Point de vue publié dans l'édition automne 2016 de Gestion

Communiquer, la belle affaire ! Rien de plus facile de nos jours. Avec la multitude et la diversité des outils et des plateformes mis à notre disposition, rien ne nous semble en effet plus aisé que d’émettre et de diffuser selon notre bon vouloir les contenus ou les messages que nous souhaitons transmettre à nos interlocuteurs, à nos cibles, à nos communautés.

jean jacques strelinski

Jean-Jacques Stréliski, ancien vice-président et directeur général associé de Publicis Montréal ainsi que cofondateur de Cossette Montréal, et professeur associé au département de marketing de HEC Montréal.

Cette impression répandue de facilité cache en vérité les pièges les plus sournois, ceux de la dispersion, du désintérêt, de la saturation, du rejet ou du blocage systématique de toutes vos communications de la part de ces mêmes audiences. Nous traversons une époque « surmédiatisée », une ère de paradoxes, où personne ne semble plus contrôler quoi que ce soit. Des sources émettent sans interruption à destination de cibles la plupart du temps sourdes. L’objet et les sujets sont en totale rupture de sens.


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En réalité, communiquer en 2016 est une prouesse, tant dans la quête d’attraction et d’attention que dans l’obligation de bâtir et d’animer une relation.

Désormais, la communication implique en effet une nécessaire réponse de l’auditoire, quelle qu’en soit la teneur. Cette réponse va servir à qualifier et à évaluer la nature de l’attention qu’on aura été capable de susciter.

Des chercheurs du Pôle Médias de HEC Montréal s’emploient au quotidien à surveiller et à analyser, de la façon la plus exhaustive possible, l’ensemble des nouvelles pratiques qui régissent l’atteinte et la réactivité des audiences en ce qui a trait non seulement aux médias de masse mais également aux entreprises publiques ou privées déjà référentes dans un schéma ou un modèle économique de type médiatique.

La plupart des grandes marques ont intégré ces pratiques tout à fait similaires à celles utilisées par les médias. Comme tant d’autres, Apple, Coca-Cola, Nike et McDonald’s produisent des contenus quotidiens, informatifs, interpelants et divertissants, destinés à stimuler leurs communautés, pas tant pour générer directement des revenus que pour maintenir un lien et garder vivante (pour ne pas dire captive) l’attention desdites communautés.

Les prémisses de ce phénomène s’expriment avec force dans cette citation de l’actuel PDG de Microsoft, Satya Nadella1 : « Nous passons d’un monde où le pouvoir informatique était limité à un autre monde où il est presque sans limites et où la véritable rareté est maintenant l’attention humaine. » Et, comme chacun le sait, la rareté vaut cher.

Les principes de ce nouveau phénomène ont été cernés très tôt, soit dès 1997, au fur et à mesure du développement d’Internet. On est allé jusqu’à le baptiser « économie de l’attention ». Michael H. Goldhaber2 va même jusqu’à affirmer que l’économie de l’attention serait « en voie de se substituer à l’économie de marché traditionnelle telle que nous la connaissons ».

Parler d’attention, c’est évoquer trois notions qui en sont indissociables :

  1. la capacité d’attention et la durée de celle-ci, qui diminuent en fonction de la multiplication des stimulations offertes par le numérique ;

  2. la mémoire de l’attention, qui permet de retenir une partie de l’information contenue dans la stimulation (mais jamais la totalité) ;

  3. l’action post-attention, qui s’exprime par les comportements de l’auditoire après stimulation, c’est-à-dire l’adhésion ou le rejet de la sollicitation.



Une bouteille à la mer

Un autre défi de taille se dresse devant les médias et autres diffuseurs : un enjeu de découvrabilité3.Tout ce qui transite par le Web se trouve désormais assujetti à cette règle impitoyable. Ne pas le prendre en compte peut équivaloir à lancer votre communication dans l’espace médiatique telle une bouteille à la mer.

Les métadonnées – ou « l’information à propos de l’information », comme le titre d’un livre, la description d’un produit ou les mots clés d’un site Web – peuvent faire en sorte qu’une chose soit plus facilement « découvrable ». Il s’agit donc de nourriture précieuse pour les algorithmes et autres moteurs de recherche.

Enfin, la découvrabilité s’apparente aussi à l’accessibilité et à la convivialité, d’autres critères qui aident à déterminer l’utilité d’une information, sa pertinence et, ultimement, sa capacité à être vue.

Communiquer en 2016 requiert des capacités et des ouvertures nouvelles. Le temps du « savoir communiquer » est arrivé. Une exigence, certes, mais également une perspective d’avenir, tant pour les universités que pour les professionnels de la communication privée ou des médias de masse. Et une obligation pour les entreprises. Car nous ne le dirons jamais assez : en 2016, toute entreprise est un média !


Notes

1. Capacité d’attention – Approche client, Microsoft Canada, printemps 2015, 52 pages.

2. M. H. Goldhaber, « The Attention Economy and the Net », First Monday, vol. 2, n° 4, avril 1997, et « The Value of Openness in an Attention Economy », First Monday, vol. 11, n° 6, juin 2006.

3. Découvrabilité – Vers un cadre de référence commun, étude réalisée et financée en 2016 par le Fonds des médias du Canada, l’Office national du film du Canada et Téléfilm Canada avec le soutien de CBC/Radio-Canada et de l’Observateur des technologies médias, en collaboration avec le Pôle Médias de HEC Montréal, 64 pages.