Les gestionnaires en ressources humaines ont été sollicités de toutes parts depuis le début de la pandémie. Malgré le retour à une relative normalité, les défis ne manquent pas, alors que le mode de travail hybride et la pénurie de main-d’œuvre contribuent à changer la donne. Bilan des trois dernières années et perspectives d’avenir.

Au Québec, le 13 mars 2020 a marqué un tournant pour l’ensemble de la population. Le confinement et l’arrêt de presque toutes les activités ont aussi bouleversé le mode de fonctionnement des entreprises et placé les gestionnaires en ressources humaines sous les feux de la rampe.

«La crise sanitaire a constitué un accélérateur de changement et la fonction RH a été projetée à l’avant-scène», résume Fay Aroub, CRHA, vice-président, Expérience Talent et Opérations RH, à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). Selon lui, les responsables RH n’ont jamais été aussi reconnus et sollicités : «Tout le monde s’est tourné naturellement vers ces professionnels et leur ont demandé comment s’y prendre pour gérer le travail à distance et la pression psychologique, et pour préserver la santé des employés», se souvient Fay Aroub.

Pour sa part, Cristina Cistellini, vice-présidente aux Ressources humaines à la Banque Nationale du Canada, souligne que durant la pandémie, la mission de «connecteur» a littéralement été propulsée. «Pour assurer en continu la sécurité et le bien-être de nos employés, nous avons dû plus que jamais développer nos solutions en intégrant l’environnement social et économique de nos employés, en plus d’apprendre à gérer l’accélération du numérique», précise-t-elle.

Cette évolution rapide, ils ne sont pas les seuls à l’avoir remarquée, puisque tous les intervenants interrogés dans le cadre de cet article ont formulé les mêmes constats : tous la saluent comme un changement positif, mais elle s’accompagne aussi de nouveaux enjeux qui forcent la fonction RH à se redéfinir et à faire preuve d’agilité.

Un rôle valorisé

Pendant longtemps, la fonction RH a été très axée sur l’administration, l’exécution et les opérations. Cependant, depuis la fin des années 1980, on tend à valoriser davantage le volet stratégique. «L’idée, c’est de la positionner comme un véritable partenaire d’affaires, dans une perspective de changement organisationnel et culturel, ce qui exige des fonctions élargies», explique Denis Chênevert, CRHA, professeur titulaire au Département de gestion des ressources humaines et directeur du Pôle santé de HEC Montréal.

Afin d’avoir une vision plus globale et de contribuer à ce que l’entreprise atteigne ses objectifs, il faut donc se doter d’indicateurs qui servent d’outils de prédiction. «La difficulté, c’est que la fonction RH manque souvent de compétences en analytique, et de capacité à se projeter et à anticiper. Dans ce domaine, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir», estime le professeur, qui ajoute que la fonction se heurte aussi à un paradoxe : «Elle devrait être celle qui initie l’innovation, mais bien souvent, c’est elle qui crée des barrières bureaucratiques», dit-il.

Autre embûche : la fonction RH est encore trop souvent perçue comme purement transactionnelle et, de ce fait, n’est pas invitée à participer à l’élaboration de la planification stratégique. «Pourtant, le bras droit du PDG devrait être le gestionnaire des ressources humaines, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, alors qu’il est de plus en plus important d’attirer les talents, de les retenir et de les mobiliser. Or, trop d’entreprises laissent encore ces décisions à d’autres composantes organisationnelles», déplore Denis Chênevert.

Un avis que partage Carole Messaoudi, coach professionnel et associée en consultation chez MNP, qui précise : «Il est vrai que la fonction RH n’a pas toujours été la priorité. Elle a même souvent été le parent pauvre en ce qui a trait au budget et aux investissements. Mais la rareté de la main-d’œuvre, les ratés dans la chaîne logistique et les enjeux technologiques, notamment, font en sorte qu’elle prend une importance accrue et est davantage valorisée», dit-elle.

«On reconnaît certes le côté stratégique de ces professionnels, nuance Sylvie Bacon, CRHA, directrice principale, Services-conseils – Ressources humaines chez MNP, mais actuellement, l’ampleur de la tâche sur le plan opérationnel est telle qu’ils peinent à s’en dégager. Pour qu’ils puissent prendre pleinement leur place dans la planification stratégique de la main-d’œuvre, il faudra leur fournir de l’aide. Malheureusement, on manque aussi de main-d’œuvre dans les ressources humaines. C’est la tempête parfaite.»

Changement de paradigme

Malgré tout, la fonction RH a le vent dans les voiles. «Auparavant, nous essayions de convaincre les gestionnaires de la pertinence de nos programmes; maintenant, ce sont eux qui viennent nous consulter, car ils veulent retenir leurs employés. Il y a un véritable changement de paradigme», se réjouit Diane Bouchard, directrice du Service des ressources humaines de la Ville de Montréal.

Bien que la crise sanitaire ait donné un bon coup d’accélérateur à ce changement de mentalité, la directrice souligne que ce n’est pas l’unique facteur. «Le manque criant de main-d’œuvre et les attentes de plus en plus grandes des employés – qui aspirent, entre autres choses, à des tâches stimulantes et à un meilleur équilibre entre le travail et leur vie personnelle – ont changé les choses», dit-elle.

Elle mentionne aussi que la fonction RH occupe désormais un rôle plus stratégique dans l’organisation et qu’elle est notamment conviée à la table du comité de direction de la Ville – ce qui constitue une première – et à tous les autres grands comités, comme le comité budgétaire.

