Les temps changent et les compétences requises au travail doivent aussi évoluer. C’est là un véritable défi dont nous discutons avec Marie-Claude Gaudet, professeure agrégée au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal.

Pourquoi l’actualisation des compétences est-elle si importante actuellement?

Marie-Claude Gaudet : Avec l’arrivée du numérique, de l’automatisation, de la robotisation et de l’intelligence artificielle (IA), le monde du travail s’est profondément métamorphosé. Cette évolution a notamment entraîné une transformation des métiers, des professions et des compétences requises pour les exercer.

De nouveaux métiers et professions ont aussi été créés, comme les influenceurs, les pilotes de drone et les conseillers en éthique de l’IA. D’autres disparaîtront, bien entendu. Ces transformations ont été accélérées par la pandémie, en raison du télétravail et de l’expansion du commerce électronique. Certaines entreprises ont dû adapter leur modèle d’affaires ou le changer complètement. Les organisations observent donc des écarts sur le plan des compétences : il y a celles que les travailleurs possèdent actuellement et celles qui sont requises pour avoir une performance optimale dans ce nouveau contexte d’affaires. D’ailleurs, environ un employeur sur deux considère l’acquisition et l’actualisation de compétences comme une priorité stratégique1. Par exemple, en raison de la pandémie, les gestionnaires ont dû apprendre à gérer des équipes à distance au cours des dernières années.

Pour certains travailleurs, on ne parle pas d’actualisation des compétences mais de requalification professionnelle, ce qui les amènera inévitablement à changer de type d’emploi. Qu’en est-il?

Dans une entreprise où des tâches manuelles sont réalisées par des robots, par exemple, les travailleurs doivent développer une nouvelle expertise ou de nouvelles compétences pour travailler avec ces machines. À travers le monde, de grands employeurs ont d’ailleurs entrepris des démarches en ce sens au cours des dernières années. C’est le cas d’Amazon, qui a récemment investi 700 millions de dollars pour requalifier une centaine de milliers d’employés dans différents domaines comme l’infonuagique, l’apprentissage automatique, la robotique et même les soins de santé.

Qui est responsable de la requalification et de l’actualisation des compétences des travailleurs?

Amazon est un bel exemple d’une entreprise proactive dans la formation de ses employés, mais un individu peut aussi le faire, par exemple, pour obtenir une promotion, aller vers un nouveau type d’emploi ou simplement enrichir sa carrière. Le gouvernement peut aussi jouer un rôle. En ce sens, la Commission des partenaires du marché du travail du Québec a mis sur pied plusieurs initiatives comme le Programme pour la requalification et l’accompagnement en technologies de l’information et des communications.

Comment la pénurie de main-d’œuvre influe-t-elle sur ces enjeux?

Dans le contexte actuel, investir dans la formation des employés est un moyen, pour les organisations, de faire face au manque de main-d’œuvre. C’est aussi une stratégie qui aide à fidéliser son personnel, puisque chacun peut progresser dans sa carrière en restant dans l’entreprise, en développant de nouvelles expertises et en améliorant ses conditions de travail.

Par où commencer, comme employeur, pour mettre sur pied des efforts de requalification et d’actualisation des compétences des travailleurs?

Il faut faire une planification stratégique et analyser les besoins qui ont trait aux compétences ou aux écarts de compétences. Dans le cadre de ce travail, il faut cerner rapidement les postes sur lesquels repose le modèle d’affaires ainsi que les changements à apporter aux rôles et aux responsabilités de chacun des membres de l’équipe. Et il faut cibler tout aussi rapidement les compétences clés qui seront nécessaires pour pourvoir ces postes. Les recherches montrent que le fait d’analyser les besoins avant de mettre sur pied un programme de formation donne de meilleurs résultats.

Comment, concrètement, investir dans le développement des compétences clés qui ont été déterminées?

Une fois qu’on a ciblé certaines compétences à développer, qu’elles soient techniques ou non, dans le domaine du numérique ou en matière de pratiques collaboratives, par exemple, il faut mettre en œuvre des stratégies d’apprentissage pour chacune d’entre elles. Elles peuvent être formelles, bien sûr, mais aussi – et surtout – informelles. Ce type d’apprentissage n’a rien à voir avec une formation sur le tas ! Il s’agit en fait de l’initiative d’un employé qui n’est pas planifiée, mais qui est entreprise au moment où le besoin se présente. Selon la tâche à accomplir, le travailleur peut faire appel à un mentor, aller s’informer sur le Web...

Il faut encourager ce genre d’initiative, qui s’avère extrêmement bénéfique pour les employés et pour les organisations. Des recherches montrent que les apprentissages informels permettent aux individus d’augmenter leurs compétences et contribuent à améliorer leur performance. Il ne faut pas hésiter non plus à entreprendre une démarche de requalification avec les travailleurs plus âgés, parce que les trajectoires de carrière ne sont plus aussi linéaires qu’avant.

Il faut aussi mener des projets pilotes, les évaluer et ajuster le tir. Il est important de procéder ainsi, car plusieurs programmes de formation ne produisent pas toujours les résultats escomptés en matière d’apprentissage, d’acquisition de compétences et de changements dans le travail. En fait, il faut adopter une nouvelle perspective et penser à l’apprentissage plus qu’à la formation.

Enfin, il faut accorder une attention soutenue aux apprentissages réalisés et à ce qu’on fera ensuite de ces nouvelles connaissances, car celles-ci doivent pouvoir être transposées rapidement dans l’environnement de travail de l’employé. Pour atteindre ces objectifs en matière de développement des compétences, il faut donc valoriser une culture d’apprentissage continu.

Comment implanter ce type de culture dans une organisation?

Tout d’abord, il faut encourager, valoriser et soutenir le changement. Il faut aussi réduire au maximum les sources d’anxiété. Offrir un espace sécuritaire pour apprendre et permettre de faire des essais et des erreurs est crucial. En résumé, il faut offrir du temps, des ressources et de la reconnaissance à ceux qui se développent, qui réfléchissent, qui remettent des choses en question. En ce sens, les gestionnaires doivent fournir une rétroaction à leurs équipes et encourager les échanges informels.

Il est également important de cultiver le plaisir et de générer des émotions positives lors des activités d’apprentissage. Et puisque la santé physique est aussi un facteur déterminant, il est primordial d’inciter les employés à faire de l’exercice physique et à bien dormir.

Aussi, les gestionnaires qui ont besoin d’accompagnement pour mieux développer une culture d’apprentissage au sein de leur organisation peuvent recourir à du coaching et à du mentorat.

Puisque les travailleurs ont aussi une part du chemin à faire, quels sont les comportements et les aptitudes qui contribueront à leur apprentissage?

On apprend les uns des autres en s’inspirant de modèles positifs, mais il est certain qu’adopter en tout temps une perspective d’apprenant n’est pas évident. Pour avoir envie de relever des défis, il importe de se fixer des objectifs de rendement ambitieux qui ne sont toutefois pas anxiogènes et de trouver un sens à son travail. Il faut aussi être capable de gérer ses émotions et, bien sûr, d’évoluer dans un climat sécuritaire où l’on peut remettre en question le statu quo, où l’on a le droit à l’erreur et le temps de réfléchir.

Article publié dans l'édition Hiver 2023 de Gestion 


Note

1- «The transformation of L&D – 2022 Workplace Learning Report» (en ligne), LinkedIn Learning, 2022, 56 pages.