Les différentes crises auxquelles les gestionnaires sont exposés forcent ces derniers à s’adapter et à revoir continuellement leur façon de gérer leurs équipes. L’authenticité s’avère alors une qualité tout indiquée pour permettre à chacun d’évoluer dans un environnement sain.

On le sait, la crise sanitaire a bouleversé radicalement le monde du travail. Pendant des mois, il a fallu oeuvrer à distance et désormais, le mode hybride semble bien implanté. Résultat : les gestionnaires ont dû démontrer de la flexibilité, vivre avec l’inconnu et se former aux nouvelles pratiques, tout en dirigeant leurs équipes et en assumant la charge émotionnelle causée par ces nombreux changements.

Selon certaines recherches, faire preuve d’authenticité semble être la clé pour gérer mieux et plus efficacement. Mais comment y parvenir? Il faut d’abord comprendre ses émotions et celles de ses collaborateurs, et apprendre à bien les réguler. Voici des pistes de réflexion et des outils pour mener sa barque à bon port.

Les émotions et leurs «règles d’affichage»

Les émotions, quelles qu’elles soient, ont un coût, mais aussi des avantages sur le plan psychologique. Apprendre à réguler celles qui ne sont pas appropriées en milieu de travail et en maximiser les avantages s’avère donc essentiel.

Mais d’abord, qu’est-ce qu’une émotion? C’est ce qu’éprouve un individu lorsqu’il vit un événement important. L’émotion comporte quatre grandes composantes :

  1. les sentiments, qui incarnent l’expérience subjective de la personne ;
  2. le sentiment de finalité, qui crée un état motivationnel orienté vers un but et une impulsion à l’action ;
  3. la réaction de la personne, autrement dit, la préparation à l’action et l’activation physiologique;
  4. le comportement d’expression, qui envoie des signaux à autrui par le biais des expressions faciales, du ton de la voix, de la posture, etc. On pourrait les identifier respectivement ainsi : le ressenti, la motivation, la préparation et l’action.

Les émotions et les réactions affectives peuvent être de nature positive ou négative. Dans ce dernier cas, il faudra les réguler afin d’agir de façon adéquate dans l’organisation, car il existe des normes comportementales auxquelles il faut se conformer. En effet, certaines émotions ne peuvent s’exprimer en milieu de travail, parce que des «règles d’affichage» existent. Cela signifie qu’il faudra supprimer ou du moins atténuer les émotions dites négatives et exprimer celles qui sont positives. Pour y parvenir, il est nécessaire d’effectuer un travail émotionnel. Pourquoi? Parce que celui-ci influe fortement sur le bien-être ou le mal-être au travail.

Les stratégies de régulation peuvent prendre principalement deux directions. Ainsi, une démarche authentique générera notamment les émotions positives attendues, ce qui favorisera de bonnes relations avec autrui et mènera ultimement à un état de bien-être au travail et à une meilleure performance de la personne. Inversement, une approche d’inauthenticité peut être adoptée, engendrant du même coup des émotions négatives, de mauvaises relations sources de mal-être et, éventuellement, l’épuisement au travail.

Force est de constater que l’authenticité est la meilleure solution, tant d’un point de vue individuel qu’organisationnel. Heureusement, certaines stratégies favorisent l’atteinte de cet objectif.

Différents styles de régulations

Pour faire en sorte que le travail émotionnel nous mène vers l’authenticité, il est possible d’intervenir à quatre moments précis. La première intervention consiste à éviter de se retrouver dans une situation émotionnelle difficile. Si cela n’est pas possible, on peut alors diriger son attention vers autre chose ou encore relativiser la situation, de façon à faire émerger une émotion souhaitée ou à empêcher celle qui est inappropriée. Si on n’a pas obtenu le résultat escompté, on passe à l’étape qui consiste à évaluer la situation, c’est-à-dire à interpréter comment on se sent et à réfléchir en même temps à la manière dont la situation s’est envenimée, de façon à orienter sa réponse émotionnelle vers celle qu’on souhaite. Si l’émotion non désirée est néanmoins déclenchée, il reste à supprimer cette émotion négative et à simuler celle qui est attendue dans les circonstances. Ce dernier cas de figure est celui que l’on doit particulièrement chercher à éviter.

