Aujourd’hui, les recruteurs scrutent les réseaux sociaux pour tenter de dénicher la perle rare ou pour évaluer les candidats. Bien que tout ne soit pas permis, les travailleurs ont cependant intérêt à gérer adéquatement leur profil sur le Web.

Pendant des années, les employeurs qui avaient un poste à pourvoir se contentaient de l’afficher et attendaient de recevoir des curriculum vitæ (CV). Cependant, depuis au moins 10 ans, le manque de candidats qualifiés a commencé à se faire sentir dans certains secteurs, et les entreprises ont dû revoir leurs pratiques. La proactivité est désormais à l’honneur et s’est généralisée dans tous les domaines ; pénurie de main-d’œuvre et pandémie ont aussi contribué à accentuer la tendance.

À l’heure actuelle, on privilégie l’approche directe, en identifiant d’abord les professionnels qui semblent intéressants et en les contactant personnellement. C’est pourquoi les réseaux sociaux constituent une mine d’or d’informations pour les chasseurs de têtes ou les employeurs en quête de talents. Néanmoins, si cette pratique présente beaucoup d’avantages, elle a aussi ses limites et peut même générer des effets pervers.

En lien direct avec l’emploi

De l’avis de Caroline Boyce, CRHA et chargée de cours à HEC Montréal, LinkedIn demeure la voie royale pour la recherche de candidats, même si Facebook et Instagram peuvent aussi avoir leur utilité. «LinkedIn reste le réseau social par excellence du point de vue professionnel. On peut y afficher sa formation, ses expériences de travail et même des références, autant de renseignements judicieux et pertinents pour les recruteurs», dit-elle. Ces derniers peuvent d’ailleurs passer plusieurs heures par semaine à analyser des profils sur ce réseau.

Il reste que cette pratique contribue potentiellement à alimenter certains préjugés et, même, se trouve peut-être à la source de certaines discriminations. «La photo peut donner des indices sur l’origine ethnique, par exemple. Or, quasiment tout le monde en publie une dans son profil LinkedIn, car sans cela, il semble incomplet, ce qui est perçu négativement par les recruteurs», souligne Caroline Boyce.

Elle ajoute que des chasseurs de têtes ont aussi recours à des outils permettant de répertorier tous les profils sociaux et les sites Web des personnes qu’ils ont ciblées. Résultat : ce ne sont donc pas que des renseignements relatifs au travail qui peuvent arriver dans leur ligne de mire, mais également des informations d’ordre personnel, comme les photos de son partenaire et de ses enfants, celles qui ont été prises à l’occasion des dernières vacances ou lors de sorties entre amis, etc. Bref, autant d’éléments hors de propos pour l’emploi, mais qui, là encore, sont susceptibles de nourrir des idées préconçues en lien avec l’appartenance ethnique ou religieuse, les opinions politiques, le statut matrimonial, le style de vie…

Des balises légales

Dans la province, la Charte des droits et libertés de la personne, le Code civil du Québec et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé encadrent la collecte de renseignements personnels. Ainsi, la loi et la jurisprudence dans ce domaine précisent qu’on doit se limiter à ce qui est lié directement à l’emploi. «Le problème est que cette collecte s’effectue par ordinateur. Comment savoir si le recruteur s’est effectivement limité à cela et s’il a bien respecté les règles? Se pose aussi la difficulté de la preuve : comment un candidat pourra-t-il démontrer qu’il a été discriminé en fonction de tel ou tel critère qui n’a rien à voir avec le poste?» fait valoir Urwana Coiquaud, professeure agrégée en droit du travail au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal.

Elle invite donc chaque personne à faire preuve de discernement et de la plus grande prudence qui soit avec ses publications sur les réseaux sociaux. «Dès qu’on publie quelque chose sur Internet, on en perd le contrôle. L’information circule et elle est là pour longtemps. Aujourd’hui, nul ne peut prétendre qu’il n’est pas au courant de cette réalité! Si on veut garder une information confidentielle, il faut prendre les moyens nécessaires pour qu’elle le reste», ajoute-t-elle.

«Ce qui se retrouve sur Internet fait partie du domaine public. Si on publie des informations, il faut s’attendre à ce que cela soit vu à un moment ou à un autre par un employeur», confirme Marianne Plamondon, CRHA, avocate et associée chez Langlois Avocats, un cabinet spécialisé en droit du travail et de l’emploi. C’est qu’en plus de chercher des talents potentiels sur les réseaux sociaux, les recruteurs n’hésitent pas à effectuer une recherche Web sur les candidats qu’ils ont reçus en entrevue. Tout le processus de recrutement, depuis la recherche jusqu’à l’embauche, est donc concerné. Me Plamondon souligne que cela fait partie des pratiques courantes de surfer sur Internet pour vérifier, par exemple, que la personne n’a pas tenu des propos inappropriés ou fait preuve d’un manque de jugement sur les réseaux sociaux, ce qui représenterait dès lors un drapeau rouge et nuirait à ses chances d’être sélectionnée pour le poste.

Il existe néanmoins des balises légales. Ainsi, un recruteur ne peut pas faire une demande d’amitié à un candidat potentiel sous une fausse identité, ou par le moyen d’un subterfuge, dans le but d’avoir accès au volet privé de son compte Facebook. «Il n’a pas non plus le droit de se livrer à de la concurrence déloyale, notamment en utilisant des informations confidentielles pour solliciter les employés d’une autre entreprise et tenter de les débaucher», précise l’avocate.

Passer ses réseaux au crible

Dans ces conditions, comment faire en sorte que les réseaux sociaux ne nuisent pas à ses chances d’obtenir un emploi? Tout d’abord en les passant en revue et en faisant le ménage dans ses publications, le cas échéant. Effectuer une recherche avec son propre nom dans Google constitue une bonne façon de savoir ce qui ressortirait si un employeur se livrait au même exercice.

Autre idée à garder en tête : celle qui consiste à assurer une concordance exacte entre son CV et son profil LinkedIn. «Si on a “gonflé” un titre d’emploi dans son profil, cela envoie un très mauvais signal au recruteur», prévient Caroline Boyce.

Elle recommande aussi de porter une attention particulière aux paramètres de confidentialité. «Il faut faire en sorte que seuls vos amis puissent voir vos informations privées sur Facebook», dit-elle. Par ailleurs, attention aux «amis des amis», qui y auraient accès malgré tout parce qu’ils sont en contact avec une personne faisant partie de votre cercle rapproché.

D’ailleurs, il n’y a pas que dans un contexte de recrutement que ces conseils peuvent s’appliquer, puisque les travailleurs doivent aussi s’assurer de préserver l’image de marque de leur employeur. Ainsi, de plus en plus d’entreprises demandent à leurs employés de suivre les directives indiquées dans le guide de publication sur les réseaux sociaux qu’elles leur ont fourni.

Pour ce qui est des gestionnaires, Urwana Coiquaud mentionne que l’éthique devrait faire partie de leurs préoccupations premières en limitant leurs recherches aux éléments strictement liés à l’emploi. Néanmoins, qu’on soit employeur, chasseur de têtes, candidat à un poste ou employé, prudence et circonspection sont toujours de mise sur les réseaux sociaux.

Article publié dans l'édition Printemps 2023 de Gestion