Tout jeune dirigeant commettra des erreurs. Quoique cela soit bien normal, certaines seraient peut-être évitables. Robert Dutton, pendant plus de 20 ans président et chef de la direction de Rona et aujourd’hui directeur associé au Pôle entrepreneuriat, repreneuriat et familles en affaires de HEC Montréal, nous fait part de ce que lui a appris son riche parcours.

Lorsqu’il enseigne aux étudiants du baccalauréat en administration des affaires, Robert Dutton aime bien commencer en relatant l’anecdote suivante : jeune finissant, il a rapidement été nommé directeur après son entrée en entreprise en tant qu’analyste marketing. Il s’est alors soudainement retrouvé avec une vingtaine de personnes sous sa responsabilité. Exceptionnellement, il a dû demander à son équipe de venir travailler lors d’une longue fin de semaine de congé. Or l’équipe a refusé. Il n’en fallait pas plus pour qu’il se sente complètement déstabilisé par une telle situation. En rentrant chez lui ce soir-là, il s’est empressé d’ouvrir ses livres de gestion. «Qu’est-ce qu’on fait quand des membres de son personnel ne veulent pas effectuer le travail? Si je n’ai pas trouvé de réponse dans mes livres, j’ai eu la bonne intuition de consulter le dossier de l’un d’entre eux qui semblait influencer les autres. Je me suis rendu compte qu’il avait postulé à mon poste et ne l’avait pas obtenu. J’ai donc décidé de le rencontrer – le meilleur réflexe que je pouvais avoir.»

En effet, Robert Dutton soutient que la communication et l’écoute réelle de l’autre désamorcent bien des tensions et des situations difficiles. «Cet employé a fini par me confier sa frustration de ne pas avoir eu le poste, raison pour laquelle il se braquait devant mes demandes. Je lui ai dit : “Je ne suis pas responsable de ça, je ne me suis pas choisi moi-même pour ce poste! Mais la bonne nouvelle, c’est que toi comme moi voulons grandir dans cette entreprise. Comment s’organise-t-on alors pour grandir ensemble?” Finalement, il a accepté de venir travailler durant cette fin de semaine, entraînant l’équipe avec lui. Lorsqu’on est un jeune dirigeant, les budgets, les objectifs, la planification stratégique sont certes importants, mais l’essentiel, ce sont les personnes.»

Robert Dutton explique qu’il a lui-même profité de ses premières années en tant que patron pour apprendre à s’observer dans l’action. Quand on arrive sur le marché du travail, avec son diplôme et ses connaissances théoriques en poche, on amorce la partie la plus importante de sa formation. «C’est une période d’apprentissage continu, où toutes les situations sont nouvelles. Il faut apprendre à réagir, à prendre les bonnes décisions, à comprendre ce qu’on vit.» Selon lui, l’introspection est une qualité fondamentale qu’il faut savoir développer. «Cela signifie qu’il faut observer, écouter, poser des questions, tenter de comprendre pour tirer des leçons.»

Prétentieux, tu ne seras point

«Souvent, les patrons vont vite, pensant que tout le monde les comprend instantanément», indique Robert Dutton. Faire preuve d’écoute est toujours utile, notamment pour susciter l’adhésion. «Les projets, les changements, ça se fait en équipe. On n’arrive à rien comme dirigeant sans la mobilisation de ses troupes. Et pour cela, il faut savoir écouter.»

Tout aussi importante est la première impression. Nos comportements sont comme notre signature; ils marqueront les esprits. «Je pense qu’une erreur à éviter absolument, c’est de croire qu’on sait! Ce n’est pas parce qu’on est diplômé qu’on doit être prétentieux. On n’a jamais tout appris.» L’humilité et la volonté de continuer à apprendre permettent de gagner le respect de son équipe et de susciter l’engagement collectif.

Ces qualités participent au savoir-être, selon l’ancien président de Rona. «Mais qu’est-ce que le savoir-être? C’est d’abord avoir la conscience de qui on est. C’est l’acceptation de ses forces et de ses limites. C’est cerner son potentiel de croissance.»

La capacité à définir ses rêves

Tous ces conseils dispensés par Robert Dutton ne sauraient se concrétiser sans une bonne dose d’introspection. Il ajoute qu’on a habitué les jeunes à rechercher la rétroaction, ce qui est évidemment nécessaire. Pourtant, comme dans bien des choses, la modération favorise l’équilibre. En entreprise, les horaires chargés ne permettent pas de s’asseoir à tout moment pour revenir sur tout et sur rien. «Je me souviens d’un jeune à qui j’enseignais qui désirait qu’on fasse le point tous les vendredis! Apprends à être fier de toi-même, à trouver la satisfaction intérieure. Il est nécessaire de faire la part des choses par soi-même, d’user de discernement et d’alimenter sa propre réflexion.»

Réfléchir pour analyser ses comportements et les événements, pour ultimement en tirer des leçons. Réfléchir, aussi, afin de dessiner un plan de vie avec la volonté d’aller plus loin, de se dépasser. «Dans notre société de l’instantanéité, on cultive moins le désir et la vision à long terme. Je crois que, pour réussir, il faut avoir un plan, un souhait, un rêve. Une fois qu’on a déterminé ça, on trouve une grande motivation et on peut saisir plus facilement les occasions qui se présentent.»

L’idée n’est pas d’ajouter de la pression par un cadre trop restrictif ou de s’imposer un rythme irréaliste, mais bien d’établir une destination. «En tant que jeune gestionnaire, on peut évidemment avoir de nombreuses motivations. C’est important de les connaître, d’y réfléchir, pour savoir où on s’en va et ne pas se réveiller trop tard parce qu’on s’est laissé porter au gré du vent.»

Cela étant exprimé, l’homme d’affaires se glisse dans le silence un moment. Il songe au meilleur conseil à offrir aux dirigeants qui font face à leurs premiers défis. «Si je n’avais qu’une recommandation à faire, ce serait de ne pas oublier qu’en sortant de l’université, on amorce vraiment la partie la plus importante de ses études. La théorie, ce n’est qu’environ 10% des apprentissages qui nous permettront de devenir la meilleure version de soi-même. Ensuite, on peut estimer à 20% la portion qui représente les personnes rencontrées sur notre route. Le reste, ce sont les expériences qui nous forgent. Alors, sachez comprendre ce que vous vivez et quels en sont les impacts. Réfléchissez-y!»

Article publié dans l’édition Hiver 2024 de Gestion