On peut donc choisir d’œuvrer sur l’un ou l’autre des éléments qui façonnent l’émotion (la situation, l’attention qu’on y porte, l’évaluation de celle-ci) ou encore sur la réaction émotionnelle à adopter, ce qui débouchera sur un style de régulation spécifique. D’ailleurs, nos travaux1 démontrent que chaque individu est en mesure d’utiliser une combinaison variable de ces stratégies. Plus spécifiquement, les résultats de nos recherches indiquent que certaines combinaisons de stratégies sont plus efficaces que d’autres pour favoriser l’authenticité. Ainsi, lorsqu’une personne affiche spontanément des émotions positives ou tente d’évaluer adéquatement une situation, les avantages pour elle sont bel et bien réels. À l’inverse, avoir uniquement recours à la suppression d’une émotion négative ou à la simulation d’une émotion positive a des effets néfastes sur le bien-être au travail. Dès lors, ce n’est pas le fait d’être inauthentique de temps à autre qui pose problème, mais plutôt de l’être systématiquement!

Le travail émotionnel comme acte motivé

À la lumière de ces constats, une question se pose : pourquoi certaines personnes adoptent elles un style de régulation plus authentique? Un élément de réponse a trait aux motivations qui poussent des individus à effectuer ce travail émotionnel. Ces motivations peuvent prendre différentes formes. Tout d’abord, la motivation extrinsèque se décline en plusieurs volets qui se situent sur un continuum d’authenticité : la motivation externe repose sur le principe de la carotte et du bâton, la personne gérant alors ses émotions pour obtenir une récompense ou éviter une punition ; la motivation introjectée exige que les personnes maîtrisent leurs émotions pour éviter de ressentir de la culpabilité ; la motivation identifiée ou intégrée pousse les individus à accomplir la tâche parce qu’elle correspond à leurs valeurs. À l’extrémité de cet axe se trouve la motivation intrinsèque, qui fournit l’énergie nécessaire pour effectuer le travail émotionnel pour le simple plaisir de le faire.

Il est clair que plus on progresse sur ce continuum vers la motivation intrinsèque, plus on en retire du bien-être, des émotions positives et de la satisfaction au travail. Les émotions positives exprimées sous l’impulsion de la motivation intrinsèque, identifiée ou intégrée le sont davantage de façon naturelle, produisant ainsi une plus grande authenticité. Si l’émotion positive ne vient pas spontanément, la personne devra alors travailler davantage en fonction d’une stratégie d’évaluation de la situation.

Nous avons tenté de résumer ici succinctement les notions très complexes qui ont trait aux émotions, au travail émotionnel et à la motivation sous-jacente. Or, par le fait même, la recherche de l’authenticité à tout prix ne risque-t-elle pas de nous rendre… inauthentiques?

Et si, au lieu d’afficher un large sourire en permanence, on se permettait de montrer, sans blesser qui que ce soit, des émotions négatives lorsqu’on en ressent le besoin et quand il faut faire passer des messages importants? En revanche, il faut s’attendre à ce que ces émotions aient des répercussions sur la personne qui les reçoit. On doit donc être conscient qu’il y a des avantages à s’exprimer de façon authentique, mais que cela est aussi associé à des coûts.

Article publié dans l’édition Printemps 2023 de Gestion


Note

1- Voir notamment : Cossette, M., et Hess, U., «Service with style and smile – How and why employees are performing emotional labour», European Review of Applied Psychology, vol. 65, n° 2, mars 2015, p. 71-82 ; Cossette, M., et Hess, U., «Emotion regulation strategies among customer service employees: A motivational approach», dans Ashkanasy, N. M., Härtel, C. E., et Zerbe, W. J. (éd.), Experiencing and Managing Emotions in the Workplace (Research on Emotion in Organizations, vol. 8), Bingley, Emerald Publishing Group, 2012, p. 329-352.