Dans nos sociétés, le climat de confiance se dégrade. Cette généralisation de la méfiance crée de nombreux risques d’ordre social, politique et économique. Restaurer cette confiance représentera un enjeu majeur au cours des prochaines années.

La version 2022 du baromètre de confiance Edelman affiche une baisse à laquelle à peu près personne n’échappe. Le crédit accordé aux médias, aux gouvernements, aux entreprises et même aux ONG a fléchi fortement depuis 2020. La confiance envers les gouvernements, en particulier, a chuté de 17 points de pourcentage.

Seul rescapé de ce marasme : l’employeur. Pas moins de 76% des Canadiens jugent le leur digne de confiance. «Cela est peut-être lié à certaines décisions prises par les employeurs pendant la pandémie pour protéger leurs travailleurs ou leur offrir plus de flexibilité», estime Donald Riendeau, directeur général et fondateur de l’Institut de la confiance dans les organisations.

La confiance des Québécois était élevée entre 2004 et 2008, mais s’est effondrée entre 2008 et 2014, dans la foulée des nombreux scandales de corruption révélés au grand jour, indique Donald Riendeau. Après quelques années de stagnation, elle est remontée en 2020, dans les premiers mois de la crise sanitaire. Mais elle a recommencé à chuter par la suite. «Au début de la pandémie, on voyait beaucoup d’entraide et de solidarité, mais lorsque la crise s’est installée dans la durée, la situation s’est détériorée», explique-t-il.

Résultat des courses : le climat de confiance semble de plus en plus fragile. L’honnêteté de l’ensemble des leaders institutionnels est remise en cause (voir l’encadré «Des institutions jugées suspectes»). Plus de quatre Canadiens sur dix qualifient les gouvernements et les médias de forces «polarisantes» et non unificatrices pour la société.

Même les médias sociaux en prennent pour leur rhume. Seulement 21% des citoyens leur font confiance (contre 57% pour les médias traditionnels), une chute de 18 points de pourcentage en dix ans. Dans le rayon dégarni des éléments positifs, on trouve la confiance envers les scientifiques et envers le système de soins de santé, qui restent tous deux au-delà de 70%.

Les raisons de la colère

Le sociologue français Patrick Watier, auteur de l’ouvrage Éloge de la confiance[1] croit que plusieurs éléments, dont certains sont très légitimes, alimentent cette méfiance. «Lorsque les scandales politiques ou de corruption se multiplient et que les politiciens remettent sans cesse en cause l’intégrité de leurs adversaires, il est naturel que le doute s’installe», souligne-t-il.

Même chose pour les nombreuses promesses non tenues en politique, qui engendrent du découragement et de la défiance. Le sociologue ajoute à cela le flot de manchettes négatives qui nous assaillent. «Nous sommes constamment bombardés de nouvelles alarmantes sur le climat, la guerre, l’inflation, la crise sanitaire, etc., et cela génère de la peur», poursuit-il. Or, la crainte est la mère de la méfiance. D’autant que des groupes ne se gênent pas pour instrumentaliser cette angoisse et la tourner vers l’«autre», que ce soit les élites, les journalistes, les adversaires politiques ou les immigrants.

Les données de la firme Edelman sont frappantes à cet égard. Les niveaux de confiance envers tout ce qui est familier, comme ses collègues, ses voisins, les membres de sa collectivité ou son employeur, sont plus élevés qu’envers tout ce qui est plus éloigné. Depuis 2022, la confiance éprouvée pour les habitants de pays étrangers a baissé de 18 points de pourcentage et celle à l’égard des résidents d’autres provinces a perdu 13 points.

«Nous n’avons jamais eu de moyens de communication aussi puissants pour connecter tout le monde, mais, ironiquement, ces médias semblent plutôt créer de l’isolement et de la polarisation», note Michel Magnan, titulaire de la Chaire de gouvernance d’entreprise Stephen A. Jarislowsky à l’Université Concordia.

Les médias sociaux ont en effet tendance à ne proposer à leurs utilisateurs que des contenus qui leur plaisent ou les engagent. Cela les enferme dans des «chambres d’écho» où leurs idées sont sans cesse renforcées, sans remise en question par des points de vue opposés. Cela fait rapidement perdre l’habitude du débat. D’ailleurs, selon Edelman, 59% des Canadiens estiment que leurs concitoyens ne savent plus mener un débat constructif et civilisé avec des gens qui ne pensent pas comme eux.

Autre facteur déstabilisateur : l’augmentation des inégalités. Toujours selon Edelman, près de la moitié des Canadiens jugent le capitalisme plus nuisible que bénéfique. «Le marché génère beaucoup d’imperfections et semble favoriser certains acteurs au détriment des autres, ce qui accroît fortement la concentration de richesse et crée des situations que les gens estiment injustes», avance Michel Séguin, qui enseigne l’éthique en entreprise à l’ESG-UQAM.

Les exemples de cela pleuvent. C’est au moment où l’inflation augmente fortement le prix du panier d’épicerie des consommateurs que les grandes chaînes d’alimentation engrangent leurs meilleurs profits depuis plusieurs années. En Europe, TotalEnergies affiche des bénéfices records en pleine crise énergétique, pendant que les citoyens craignent de manquer d’énergie avant la fin de l’hiver. Les patrons canadiens gagnent 243 fois le salaire moyen au Canada et la fortune des plus riches a doublé dans le monde depuis le début de la pandémie. Un terrain très peu propice aux notions de confiance et de solidarité. «Certaines colères sont tout à fait légitimes», reconnaît d’ailleurs Michel Séguin.

