des attributs qui leur assurent l’étiquette de leaders ? Comment cerner leur spécificité en vertu de parcours exceptionnels qui les qualifient tous en tant que leaders ?

Par exemple, qu’ont en commun René Angélil, qui a mené Céline Dion à la gloire mondiale, et Ève-Lyne Biron, golfeuse de calibre international et ex-présidente de la société Biron Groupe Santé ? Pourquoi leurs styles de direction sont-ils si différents alors qu’ils partagent des attributs évidents de leadership ? La même question se pose lorsqu’on les compare à d’autres leaders comme Katharine Graham, célèbre éditrice du Washington Post à l’époque du scandale du Watergate, dont la détermination a mené à la démission du président Richard Nixon en 1974. Ou encore Glenn Lowry, directeur du Museum of Modern Art de New York (MoMA), qu’il a littéralement réinventé grâce à ses projets audacieux, ou enfin Gerard Mortier, l’indéchiffrable directeur de l’Opéra national de Paris, qui a provoqué une véritable révolution en redonnant au genre sa force dramatique d’antan afin de le sauver d’une mort annoncée.

La réponse à ces questions pourrait se découper en cinq clés du leadership, auxquelles tous les leaders de ce monde ont recours d’une façon ou d’une autre, selon des combinaisons et des variations quasi infinies.

Cinq phrases clés

On peut présenter les cinq clés du leadership sous la forme de cinq phrases à mettre dans la bouche des leaders.

« Je sais où je m'en vais et j'y arriverai. »

Caractérisé par une grande conscience des objectifs à atteindre et par une détermination sans faille, le leader doté de cet état d’esprit attire naturellement l’observateur. Qui ne s’est jamais tourné spontanément, en temps de crise ou lors d’une situation d’urgence, vers la personne qui inspirait confiance parce qu’elle était de toute évidence capable de trouver une solution immédiate au problème ? 

Ce sens de la direction, salvateur et spontané dans une épreuve collective ponctuelle, doit s’affirmer sur le long terme, chaque jour, dans la longue série de décisions que le dirigeant d’entreprise doit prendre et qui doivent s’inscrire dans le droit fil du but qu’il poursuit.

Le leader est un visionnaire obstiné.

« Je sais qui je suis et ce que je ne suis pas. »

Avant de déterminer le but qu’il se fixera et quels moyens il mettra en œuvre pour y arriver, le dirigeant doit franchir différentes étapes. Parfois, l’objectif s’impose de lui-même en raison de contextes particuliers ou encore grâce à des habiletés ou à des talents remarquables.

Toutefois, dans des circonstances moins évidentes, l’apprenti leader devra traverser des crises, des échecs, des affrontements ou des remises en question qui le révéleront à lui-même et qui forgeront son caractère. Acculé au pied du mur, il trouvera alors en lui des ressources qu’il ne soupçonnait pas ou il acceptera des faiblesses qu’il n’osait pas s’avouer. On peut alors parler de connaissance de soi, de lucidité et d’authenticité, autant d’atouts qui ouvrent le chemin vers la définition d’une vision à long terme.

Le leader connaît ses forces et ses faiblesses.

« Je sais qui tu es et ce que tu peux faire pour moi. »

Conséquence logique de ce qui précède, le leader sait trouver dans son entourage les personnes qui l’aideront à mettre en œuvre son projet. Maintenant conscient de ses lacunes et de ses points forts, le leader use de sa perspicacité pour reconnaître chez les autres des talents qui nourriront les siens ou qui compenseront ceux qui lui font défaut.

Un leader qui réussit doit également songer à sa relève et envisager ce qu’il adviendra de son œuvre lorsqu’il ne sera plus aux commandes. Il identifie dans son milieu les personnes capables de le remplacer le temps venu. La connaissance de soi et des autres constitue une base solide pour concrétiser sa vision.

Le leader est perspicace.

« Je sais quoi faire et quand. »

Le leader se caractérise par son esprit de décision, dont le style peut varier (spontané, consultatif, analytique, intuitif, etc.) mais qui doit toujours mener à des actions efficaces.

Sûr de ses moyens, confiant de l’appui de ses troupes et convaincu du bien-fondé de ce qu’il compte entreprendre, le leader doit également faire preuve de discernement quant au meilleur moment pour faire adopter et pour déployer sa stratégie.

Le leader est un stratège créatif.

« Viens avec moi et tu verras. »

Le charisme est un autre élément essentiel. Plusieurs facteurs entrent en jeu : le prestige d’un poste d’autorité, la lignée familiale, la prestance, la voix et l’élocution, l’élégance, un style imposant ou encore la taille et la beauté physique. Nul doute également que le talent et la crédibilité acquise au fil des ans grâce à des décisions justes sont des atouts du leader charismatique. Cependant, la condition essentielle du charisme réside dans la capacité d’incarner une cause plus grande que soi et d’entraîner à sa suite des personnes prêtes à donner le meilleur d’elles-mêmes pour réaliser la vision ou défendre la cause du leader.

Le leader est un séducteur.

Les 5 clés du leadership

Cinq exemples parmi tant d’autres

Cette approche pragmatique permet d’analyser le leadership indépendamment des contextes où on l’observe. Reprenons l’exemple des leaders cités plus haut. Les cinq clés sont présentes et configurées de différentes façons chez chacun d’entre eux, mais une de ces clés domine, conférant sa couleur unique à chaque style de leadership.

  • La vision permet de décortiquer les raisons pour lesquelles René Angélil a tout mis en œuvre afin de réaliser son ambition de conquérir le monde de la musique pop.
  • La connaissance de soi de Katharine Graham, renforcée à la suite d’une tragédie familiale, explique l’audace des décisions qu’elle a prises au Washington Post, notamment lors de la publication des Pentagon Papers et pendant toute l’affaire du Watergate.
  • La connaissance des autres éclaire la façon dont Ève-Lyne Biron applique la gestion des ressources humaines, ce qui fait d’elle une « leader transformationnelle ».
  • L’action est au fondement du leadership de Glenn Lowry, qui a mené au financement réussi et à l’expansion de la notoriété du MoMA au cours des deux dernières décennies.
  • Le charisme, enfin, révèle comment Gerard Mortier a réussi à convertir les critiques et les amateurs d’opéra à sa conception moderne de l’art lyrique après les avoir scandalisés avec ses mises en scène iconoclastes.

Justin, Angela, Emmanuel, Donald...

En plus de pouvoir utiliser ces cinq clés dans le cadre d’une réflexion sur elle-même, la personne qui s’intéresse à la question du leadership peut également s’en servir comme outil pour déceler le leadership chez ses patrons, ses employés, ses collègues, ses professeurs, ses camarades de classe, etc., ou analyser celui des grands leaders de l’histoire dont on dévore les biographies. Et pourquoi pas celui des politiciens contemporains ?

Le nom de Donald Trump vient spontanément en tête. Possède-t-il les cinq clés du leadership ? Sinon, lesquelles lui font défaut ? Voilà sans doute une grenouille bien intéressante à observer, sur le dos et sur le ventre…


Note
1 Avec René Lévesque et Jacques Parizeau, Camille Laurin (1922-1999) a été l’une des trois principales figures du premier gouvernement du Parti québécois (1976-1981). Ce leader est reconnu comme le père de la Charte de la langue française (loi 101), adoptée en 1977, qui a donné au français le statut de langue officielle du Québec.