Il n’est pas toujours possible ni souhaitable de travailler plus. Alors, comment tirer son épingle du jeu et gagner en efficacité? Les suggestions de Jean-François Bertholet, consultant et chargé de cours à HEC Montréal.

Comment travailler mieux? C’est l’une des questions qui intéressent Jean-François Bertholet depuis longtemps et à laquelle il tente de répondre à la barre du balado «Travailler mieux», une série de huit épisodes, accessible sur la plateforme OHdio de Radio-Canada. Pour Gestion, il nous livre ses réflexions et des conseils pratiques.

Pourquoi vous intéressez-vous particulièrement à la question de l’efficacité au travail?

Le monde du travail actuel a été en partie modelé pendant l’ère industrielle. L’efficacité était alors directement liée à l’intensité, à la vitesse d’exécution. Aujourd’hui encore, on en ressent les contrecoups : quand on est super occupé, on a l’impression d’être efficace, mais ce n’est pas parce qu’on est proactif qu’on est nécessairement plus productif. En réalité, aujourd’hui, la performance est plutôt une question de gestion d’énergie, de temps et de l’alignement sur ses objectifs. Bref, comme dans le lièvre et la tortue, peut-être serait-il bon de redéfinir le concept de performance.

Cela peut représenter un défi dans le contexte actuel. Concrètement, comment peut-on y arriver?

Établissons d’abord nos priorités. Si on ne le fait pas soi-même, les autres nous imposeront les leurs. C’est encore plus vrai maintenant, alors que tout le monde a accès à nos horaires avec les agendas partagés. Réfléchir à ses objectifs permet de départager ce qui est important ou non, de dire non à ce qui ne l’est pas et de mieux gérer son temps. Cela sert aussi de guide au moment de faire certains choix. Autrement dit, il faut se demander à quoi on veut consacrer plus d’énergie et établir des stratégies pour y parvenir. Mieux vaut avoir un plan, quitte à en dévier.

Comment peut-on mieux gérer son temps, alors que les projets et les besoins sont multiples?

Au début de chaque semaine, de chaque mois, voire de chaque année, on pourrait se demander ce qu’on veut accomplir et déterminer les moyens à prendre pour atteindre ses objectifs. Les rituels sont un bon moyen d’y arriver. On pourrait réserver le premier de chaque mois à un projet qui nous tient à cœur ou prévoir des journées sans réunions. De la même manière, il est parfois nécessaire de mettre son énergie dans certaines tâches qui apporteront des bénéfices à long terme. Par exemple, cela vaut peut-être la peine de rédiger un courriel type pour répondre à une question qu’on reçoit 48 fois par année. C’est une façon de multiplier son temps.

Ce n’est pas toujours facile de se projeter dans le temps, non?

Effectivement. On a souvent tendance à accepter plus facilement les engagements qui sont plus loin dans le temps, parce qu’on a l’impression qu’on sera alors moins occupé. Mais c’est une illusion. Disons qu’on m’invite à une rencontre de trois heures, qui se tiendra dans trois mois. Avant d’accepter, j’aime bien me poser une question : si c’était la semaine prochaine, est-ce que j’accepterais cette proposition? Si la réponse est oui, mais à condition que la réunion ne dure qu’une heure, il est fort probable que ce soit la même chose plus tard. Il faut donc être gentil avec son «moi futur» et se montrer aussi rigoureux en ce qui a trait à ses disponibilités dans trois mois qu’à celles d’aujourd’hui.

Vous recommandez aussi de gérer son énergie. Avez-vous des astuces pour y parvenir?

Pour cela, c’est important de prendre conscience de son propre rythme et de choisir des tâches en fonction de son niveau d’énergie dans la journée. Autre phénomène : aujourd’hui, avec le télétravail, la cadence des rencontres s’est vraiment accélérée. Il n’est pas rare que les rencontres sur Zoom se succèdent sans pause. Or, le cerveau a besoin de temps pour récupérer avant de passer à un autre sujet. Une étude récente démontre que le fait de ne pas s’arrêter entre deux réunions, c’est l’équivalent de ne pas prendre de pauses entre ses séries de pompes. C’est impossible. On veut être efficace en enchaînant les réunions, mais au bout du compte, on l’est moins parce que l’on continue même si on a le cerveau dans la brume. Pour ralentir ce rythme, je suggère de commencer toutes les rencontres cinq minutes après le début de l’heure, pour s’assurer d’avoir quelques minutes pour reprendre son souffle. 

Quelles sont les erreurs communes de ceux qui tentent d’être plus efficaces?

Certaines études démontrent que lorsqu’on se sent dépassé et stressé, on a tendance à ajouter de nouvelles règles, des rencontres, à complexifier notre travail. C’est comme un cercle vicieux. On a tendance à avoir un biais pour l’action, puisque cela nous donne une impression de contrôle. En fait, si on ajoute quelque chose, il faut en enlever une autre ailleurs pour garder l’équilibre.

Ralentir pour réussir, est-ce vraiment une stratégie envisageable actuellement dans nos organisations?

Oui. En fait, je comparerais cela au sport de haut niveau. Pour arriver à ce stade, les athlètes doivent se surpasser sur le terrain, mais aussi prévoir les meilleures stratégies, analyser la situation, trouver les bons outils pour développer leur potentiel. C’est la même chose au travail. On passe beaucoup de temps à travailler et peu de temps à réfléchir à comment on s’y prend. C’est très rare qu’on organise des rencontres d’équipe pour décider collectivement comment gérer notre temps, notre attention. Il n’y a pas de recette miracle, mais certains gestes peuvent quand même être posés. Il suffit parfois d’essayer.


Pour aller plus loin

 «Travailler mieux» sur la plateforme OHdio de Radio-Canada (ballado)