Des dangers bien réels

Cette crise de confiance est loin d’être anodine. Pour l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la confiance est le fondement sur lequel repose la légitimité des institutions démocratiques. L’organisme s’inquiète des données de son plus récent rapport, qui montrent qu’en moyenne, seulement quatre personnes sur dix font confiance à leur gouvernement.

«Les institutions politiques démocratiques existent en théorie pour améliorer le bien-être de la société, mais pour y arriver, elles doivent pouvoir compter sur la collaboration volontaire de la population, souligne Michel Séguin. Or, une consigne de la santé publique ne vaut rien si personne ne la croit ou ne l’applique. C’est aussi le cas pour les mesures de lutte contre les changements climatiques.»

Selon le professeur, ce qui est en jeu, c’est notre capacité à agir collectivement pour s’attaquer aux grands enjeux de notre époque et réaliser de vastes projets. «La crise de confiance augmente aussi les risques de violence politique et menace la pérennité des institutions démocratiques», ajoute de son côté Ronald Riendeau. L’invasion, par des citoyens, du Capitole aux États-Unis en janvier 2021 ou de la Place des Trois-Pouvoirs au Brésil en janvier 2023 était ancrée dans leur conviction profonde d’une tricherie électorale. Preuve que lorsqu’on n’accorde plus de crédit aux institutions démocratiques, on peut se sentir légitimé de commettre des actes violents.

«La confiance est nécessaire pour maintenir la cohésion sociale, affirme Patrick Watier. Elle résulte d’une bienveillance envers les personnes qu’on ne connaît pas. C’est en grande partie cela qui se dégrade aujourd’hui. Les citoyens prêtent de mauvaises intentions aux gens qu’ils ne connaissent pas et aux institutions.»

Pression sur les entreprises

Cette crise de confiance crée un environnement particulier pour les entreprises (voir l’encadré «La confiance envers l’entreprise»). Dans une société polarisée, les valeurs deviennent un critère de choix important pour les consommateurs et pour les employés. Selon Edelman, 56% d’entre eux achètent un produit ou soutiennent une marque selon leurs croyances et leurs valeurs, alors que 55% des travailleurs choisissent leur employeur en fonction de ces critères. Les entreprises sont par ailleurs jugées trop timorées dans leurs réactions à de nombreux enjeux sociaux. 

«Elles devront redoubler d’efforts pour prouver qu’elles demeurent dignes de confiance et qu’elles agissent de manière responsable envers la société et l’environnement», avertit Michel Magnan. Cela passe notamment par des politiques rigoureuses de divulgation de la performance ESG de l’entreprise.

Cette divulgation devra toutefois refléter la performance réelle de l’entreprise et non une simple opération de marketing, car les scandales d’écoblanchiment sont toxiques pour une entreprise. Dans ses prévisions pour 2023, le cabinet Forrester prédit d’ailleurs que les organismes de réglementation et les consommateurs examineront de manière de plus en plus serrée les prétentions ESG des entreprises.

«Les entreprises doivent améliorer la cohérence entre leurs discours et leurs actions, reconnaît Michel Magnan. Des affirmations non fondées entament encore plus la confiance envers les organisations. Or, la perte de confiance complique la gouvernance des entreprises et démobilise les employés.»

Ronald Riendeau croit que nous devrons ouvrir un vaste chantier de renforcement de la confiance au cours des prochaines années. «C’est un grand défi, car les facteurs qui érodent la confiance, comme les changements climatiques, les inégalités sociales, la polarisation ou les médias sociaux, ne disparaîtront pas rapidement», souligne-t-il.

Il rappelle qu’on trouve deux types de confiance : la confiance calculée, qui repose sur la crédibilité et la réputation, et la confiance émotionnelle, qui relève plus de la solidarité et de la bienveillance. Selon lui, les deux peuvent être travaillées. «Nous devons investir dans le renforcement de la confiance dans nos sociétés», croit-il.

Des institutions jugées suspectes

Selon le sondage de la firme Edelman, plus ou moins six Canadiens sur dix croient que les journalistes et les reporters, les dirigeants d’entreprise et les dirigeants gouvernementaux tentent délibérément de les tromper en disséminant de l’information qu’ils savent erronée ou largement exagérée. Dans les trois cas, il s’agit d’une augmentation de 10 points de pourcentage et plus par rapport à 2021.

 

La confiance envers l’entreprise

Les dirigeants d’entreprise pointent au dernier rang des acteurs jugés dignes de confiance par les répondants au sondage Edelman. Même les dirigeants gouvernementaux et les journalistes sont (légèrement) mieux perçus. De nombreux Canadiens reprochent notamment aux entreprises d’en faire trop peu face à des enjeux sociaux comme les changements climatiques (56%), les inégalités économiques (48%) et les injustices systémiques (42%).

Cependant, le portrait change lorsque les répondants pensent à leur propre entreprise. La seule institution jugée digne de confiance par les trois quarts des répondants est celle où ils travaillent. Plus de la moitié font confiance au PDG de leur entreprise, mais seulement 36% ont confiance dans les dirigeants d’autres sociétés.


Note

[1] Watier, P., Éloge de la confiance, Paris, Belin Éditeur, 2008, 160 pages.