Craignant embaucher un candidat inadéquat, les entreprises ont profité de l’enchevêtrement des espaces publics et privés pour ajouter une inspection des médias sociaux à leur processus d’évaluation. Légitime ou non, la pratique ne peut être ignorée.

Vous venez de soumettre votre candidature à un poste de rêve. Vous avez passé des heures à rédiger et à formater un CV qui vous présente sous votre meilleur jour. Votre lettre de présentation est accrocheuse, engagée et empreinte de votre motivation pour décrocher l’emploi. En d’autres mots : c’est prometteur. Toutefois, après deux ou trois clics, l’employeur se désintéresse soudainement de votre candidature… Il n’a fallu qu’une publication ou une photo déplacée de votre côté pour que votre profil passe de la pile «à interviewer» à la pile «refusé». C’est bête, mais c’est courant.  

Ce n’est pas un secret pour personne : les entreprises scrutent les comptes des candidats sur les réseaux sociaux lors de leur processus d’évaluation. Selon un récent sondage mené aux États-Unis par la firme de recrutement CareerBuilder, 7 employeurs sur 10 passent en revue, sur les médias sociaux, les comptes des gens qui soumettent leur candidature à un poste. Plus de la moitié ont trouvé sur ces plateformes du contenu ayant mené à un refus.

Une pratique légale?

Il existe un flou légal important entourant l’utilisation des réseaux sociaux dans le processus d’embauche.

Selon Urwana Coiquaud, professeure agrégée au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal et experte en droit du travail, visiter les comptes de candidats sur les médias sociaux ne contrevient pas en soi à la législation québécoise. «Les informations qu’on trouve en général sur ces réseaux, les tribunaux considèrent que ça ne relève pas du domaine privé», explique-t-elle.

Les paramètres de confidentialité d’un utilisateur ou encore le nombre de personnes avec qui il partage son contenu auraient par ailleurs le potentiel de renverser cette conception.

En ce sens, trois avocats en droit du travail de la firme Stikeman Elliott LLP soulèvent, dans un article publié sur l’agrégateur légal Lexology, que «les lois québécoises ne précisent pas expressément si un employeur peut utiliser les médias sociaux pour recueillir des renseignements sur un candidat et prendre des décisions d’embauche sur la base des renseignements recueillis». Ils mentionnent également que de telles recherches nécessiteraient le consentement du candidat.  

Urwana Coiquaud rappelle que les lois en matière de non-discrimination et de respect de la vie privée régissent l’ensemble des pratiques de recrutement d’un employeur. Ainsi, il est interdit pour un recruteur d’évaluer une candidature sur la base de facteurs discriminatoires trouvés sur Internet, bien que cette pratique demeure souvent impunie. «Le droit est malheureusement souvent impuissant pour contrôler la façon dont l’employeur utilise l’information qui est disponible sur les réseaux sociaux en période d’embauche», souligne-t-elle.

Devant cette réalité, la professeure à HEC Montréal appelle les entreprises à se questionner sur la légalité et l’éthique de leurs processus d’évaluation, et elle recommande aux gens d’utiliser ces plateformes avec précaution. «Les réseaux sociaux ouvrent une fenêtre sur la vie privée des individus. Et si on veut la garder fermée, autant ne rien y mettre», conclut-elle.

Carrières

Être conscient de l’image qu’on projette

«Tout est communication», remarque Monique Soucy, qui offre du coaching en gestion de carrière. Elle souligne que tout professionnel en recherche d’emploi devrait considérer l’image qu’il véhicule par son utilisation des médias sociaux. Effectuer un ménage de votre empreinte numérique s’imposerait ainsi pour ne pas nuire à votre candidature. «Voir à cela, c’est sortir d’une forme de naïveté importante», soutient Monique Soucy.

Comme le mentionne Éloïc Lévesque-Dorion, conseiller en recherche d’emploi au Service de gestion de carrière de HEC Montréal, inscrire votre nom dans un moteur de recherche permet souvent de prendre conscience de l’étendue de l’information disponible à votre sujet. Il invite également les utilisateurs de Facebook à regarder le contenu visible sur leur page à partir de la fonction «voir en tant que» et à retirer toute information qui pourrait être perçue négativement.

À cet égard, une étude de la Singapore Management University conduite aux États-Unis révèle que les employeurs évaluent défavorablement les candidats dont les comptes sur les médias sociaux contiennent notamment du langage grossier et offensant, du contenu à caractère sexuel ou des preuves de consommation d’alcool et de drogue, ou font mention d’une affiliation religieuse.

Dans ses conclusions, l’étude recommande aux gens de faire preuve de discernement quant à leur utilisation des réseaux sociaux, de contrôler le contenu qu’ils rendent accessible publiquement et de potentiellement restreindre l’accès à leurs pages sociales.

Nécessaire, être présent sur les réseaux sociaux?

Conscients des risques associés à l’utilisation des médias sociaux, nombreux sont ceux qui décident de ne pas avoir de présence en ligne. Or, vous effacer complètement de ces plateformes ne risque-t-il pas de nuire à votre candidature dans un contexte professionnel?

Selon le sondage de CareerBuilder, presque un employeur sur deux se dit moins susceptible de contacter un candidat pour une entrevue s’il ne peut le trouver en ligne. Un peu plus de la moitié des répondants attribuent ce réflexe à leur désir de recueillir un plus grand nombre d’informations sur le candidat avant d’offrir une entrevue, alors que les autres s’attendent à ce que leurs employés aient une présence virtuelle.

En réaction à ce constat, Éloïc Lévesque-Dorion vante les mérites de la plateforme LinkedIn, réservée avant tout à un usage professionnel. «C’est rendu un incontournable en ce qui a trait à votre marque personnelle», estime-t-il. À ses yeux, bien que ce ne soit pas obligatoire pour tous, assurer une présence stratégique sur cette plateforme jouerait un rôle grandissant sur le plan du développement de carrière. «Il est possible qu’un employeur ou un recruteur potentiel écarte votre profil au profit de celui d’une personne dont la page LinkedIn est à jour et mieux détaillée», explique le conseiller en recherche d’emploi.

Éloïc Lévesque-Dorion souligne à grands traits le potentiel de réseautage de ce réseau social. Selon lui, en vous effaçant de toute plateforme en ligne, vous renoncez à la possibilité de connecter avec des professionnels qui peuvent vous informer sur l’entreprise ciblée et même faire avancer votre candidature. «Ce sont des outils qui présentent beaucoup d’avantages, mais qui peuvent avoir des désavantages si vous ne les utilisez pas stratégiquement», nuance-t-il toutefois en guise de conclusion.