Article publié dans l'édition printemps 2016 de Gestion

Coach auprès des plus grands dirigeants, nommé penseur n˚ 1 au monde en matière de leadership en 2015 par la Harvard Business Review et auteur à succès de 35 livres, Marshall Goldsmith est sans conteste l’un des penseurs d’affaires les plus influents sur la planète. Il nous explique comment apporter des changements positifs à nos comportements pour atteindre de plus hauts sommets et devenir un meilleur leader.

Vous êtes souvent aux prises avec des mécanismes de défense et de résistance au changement. Quel est le premier d’entre eux, selon vous ?

Le principal mécanisme de défense en matière de résistance au changement est ce que j’appelle « le besoin irrépressible d’être soi », c’est-à-dire lorsqu’une personne justifie ses mauvais comportements par « c’est juste qui je suis ». Aussi longtemps que vous direz cela, il ne fait aucun doute que vous resterez ainsi. Par exemple : « Je ne suis pas à l’écoute des gens, c’est juste qui je suis. » Or, vous n’avez pas à être comme ça, vous ne souffrez pas d’une tare génétique qui vous empêche d’être attentif : vous vous acculez vous-même dans une impasse stéréotypée. C’est souvent dû à ce qu’on appelle le « piège des superstitions » : je me conduis d’une certaine façon et j’ai du succès, donc j’ai forcément du succès parce que je me conduis de cette façon. Toutes les personnes avec qui je travaille ont du succès, et elles en ont, non seulement grâce à certains comportements, mais aussi malgré d’autres. Les gens qui réussissent le mieux à changer ont trois caractéristiques en commun : le courage de se regarder dans le miroir ; l’humilité d’admettre qu’elles peuvent s’améliorer ; enfin, la discipline d’y travailler tous les jours.


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Quel est le comportement qui freine le plus souvent l’ascension des gestionnaires ?

L’envie de gagner sans arrêt. Les personnes qui ont du succès éprouvent beaucoup de difficulté à ne pas démontrer constamment à quel point elles sont intelligentes. Prenons un exemple simple : le choix d’un endroit pour aller dîner avec un collègue. Si son choix de restaurant l’emporte alors que vous auriez préféré aller ailleurs, deux avenues s’offrent à vous. Première option : vous décidez de tout critiquer – la nourriture, le service – et de prouver à votre collègue qu’il a eu tort de ne pas vous écouter. Deuxième option : vous vous taisez et vous essayez de passer un bon moment. Laquelle choisissez-vous… et laquelle devriez-vous choisir ? Lorsqu’on est au bas de la pyramide et qu’on essaie constamment de gagner, ce n’est pas si grave, car on doit s’accomplir. Mais lorsqu’on est au sommet, on doit laisser les autres gagner à l’occasion. Pour un ambitieux, tout est à propos de lui-même, mais pour un grand leader, c’est à propos des autres.

Comment nos succès précédents peuvent-ils nous empêcher d’en avoir de nouveaux ?

Plus nous réussissons, plus nous sommes dans une posture de reconnaissance de la part des autres. Chaque fois que nous avons une promotion, les gens rient à nos blagues et prétendent que nous sommes brillants. Nous sommes alors de plus en plus confiants et il est de plus en plus difficile de se remettre en cause. Enfin, plus nous avons de pouvoir, plus il est difficile d’obtenir du vrai feedback, car il devient plus difficile pour les gens de nous dire la vérité et, pour nous, de l’entendre.

À cette fin, vous avez élaboré le concept de feedforward. En quoi cela consiste-t-il ?

Là où le feedback, positif comme négatif, est une réaction à un comportement du passé, le feedforward consiste en des idées à mettre en pratique à l’avenir. C’est un outil précieux pour progresser personnellement et professionnellement. Parmi vos divers comportements, choisissez-en un que vous voudriez améliorer, par exemple devenir meilleur lorsqu’il s’agit d’être reconnaissant avec vos collègues et vos subalternes, et demandez à votre entourage de vous faire deux suggestions en ce sens. Vous devez simplement écouter, sans juger ni critiquer, et vous pouvez seulement répondre en disant « merci ».

Quelle est la plus grande leçon de leadership que vous donnez à vos clients ?

Les leaders doivent résister à l’envie d’ajouter toujours plus de valeur. En effet, lorsqu’ils font des suggestions, celles-ci tendent à devenir des réalités. Or, il est très possible que nous ne connaissions pas aussi bien un dossier que la personne qui s’en occupe, et surtout, en agissant ainsi, on fait baisser la motivation. L’équation de l’efficacité d’exécution peut s’exprimer simplement par a x b, a étant la valeur de l’idée, et b, l’implication pour la faire fonctionner. En essayant trop d’améliorer ne serait-ce que d’un tout petit peu la qualité d’un projet ou d’une idée, on risque de nuire gravement à l’engagement de notre employé.


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C’est pourquoi la meilleure façon de devenir un bon leader, c’est d’apprendre à s’arrêter avant de parler, de respirer un coup et, avant d’ajouter quoi que ce soit, de toujours se demander : cela en vaut-il vraiment la peine ? Mon commentaire va-t-il vraiment aider cette personne ou accroître sa motivation ? Ma remarque va-t-elle améliorer notre relation ? Si la réponse est non, respirez encore une fois et posez-vous la question suivante : ai-je vraiment besoin de l’exprimer ? Parfois, ce sera le cas, mais pas toujours.