Nous sommes sans doute nombreux à avoir souvent confondu performance et productivité. C’est peut-être d’ailleurs encore le cas… Avec toujours cette idée obsédante que la performance ne peut qu’être chiffrée : en heures travaillées, en argent gagné, en mandats remportés. Avec le sentiment qu’en travaillant plus, on est toujours plus productif. Avec pour conséquence le fait que cette quête de productivité dévore parfois tous les autres pans de nos vies.

La question de la performance et de son impact sur les individus et les organisations ne cesse d’être d’actualité. Sa définition classique, soit celle d’être hyperproductif ayant pour seul but de gravir des échelons ou de multiplier les revenus, a été profondément ébranlée ces dernières années. Nous avons en effet pu en voir les impacts sur la santé mentale et physique des individus, et nous en constatons aussi les répercussions négatives sur l’environnement.

Cette définition de la performance a été discutée dans le cadre d’un panel présenté en avril dernier au Congrès de la Chambre de commerce et d’industrie de Québec, avec Sonya Cliche, directrice principale, Programmes et financement spécialisé d’Investissement Québec, Lise Lapierre, ASC, FCPA, administratrice de sociétés, et Anne-Marie Leclair, associée, stratège principale et lead, innovation et ESG chez lg2. Toutes les trois sont des femmes d’affaires réputées pour leur réussite professionnelle. Leurs témoignages et nos échanges ont grandement nourri la réflexion présentée ici quant aux liens entre performance et succès, entre transformation organisationnelle et responsabilité d’entreprise.

Une histoire personnelle de performance

Beaucoup de femmes se sont construites avec une notion très précise et exigeante de ce qu’impliquait être performant : travailler fort, travailler dur, travailler tard. Cela nécessitait une part de souffrance, même si le mot semble fort. Il fallait que ce soit payant, que les efforts soient tournés vers l’obtention de reconnaissance, avec l’idée de faire «du chiffre» le seul barème de réussite. L’accomplissement personnel ne passait alors que par cette vision chiffrée de nos réalisations.

Aujourd’hui, le mot performance est toujours associé au féminin, même si on en redéfinit le genre. La performance est liée à la réussite, oui, mais différemment : elle a de la valeur lorsqu’elle permet de créer une différence. C’est pour cela qu’il faut la distinguer de la productivité ou de la rentabilité. La performance conjugue valeur, subtilité, bienveillance, grâce… Elle évoque désormais un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle : elle autorise à se sentir véritablement accomplie en s’autorisant à profiter de la présence de ses enfants et à s’accorder du temps pour les loisirs, tout en atteignant des objectifs professionnels et financiers.

Être vraiment performant, c’est savoir s’adapter, être capable de faire face à l’inconnu, avoir la confiance en soi nécessaire pour confronter de vieilles façons de faire. Le concept varie selon les contextes, ce n’est plus une recette toute faite « travail = productivité = rentabilité », comme on la valorise encore trop souvent de façon traditionnelle en entreprise. La performance ne repose pas uniquement sur les épaules de chaque individu : c’est un concept qui doit être transposé dans une vision organisationnelle.

De l’individuel au collectif

Il est tentant de faire l’équation qu’un employé performant rendra forcément l’entreprise performante, comme si la seule responsabilité du succès reposait sur les épaules de l’individu. Or, une véritable performance d’entreprise est un travail d’équipe, pas une tâche individuelle, d’où la nécessité de non seulement considérer la performance comme un tout protéiforme composé de multiples facteurs qui changent au fil du temps et des projets, mais aussi comme une forme de responsabilisation.

C’est pourquoi les systèmes de récompense qui favorisent la logique individuelle, comme une hausse marquée de salaire ou un boni financier sans autres bénéfices (horaires souples, conciliation travail/famille, télétravail, programme d’assurances, formation, mobilité, etc.), sont à remettre en question.

Performer, au-delà des chiffres

Aucune entreprise, aucune organisation n’existe en vase clos, coupée de la société. Elle fait partie intégrante du système et a un impact sur celui-ci. Les organisations exercent donc une influence sur la communauté où elles sont implantées, ce qui implique une forme de responsabilisation dont on prend de plus en plus conscience. A-t-on, aujourd’hui, encore envie d’être évalué sur ce qu’on vend, sur ce qu’on livre, complètement déconnecté de notre impact sur le monde qui nous entoure?

La question a été posée de but en blanc pendant le panel : une entreprise qui fait juste de l’argent est-elle performante? Ou, autrement dit, les indicateurs financiers sont-ils les seuls résultats qui comptent vraiment?

Pour apprécier la performance, il faut assurément pouvoir regarder des résultats. Par le passé, seules les données financières étaient considérées comme probantes, en partant du point de vue qu’une entreprise performante était une entreprise rentable. Désormais, dans une société où la responsabilité sociale des entreprises (RSE) est de plus en plus discutée et examinée, on se doit de définir autrement les critères de performance. Les chiffres dans la colonne des revenus auront toujours leur importance, lorsque mis en contexte; on regarde maintenant aussi l’impact social, environnemental et humain d’une organisation.

Pour être performant, autant comme individu que comme organisation, il faut comprendre ce à quoi on doit contribuer. On doit se poser la question : quelle est mon intention et quel est mon impact? La réponse variera selon les contextes, mais la question demeurera un phare dans le choix des actions à poser. Cette réflexion guide de plus en plus notre approche et celle de nombreux entrepreneurs et professionnels aujourd’hui, alors que nous réfléchissons collectivement à la raison d’être des entreprises, au sens qu’elles créent et aux solutions dont elles peuvent et doivent faire partie. Cela implique d’examiner les impacts des décisions sous l’angle de la responsabilité sociale. Au-delà des rendements et des profits.

Prenons l’exemple d’Énergir, qui a décidé de s’investir dans la transition énergétique et de devenir une partie prenante de la solution au grave problème environnemental qui nous concerne tous. Si on tenait compte uniquement du facteur financier, on pourrait facilement dire que sur papier, ce n’est pas une organisation performante, car il s’agit possiblement d’une décision moins payante financièrement à court terme. Pourtant, n’est-ce pas là un exemple inspirant de véritable performance à moyen et long terme? D’une vision mieux intégrée? D’une raison d’être qui fait une différence dans la société?

C’est vrai que dans cette perspective, être performant a un coût. La redéfinir demande de l’audace; celle de considérer que les profits ne sont pas les seuls facteurs qui déterminent le succès. Pourtant, c’est plutôt un investissement, semblable à investir dans les talents : à long terme, c’est payant. Une organisation ne misant que sur la productivité et la rentabilité, mais qui se vide de ses meilleurs talents, n’est pas aussi performante qu’elle le croit, aussi riche soit-elle. Une organisation qui sait performer peut mener à une meilleure communauté, à de meilleurs humains.

Il est peut-être temps, pour chacun d’entre nous, de savoir et de choisir ce que signifie «bien performer». Selon nos propres critères.