Dans un tel contexte, Diane Bouchard note que le réseautage avec ses pairs et ses collègues est d’autant plus crucial. «Il faut regarder ce qui se fait ailleurs, partager ses idées avec les autres organisations. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres ; en ce sens, nous devons rester à l’affût et faire une vigie des meilleures pratiques», recommande-t-elle.

Fay Aroub remarque d’ailleurs qu’à Montréal, depuis les débuts de la crise sanitaire, il y a eu un extraordinaire mouvement de concertation. «Je n’ai jamais vu autant de discussions dans l’écosystème RH : l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, le CIRANO et les différentes organisations ont mis l’épaule à la roue. Nous avions tous les mêmes problèmes et nous avons mis nos solutions en commun, pour voir ce qui fonctionnait ou pas. C’était l’équivalent d’avoir plusieurs laboratoires en même temps», mentionne-t-il.

Se repositionner

Les différents enjeux auxquels fait face la fonction RH, en particulier sur le plan du recrutement et de la rétention des talents, ont aussi engendré un profond mouvement de transformation. Ainsi, la créativité, l’agilité et la capacité de s’adapter en permanence sont essentielles, indique Cristina Cistellini. «Nous devons maintenir cette position stratégique et continuer à jouer notre rôle de connecteur. Ce n’est pas simple, mais ce sont les leçons à tirer de la crise sanitaire», dit-elle.

À cet égard, la fonction RH de la Banque Nationale s’est mobilisée pour rester à l’écoute de ses employés, notamment par le biais de sondages pour prendre le pouls de leurs besoins en matière de bien-être, et adapter la réponse en conséquence. Le nom du service a aussi évolué il y a quatre ans : on parle maintenant du Groupe expérience-employés BNC.

De son côté, la Ville de Montréal a mis sur pied une direction regroupant les fonctions stratégiques des ressources humaines : la planification stratégique, le développement des compétences, la gestion du changement ainsi que l’approche en équité, diversité et inclusion (EDI). «Nous sommes souvent perçus comme les gardiens des processus, mais il faut dépasser cette vision et nous imposer comme des leaders transformationnels dans le développement des compétences, la gestion des talents et tout ce qui se rattache à l’EDI. En créant cette entité dans notre structure, nous avons clairement pris ce virage», assure Diane Bouchard.

La valeur ajoutée de la fonction RH passera aussi par les données et l’habileté à les interpréter, estime Denis Chênevert. Une tendance qui a également été bien comprise et intégrée par la Ville de Montréal. «Nous avons bâti des tableaux de bord sur différents aspects : départs, maladie, diversité en emploi, etc. Nous menons aussi des sondages de mobilisation auprès de nos 28 000 employés ; nous avons dressé le portrait de la main-d’oeuvre de la Ville et établi des diagnostics précis des vulnérabilités RH au sein des différentes unités d’affaires. Cela nous permet de fournir de précieuses informations aux dirigeants et aux gestionnaires, et de cibler nos priorités d’action», fait valoir Diane Bouchard.

«Nous n’avons jamais eu autant de données à notre disposition! Le défi consiste à les exploiter, afin de mettre sur pied des programmes qui conviennent à l’organisation. Autrement dit, il faut rester agile avec les TI et jouer un rôle de conseil, sans oublier le H dans RH, c’est-à-dire le côté humain. Car, sans nos 1 400 talents, il n’y a plus de CDPQ», soutient Fay Aroub.

Le gestionnaire RH de demain

Cristina Cistellini insiste elle aussi sur le volet humain qui, à son avis, exige d’adopter la posture du leader bienveillant faisant preuve de compassion et d’empathie. «Propulser le talent au sein de l’organisation et créer de la valeur par le biais de stratégies plus transversales sont également des incontournables», dit-elle.

Fay Aroub met de l’avant l’écoute, la sincérité et la transparence. «Les employés veulent faire partie de la solution. En les consultant, on réduit la résistance au changement», note-t-il.

Denis Chênevert insiste sur le rôle de maître d’œuvre et de chef d’orchestre du gestionnaire RH quand il s’agit de combler les besoins en ressources humaines au sein des différentes fonctions. «Il doit asseoir non seulement sa crédibilité en ce qui a trait au leadership, mais aussi sa capacité à prendre les devants, à analyser et à anticiper les choses», assure-t-il.

Diane Bouchard mentionne que la fonction RH est désormais considérée aussi essentielle que celle des finances. «C’est le meilleur moment pour œuvrer en ressources humaines! On fait face à d’importants changements en milieu de travail, ce qui en fait la période idéale pour soutenir nos organisations et développer une vision de ce qu’on veut devenir», assure-t-elle.

Il faut renforcer la capacité de la fonction RH à penser davantage dans une optique d’affaires, de façon à soutenir ces professionnels plus efficacement, insiste Carole Messaoudi. Il y a toutefois encore du travail à faire, estime Sylvie Bacon, dans la mesure où les gestionnaires RH n’ont pas toujours les coudées franches ou même le profil nécessaire pour dépasser le niveau opérationnel. «En leur donnant la possibilité de jouer un rôle plus actif dans la planification, en les amenant à être plus agiles et plus stratégiques, on favorise leur participation aux principales orientations organisationnelles», espère-t-elle. Un travail qui nécessite toutefois une plus grande ouverture de la part de la haute direction.

Article publié dans l’édition Printemps 2023 de Gestion