Article publié dans l'édition automne 2018 de Gestion

Après 20 ans de recherches sur l’émergence et le développement du leadership, Margarita Mayo mise sur une approche qui pourrait permettre de résoudre la crise de confiance envers les leaders : l’authenticité. Étoile montante de la recherche internationale en management, elle a discuté avec Gestion de sa vision du leadership.

Des superhéros, les leaders ? Au contraire, dit Margarita Mayo, chercheuse et professeure en leadership et en comportement organisationnel à l’Instituto de Empresa Business School à Madrid : l’humilité est plutôt ce qui caractérise les meilleurs leaders.


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Pourquoi misez-vous sur le leadership authentique ?

M. M. : Un déclic s’est produit lors d’un de mes cours où les étudiants devaient présenter leur analyse d’un cas d’affaires. Leurs exposés étaient terriblement homogènes. Je me suis alors demandé si nous n’étions pas en train de produire des leaders coulés dans le même moule. Nous enseignons des compétences très utiles, certes, mais nos étudiants craignent-ils de sortir des sentiers battus et d’élaborer des points de vue originaux ?

Nous avons pourtant besoin de leaders qui n’ont pas peur de se distinguer du lot : le monde des affaires a besoin d’authenticité. En écrivant mon livre Yours Truly – Staying Authentic in Leadership and Life, je souhaitais aussi aider les leaders actuels et futurs à s’exprimer plus librement. L’apprentissage constant doit donc devenir une habitude afin d’intégrer des mentalités et des valeurs plus humanistes dans le monde des affaires tout en les combinant efficacement avec des approches économistes.

À quoi reconnaissez-vous les leaders authentiques ?

Au cours de mes recherches, j’ai interviewé de très nombreux leaders provenant de diverses régions du monde. Quelle que soit leur culture d’origine, ceux qui étaient selon moi les plus authentiques se caractérisaient par trois éléments que j’ai nommés « les trois H ». Tout d’abord, ils sont conscients de ce qui est unique en eux et connaissent bien leurs forces et leurs faiblesses [heart]. Ensuite, ils cherchent à évoluer, ils apprennent des autres et savent comment tirer le meilleur de chacun [habit]. Enfin, leurs actions visent à accroître le bien-être des autres en plus du leur, et ils ont une vision à long terme [harmony].

Le leader authentique a une conception impartiale de lui-même et est conscient de ses limites. Il se remet constamment en question tout en restant attaché à ses convictions et à ses valeurs. L’authenticité n’est pas une destination, c’est un périple, et il faut travailler fort là-dessus! Pour être authentique, un leader ne peut pas se contenter de penser uniquement à sa petite personne : il doit aussi être fidèle aux autres et intégrer ce principe dans un contexte d’affaires. Les leaders authentiques créent ainsi des organisations où les autres personnes peuvent elles aussi se développer et exprimer leur authenticité.

Pourquoi avons-nous besoin de ce type de leadership en ce moment ?

Quand je rencontre des dirigeants, je leur demande souvent ceci : « Quel est votre plus grand défi ? » La plupart d’entre eux évoquent les défis technologiques apparus avec l’internationalisation des affaires. Or, pour réussir à implanter de nouvelles technologies, les leaders sont indispensables. Pourtant, le taux de confiance envers eux est de plus en plus faible, pointant à 37 % à peine, selon un sondage mené par la firme de communications américaine Edelman en 2017 auprès de répondants de 28 pays. Les leaders ne peuvent ni transformer ni faire progresser une organisation s’ils n’ont pas la confiance et le respect de leurs équipes. Autrefois, la crédibilité allait de pair avec la position sociale, mais les nouvelles générations exigent autre chose : elles veulent suivre quelqu’un qui donne un sens à leur travail et qui leur donne des occasions de se développer.

Pourquoi estimez-vous que les gens humbles font de meilleurs leaders ?

Nous sommes tellement habitués de voir les personnes charismatiques et narcissiques monopoliser l’attention ! Pourtant, au fil de mes entrevues avec des dirigeants, je me suis rendu compte que les gens humbles font de meilleurs leaders parce qu’ils créent des environnements plus collaboratifs. Ils ont une perception équilibrée d’eux-mêmes et savent apprécier les forces et les contributions des autres tout en étant ouverts aux nouvelles idées et aux commentaires. Ils n’hésitent pas à mettre en valeur les talents des gens qui les entourent et ils partagent volontiers les honneurs, ce qui est très motivant pour leurs troupes.

