Les tensions en milieu hospitalier sont bien réelles. Portrait d'un phénomène mal connu…

Le contexte du réseau de la santé ne laisse personne indifférent. Qu’il s’agisse des listes d’attente, de l’accessibilité aux médecins de famille, du débat entre le privé et le public, des restructurations à répétition ou de l’explosion des coûts, chacun se questionne sur l’avenir et la survie de notre système de santé. Toutefois, peu se questionnent sur ceux qui, au quotidien, vivent à l’intérieur de ce système et doivent composer avec cette pression incessante.


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À la suite d’une étude menée auprès de 2 140 infirmières et infirmiers du Québec et présentée lors du congrès organisé en novembre 2015 par l’Association canadienne de protection médicale, nous avions souligné que plus de 20 % du personnel infirmier interrogé mentionnait avoir été victime de comportements hostiles de la part d’un médecin au cours de la dernière année. La situation mérite d’autant plus notre attention qu’elle concerne, dans une plus large mesure, les jeunes infirmières et infirmiers, ceux-là mêmes qui sont les plus susceptibles de quitter la profession. On parle ici d’abus verbaux, psychologiques ou physiques, de critiques ouvertes et personnelles ou de frustration manifestée à l’égard du personnel infirmier concernant la prestation de travail. La question est : est-ce que ce type de comportements est anodin?

Impact des comportements perturbateurs des médecins sur le personnel infirmierLe graphique ci-contre montre que ces comportements hostiles ou perturbateurs sont tout sauf anodins. En effet, il existe un lien important entre la présence de comportements perturbateurs des médecins et les principaux problèmes vécus par le personnel infirmier. Lorsque les médecins se comportent envers le personnel infirmier ou s’adressent à lui de façon abusive, ce dernier éprouve davantage de problèmes d’épuisement professionnel, de dépersonnalisation (détachement émotif à l’égard des patients), de troubles psychosomatiques et cherchera ultérieurement à quitter la profession. À titre d’exemple, nos estimations tendent à montrer qu’un accroissement d’un point de la moyenne obtenue sur l’échelle des comportements perturbateurs peut accroître de plus de 15 % les risques d’épuisement professionnel.

Existe-t-il des environnements de travail plus propices à l’apparition de ce type de comportement?

Les études que nous avons réalisées au cours des dix dernières années dans le réseau de la santé ont mis en lumière plusieurs déterminants de ce problème. Le sentiment d’injustice et d’iniquité à l’égard des procédures et des décisions prises par les différentes instances, la surcharge et l’ambiguïté de rôle, le manque de reconnaissance pour le travail accompli et l’absence de soutien organisationnel ne sont que quelques exemples de ces déterminants1.

Plus récemment, nous avons été amenés à nous questionner sur l’impact de ce contexte de travail sur le climat et la qualité relationnelle des principaux acteurs du réseau. En fait, une augmentation de la charge de travail dans un environnement de grands changements peut générer des tensions entre les membres de l’équipe médicale et principalement entre les médecins et le personnel infirmier, ce qui accroît les risques de comportements hostiles ou perturbateurs de la part des médecins. Afin de mieux comprendre l’apparition de ces comportements, nous avons poussé notre investigation du côté des caractéristiques organisationnelles.

Déterminants organisationnels comportements perturbateurs des médecinsLe graphique suivant, issu de la même étude que précédemment, porte à croire que les hôpitaux qui endossent et véhiculent des valeurs humaines, soutiennent leurs employés lors de difficultés, partagent l’information de manière transparente et agissent de façon juste et équitable envers les employés sont des lieux de travail où les comportements hostiles et perturbateurs sont moins présents. À titre d’exemple, les analyses statistiques indiquent qu’un accroissement d’un point de la moyenne obtenue sur l’échelle des valeurs humaines peut réduire de près de 13 % les risques de voir apparaître des comportements perturbateurs. Les établissements de santé auraient donc intérêt à dicter un code de conduite comportant des valeurs de courtoisie, d’indulgence, de transparence et de respect des autres afin d’édifier une culture, certes orientée vers la qualité des soins aux patients, mais également vers le respect des valeurs humaines.

Déterminants des comportements perturbateurs des médecins (suite)D’un autre côté, certains éléments propres à l’organisation du travail peuvent favoriser l’apparition de comportements hostiles ou perturbateurs de la part des médecins. Le graphique suivant montre que la présence des « stresseurs » de rôles tels que le conflit de rôle, l’ambiguïté de rôle et la surcharge de rôle accentuent la présence des comportements perturbateurs. Lorsque les rôles à l’intérieur des différents processus de soins sont mal définis, que les tâches au sein de son propre emploi ne sont pas claires et que l’on est exposé à une surcharge de travail, les risques de tension au sein des équipes de soins augmentent et, par le fait même, l’apparition de comportements hostiles. En effet, les médecins ne sont pas à l’abri des problèmes d’épuisement professionnel. Les dernières études longitudinales réalisées aux États-Unis tendent à montrer un accroissement du taux de prévalence de l’épuisement professionnel chez les médecins passant de 37,6 % en 2011 à 52,5 % en 20142.

En conclusion, il y a lieu de croire que la situation ne se résorbera pas d’elle-même et que si rien n’est fait pour réduire les irritants nuisant à la qualité du climat de travail, les relations au sein des équipes de soins risquent d’être de plus en plus tendues, augmentant du même coup les risques d’erreurs médicales3. Il est possible de travailler du côté de la prévention avec les différents programmes d’aide aux employés (PAE) et, plus particulièrement le Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ). Cependant, les organisations (ex. : établissements, gouvernements, fédérations) ont également leur part de responsabilité. Les organisations liées à la santé doivent donc regarder de près leurs valeurs et l’organisation du travail du personnel soignant afin de clarifier les rôles et les tâches, et ce, sans oublier d’insuffler un vent d’humanité.


Notes

1. Denis Chênevert, (2015). « Gestion "101" des médecins aux comportements perturbateurs : le cas du personnel infirmier ». Conférence : Le comportement perturbateur : Que faire?, Montréal, 27 novembre 2015, Palais des Congrès de Montréal. Denis Chênevert, Geneviève Jourdain, Nina Cole et Brigitte Banville (2013). « The role of organisational justice, burnout and commitment in the understanding of absenteeism in the Canadian healthcare sector »Journal of Health Organization and Management, 27(3), pp. 350-367.

2. Iris Schrijver (2016) « Pathology in the Medical Profession? Taking the Pulse of Physician Wellness and Burnout »Archives of Pathology & Laboratory Medicine, College of American Pathologists.

3. Tait D. Shanafelt et al. (2010). « Burnout and medical errors among American surgeons ». Annals of surgery, 251(6), pp. 995-1000.