Comment peut-on demander aux leaders de se réinventer et d’amener leurs équipes et leurs organisations à faire la même chose tout en restant fidèles à eux-mêmes ?

C’est un des mythes que je voudrais briser, un des paradoxes de l’authenticité. Changer ne signifie pas que nous ne sommes pas authentiques : c’est la base de ce que nous sommes, du concept de soi. Nous avons tendance à voir l’authenticité comme une chose très statique et individuelle. Or, nous avons plusieurs « soi » (évolutif, situationnel, etc.) et nous jouons plusieurs rôles à la fois. Alors que nous devons être fidèles à ce qu’il y a de meilleur en nous, l’idée de développement, de croissance et d’adaptation à de nouvelles situations fait partie intégrante du concept d’authenticité.

Parlez-nous du paradoxe du caméléon : comment peut-on demeurer authentique malgré cela ?

Le paradoxe du caméléon est lui aussi lié à la notion des divers « soi ». On peut très bien être authentique sans pour autant montrer toutes nos facettes à tout le monde en tout temps. C’est entre autres pour cette raison que nous ne nous comportons pas de la même manière au travail et avec nos amis. Dans un contexte de croissance, on pourra faire semblant d’être confiant. Lorsqu’on décide de relever un nouveau défi, il y a certainement de l’incertitude, de l’anxiété et un certain manque de confiance pendant la période de transition. Mais on n’a pas besoin d’exprimer tout cela pour être authentique, parce qu’on fait le pari que l’avenir sera meilleur.

Comment l’authenticité dans une entreprise peut-elle se traduire par de meilleurs résultats ?

J’ai mené une étude auprès de plus de 3 000 employés dans plusieurs types d’entreprises en Espagne qui ont instauré des politiques de conciliation travail-famille. J’estime en effet que les entreprises qui adoptent de telles mesures sont bel et bien authentiques, car elles se soucient de leur personnel, et c’est un bon indicateur en ce sens.

Selon mes résultats, les employés de ces entreprises se sont déclarés plus satisfaits et plus engagés dans leur travail, donc envers leur organisation. Ils sont donc plus enclins à prendre des initiatives et à être créatifs. Cela a vraiment un effet significatif sur les résultats de l’entreprise et peut se traduire par une augmentation des ventes, par exemple. Investir dans les employés équivaut à investir dans l’entreprise.


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Pensez-vous que la nouvelle génération de leaders soit plus authentique que les précédentes ?

Les milléniaux sont en train de transformer la culture de nombreuses organisations. Ils veulent faire des choses qui les rendent heureux, et ce, plus rapidement. Au lieu de se limiter à se faire dire quoi faire, ils veulent comprendre la raison d’être des tâches qu’on exige d’eux et contribuer à les améliorer. Je pense que c’est une excellence chose en ce qui a trait à l’authenticité, et je m’identifie beaucoup à cette génération ! D’ailleurs, plus je passe de temps avec les membres de cette génération et avec les cadres supérieurs de plus de 55 ans, plus je découvre de similitudes. Nous pouvons établir une relation de mentorat très positive entre les membres de ces deux groupes, car ils apportent tous leurs expériences et leurs connaissances spécifiques aux organisations.

Comment peut-on enseigner l’authenticité dans les écoles de gestion ?

Ça devrait faire partie du cursus et il y a de plus en plus de demande. Les compétences de base en gestion demeurent fondamentales, mais je crois que ce qu’on recherche maintenant, ce sont des compétences de plus en plus reliées à l’identité, moins au développement professionnel et davantage au développement personnel.

Pour aider les leaders à déployer leur propre leadership, il faut leur enseigner diverses approches. J’ai aussi noté une différence de taille entre les États-Unis et l’Espagne dans les écoles de gestion. Aux États-Unis, on met davantage l’accent sur l’individualité. En Espagne, nous sommes plus orientés vers le groupe. Or, nous devons fusionner ces deux approches. Pour devenir un leader authentique, on doit développer sa propre pensée critique et découvrir ce qui nous rend unique. Mais on n’y parviendra pas en négligeant l’aspect social ou l’harmonie avec autrui. C’est l’équilibre même de l’authenticité.                


Pour aller plus loin

  • Mayo, M., Yours Truly – Staying Authentic in Leadership and Life, Londres, Bloomsbury, 2018, 288 p.
  • George, B., Authentic Leadership – Rediscovering the Secrets  to Creating Lasting value, San Francisco, Jossey-Bass, 2003, 240 p.